Archives pour la catégorie liseuses

Invités d’honneur

untitled-0-00-02-13Cette année, la France est l’invité d’honneur de la foire du livre de Séoul, et le BIEF (Bureau International de l’Edition Française) m’a demandé de participer aux journées professionnelles organisées à cette occasion.

J’ai donc fait le déplacement, pour intervenir au sujet des enjeux du numérique dans l’édition, en duo avec un représentant de l’Association des Publications Numériques de Corée, M. Chang Di Young. Bien qu’il m’arrive de plus en plus souvent de me livrer à cet exercice, je m’y prépare toujours avec le même soin, retouchant mes slides jusqu’à la dernière minute, soucieuse de présenter le plus clairement possible la manière dont les éditeurs français abordent les questions touchant au numérique, les défis auxquels ils sont confrontés, et les changements que cela implique dans leur manière de travailler.

Dans le salon lui-même, une petite allée de stands montrant des liseuses, dont la liseuse Samsung.  Je discute un moment avec un représentant de IN3tech, ( InCube Technologies), un prestataire proposant aux éditeurs ses services pour la numérisation et l’intégration de leur catalogue dans la librairie que Samsung met en place pour ses smartphones et sa nouvelle liseuse. Comme nous échangeons nos cartes (à la manière coréenne : tenir la carte à deux mains et s’incliner légèrement), il voit le nom du groupe qui m’emploie et tilte immédiatement, me parlant de vidéo, de YouTube, et je comprends qu’il a vu le film «  Possible ou Probable  » réalisé par Editis il y a quelques années. Il appelle ses collègues pour leur montrer le logo sur ma carte, et tous me font part de leur enthousiasme pour ce film, et je suis obligée malheureusement de leur dire qu’il a été réalisé avant que je n’arrive dans le groupe, et oui, je ne peux m’attribuer aucun mérite à propos de ce film que Bob Stein, plusieurs années après sa sortie, avait signalé à nouveau, lui redonnant visibilité.

J’assiste également à l’intervention d’Hugues Jallon, Directeur Editorial de La Découverte, qui fait une très belle synthèse sur l’édition de Sciences Humaines, abordant la question de manière thématique et en citant et resituant de nombreux titres et auteurs, dans le champ économique, dans celui du politique et celui de l’environnement. Auprès de lui, deux éditeurs de Sciences Humaines coréens, deux éditeurs véritables, passionnés, qui dirigent des petites maisons d’édition, expliquent l’extrême difficulté qu’il y a à trouver des traducteurs français-coréen capables de traduire de la philosophie ou de la sociologie de haut niveau. Il racontent aussi, de manière assez drôle, leurs difficultés à trouver des soutiens financiers, expliquant que lorsqu’ils essaient d’intéresser des industriels (ils citent l’exemple de Hyundaï, qui sponsorisent sans problème à coup de milliards- en won, le milliard est assez vite atteint, c’est environ 8750 euros – des clubs de sport, mais refusent ne serait-ce  que de recevoir ou regarder leurs livres… Il n’est pas facile, donc, de faire circuler la pensée française, mais certains s’y emploient avec une énergie et une passion qui font plaisir à voir, sans se décourager, ne se résignant pas à ce que les Coréens pensent que rien ne s’est passé chez nous depuis le structuralisme et les auteurs de la «  French Theory  ».

Très peu de temps pour découvrir la ville, même en se levant très tôt (facile avec le décalage horaire…).  Retrouvé Hugues Jallon ce matin pour prendre  le métro à la première heure. Nous quittons le quartier où a lieu la foire, quartier récent dédié au business, grandes avenues bordées de tours, mais dont les rues transversales révèlent des surprises : vous tournez au coin de la rue et l’échelle change brutalement, un fouillis de petites constructions, des restaurants bon marché, une ambiance très différente de celle de l’avenue qui n’est qu’à vingt mètres.

Nous avons ensuite marché plus de trois heures, le plan à la main, nous repérant grâce aux bâtiments, et réussi à trouver notre chemin jusqu’au palais Deoksugung, l’un de ces lieux qui permettent d’éprouver un sentiment d’architecture, cette émotion particulière et rare que l’on éprouve en voyant certains bâtiments, sans pouvoir toujours analyser d’où il provient : l’échelle ? le rapport entre les vides et les pleins ? la disposition des bâtiments, les couleurs, les matériaux ?

Il faudrait bien plus de temps, évidemment, pour se faire une idée de cette ville immense, et tel n’est pas, bien sûr l’objet de notre voyage. Il prend fin, d’ailleurs, et demain, onze heures d’avion m’attendent, et n’oublie pas, mon chéri, de venir me chercher à l’aéroport (c’est un test, pour savoir si oui ou non mon amoureux lit mon blog comme il le prétend…)

Encore le Cloud…

bleuQuel dommage de parler de «  clouds  » en ce beau premier week-end vraiment printanier… Mais je n’ai pas le choix. suite à une intervention que j’avais faite au TOC de Francfort en octobre dernier, on m’a demandé de participer, lors de la prochaine foire du livre de Londres, à une table ronde sur le thème «  Clouds : What are They Really About, and What is Their Impact on Publishers ?  »

Bonne occasion pour sortir mon blog de sa léthargie, et essayer de faire ce à quoi sert un blog : réfléchir tout haut, réfléchir avec vous, ouvrir la boîte, et m’aider de votre possible lecture pour avancer dans la préparation de cette table ronde.

Je suis loin d’être une spécialiste de la question, et c’est pour ça que ça m’intéresse… Les premières explications concernant le cloud computing, c’est au théâtre de la Colline, lors d’une conférence donnée dans le cadre d’Ars Industrialis que je les ai trouvées. J’ai approfondi cette affaire en lisant le livre co-écrit par Christian , Alain Giffard et Bernard Stiegler, intitulé «  Pour en finir avec la mécroissance«  .

A Francfort, je me suis demandé ce que pourrait bien devenir l’industrie du livre, si on se mettait à la définir non plus comme «  produisant  » des livres, mais comme proposant des services, en détournant l’un des sigles qui déclinent ceux que le cloud computing propose : «  PAAS = Publishing As A Service  ».

J’avais bien conscience, dans cette présentation, de jouer un peu sur les mots, en considérant comme «  dans les nuages  », toute l’activité qui entoure le livre et qui se situe en ligne. En effet, il ne suffit pas qu’un service soit proposé en ligne pour qu’il relève précisément  du «  cloud computing  », ou alors, on enlève à ce concept sa véritable substance, considérant chaque serveur comme un petit nuage…  Non, lorsque l’on parle de «  cloud computing  », on parle non pas de serveurs dispersés et gérés de façon autonome, tous reliés par internet. On parle de gigantesque installations industrielles, contenant des centaines de milliers de serveurs, offrant d’énormes capacités de stockage et de calcul. On parle aussi «  virtualisation  », et là, je cite Christian Fauré :

La virtualisation est un procédé qui consiste à dé-corréler la vision physique de la vision logique des infrastructures de machines. On peut ainsi avoir une seule machine physique qui est considérée comme étant une multiplicité de machines logiques. Bien que la technologie de virtualisation ne soit pas toute récente,  Amazon a relevé le défi non seulement de la mettre en place sur de très grandes quantités de machines, mais en plus d’automatiser l’allocation
de ses ressources logiques, permettant ainsi à tout internaute de mettre en place un serveur virtuel, en ligne et sans intermédiaire. Nombre de jeunes sociétés web s’appuient aujourd’hui sur les infrastructures d’Amazon pour disposer d’une puissance de calcul et de stockage « à la demande » et élastique, précisément pour ne pas s’effondrer en cas d’augmentation des consultations sur leur site.  »

La complexité et le gigantisme de ces installations industrielles, mises en place par des acteurs dont on imagine que, parce qu’ils opèrent sur le web, ils ne brassent que du virtuel, de l’immatériel, a été un réelle découverte. D’ailleurs, l’idée très bien implantée qui consiste à considérer que «  du moment que ça passe par Internet, cela ne coûte rien, c’est virtuel, ce sont des «  bits  », pas des atomes, alors n’allez pas nous faire croire que cela coûte cher  » s’appuie sur cette vision naïve d’une société de la connaissance qui serait post-industrielle, brassant uniquement de la matière grise à l’aide d’impulsions électroniques sans presque aucune inscription dans la matière. Amazon, Google, Microsoft, IBM, Apple, possèdent de telles installations, et continuent d’en construire. Où croyez-vous que sont stockés vos photos sur Flickr, vos vidéos sur YouTube, vos messages sur Twitter, vos publications sur Facebook, et vos billets de blog ?

Alors, l’édition dans les nuages ? Ce que j’avais eu envie de mettre en avant à Francfort, c’est le fait que le livre n’avait pas besoin d’être numérique pour avoir quelque chose à voir avec le cloud. Que déjà, alors que le livre numérique en France en est encore à ses balbutiements, le monde des livres avait déjà en partie migré sur le web, et probablement «  dans les nuages  » aussi. Que déjà, le concept de «  chaîne du livre  » était devenu inopérant, et cédait la place à quelque chose qui ressemblait bien plus à un réseau, dont bien des nœuds, déjà, étaient dépendants du cloud computing. Notre bouquinosphère, par exemple, mais aussi le web littéraire, avec lequel elle a des intersections. Auteurs-blogueurs, pro-am de la critique littéraire, certains libraires et éditeurs, tous utilisent des services et des plateformes qui bien souvent s’appuient sur ces infrastructures «  dans le nuage  ».

Du côté des éditeurs, les exemples de nouvelles offres éditoriales tout à fait susceptibles d’utiliser le cloud computing se multiplient également. Les sites proposant du «  pick and mix  », offrant la possibilité aux utilisateurs de composer eux-mêmes le livre qu’ils pourront ensuite consulter en ligne, télécharger ou imprimer à la demande se sont multipliés. Construits autour de thématiques comme la cuisine, ou bien édition scolaire et universitaire, ces sites s’appuient sur des plateformes permettant d’identifier et de sélectionner des éléments de contenu, textes et images, de les choisir et des les assembler. La plupart proposent aux utilisateurs de créer des ouvrages qui pourront mixer des contenus éditoriaux prééxistants et des contenus créés par l’utilisateur.

La vision de Bob Stein, celle d’une lecture connectée, communautaire, collective, de textes disponibles en ligne et accompagnés de dispositifs permettant annotation et échanges entre lecteurs, s’appuie également sur un concept de plateforme en ligne, offrant à la fois l’accès à un contenu et l’accès à des services qui vont au-delà du simple affichage du texte.

En vérité, chacun des services cités n’était pas nécessairement situé dans les nuages, au sens strict du terme. Susan Danzinger, la fondatrice de Daily-Lit, que j’avais questionnée à ce sujet m’avait répondu que l’offre qu’elle propose n’utilise pas le cloud computing, pour la raison simple que ces solutions ne permettaient pas de gérer comme elle le souhaitait les envois de mail, et que le service qu’elle propose (envoi à la demande d’un livre numérique sous forme d’extraits successifs, adressés soit par mail,  soit vers un agrégateur de fils RSS)  exigeait cela.

La grande idée du cloud, pour la résumer très sommairement,  c’est de demander aux dirigeants d’entreprise : de quoi avez-vous besoin ? de salles informatiques bourrées de serveurs pour héberger les applications que les salariés de votre entreprise utilisent ? ou bien que ceux-ci accèdent simplement à ces applications pour les utiliser ? Pourquoi vous embêter avec le stockage, l’installation, la maintenance, la mise à jour, le dimensionnement ? Nous pouvons faire tout cela pour vous. Vous n’avez pas besoin d’acquérir des licences et d’installer des logiciels. Vous avez besoin des services que ces logiciels  vous rendent.

À quoi bon être propriétaire ? À quoi bon vous embêter à entretenir votre bien, à réparer la toiture, à changer la plomberie, à refaire les peintures ? Avez-vous vraiment besoin de cela ? Ou bien plutôt d’un toit pour vous abriter, et que quelqu’un s’occupe pour vous de faire en sorte que ce toit ne prenne pas l’eau, ou vous propose une pièce supplémentaire le jour où la famille s’agrandit…

L’édition dans les nuages, selon Google, c’est Google Recherche de Livres, mais aussi Google Editions :  à quoi bon télécharger vos livres ? Laissez-les sur le nuage. A quoi bon les stocker sur votre disque dur, à la merci d’un plantage ? Votre bibliothèque entière sera dans le nuage, disponible en quelques clics (ou en quelques caresses sur l’écran de votre iPad…). Vous vous y faites très bien en ce qui concerne vos mails, utilisateurs de Gmail, Yahoo ou Hotmail… Est-ce que cela vous dérange vraiment de ne pas stocker vos mails sur votre disque dur ?

L’édition dans les nuages, selon Amazon, c’est ce livre que vous commencez à lire sur votre Kindle, et dont vous poursuivez la lecture sur votre iPhone, où il s’ouvre directement à la bonne page… La synchronisation se fait via le nuage d’Amazon, qui stocke et traque vos lectures. Mais c’est aussi ce livre que vous aviez acheté, et qu’Amazon efface de la mémoire de votre Kindle sans vous demander votre avis…

Olivier Ertzscheid, nous met en garde :

«  Pourtant, et maintenant que les grands acteurs du web sont bien positionnés dans les nuages, maintenant que chacun d’entre nous, particulier ou institution/entreprise dispose quotidiennement de ces services le plus souvent dans la plus parfaite transparence/ignorance, maintenant qu’au-delà des seuls accès ce sont également nos pratiques, nos médiations, qui prennent place dans la distance offerte par ces nuages, il est temps de sortir de l’imaginaire cotonneux dans lequel nous entraîne et que co-construit le vocable même «  d’informatique dans les nuages  ».

Sortir de l’imaginaire cotonneux, certes, et demeurer vigilant. Remplacer cet imaginaire cotonneux par une connaissance suffisante de ce que recouvre cette terminologie séduisante, une réflexion nourrie sur les conséquences des basculements qui s’effectuent déjà, pour autoriser des prises de décision qui ne se basent ni sur des peurs fantasmatiques ni sur des enthousiasmes naïfs.

Une maison d’édition est susceptible d’avoir affaire au «  cloud computing  » à plus d’un titre :

- en tant qu’entreprise, elle peut faire le choix d’offres «  XAAS  » pour son informatique de gestion.

- elle peut également développer de nouvelles offres éditoriales impliquant l’utilisation de services basés sur le «  cloud  », ce qui l’engage à repenser et transformer ses processus de production, comme l’ont fait les premiers les éditeurs scientifiques comme Elsevier, en partenariat avec MarkLogic.

- elle s’inscrit, je l’évoque déjà plus haut,  dans un écosystème qui utilise déjà largement des services basés sur le cloud computing, qu’il s’agisse de repérer des auteurs ou de promouvoir ses titres : l’usage des réseaux sociaux, tous adossés à des solutions «  cloud  », se développe considérablement.

Enfin, et c’est peut-être là le point le plus important, l’éditeur,  qui n’existerait pas sans ses lecteurs, se doit de s’interroger sur l’impact du «  cloud computing  » sur la lecture elle-même, et sur la définition de la lecture numérique à l’ère des lectures industrielles,  objet des recherches d’Alain Giffard, récemment invité des assises professionnelles du livre organisées par la commission numérique du SNE.

J’ai filmé avec ma petite flip caméra, en tremblotant un peu, un petit moment de cette intervention, qui n’est pas sans rapport avec ce dont il est question ici, le voici :

Que ferons-nous des nos livres, en effet, s’ils s’en vont sur les nuages, et que ne parvient pas à s’inventer un art de la lecture numérique ? J’arrête ce billet, plus que je ne le termine,  tant les questions sont loin d’être toutes abordées et traitées,  en citant Alain Giffard :

«  Les faiblesses des robots de lecture permettent d’établir ce point que je crois décisif : le dispositif actuel de lecture numérique suppose un lecteur doté à la fois d’une grande responsabilité et d’une grande compétence. Il est responsable non seulement de l’établissement du texte pour la lecture, mais aussi de la technologie, de sa propre formation, et de sa participation au réseau des lecteurs. Il ne confond pas pré-lecture et lecture, « hyper-attention » et attention soutenue, lecture d’information et lecture d’étude, acte de lecture et exercice de lecture. Il sait identifier et rectifier le travail des robots. Même l’industrie de lecture reconnaît que son activité suppose un tel lecteur. Pour se défendre à propos des erreurs relevées dans les moteurs de Google Books, les dirigeants de Google soutiennent que l’ampleur du texte numérique impose l’automatisation avec sa part d’erreur machinique inévitable et donc l’activité de correction des internautes. Autrement dit, à l’inlassable industrie de lecture du robot doit correspondre l’interminable activité de rectification du lecteur compétent.  »

Je ne suis pas un robot, mais je fais appel aux lecteurs compétents que vous êtes, pour apporter corrections et rectifications à ce billet…

controverse du grille-pain, suite…

Ceux qui suivent depuis longtemps ce blog et quelques autres, inscrits dans la «  bouquinosphère«  , se souviennent peut-être de la «  controverse du grille-pain«  … le nom que, par plaisanterie, nous avions donné à une discussion récurrente que je pourrais résumer ainsi : Existe-t-il un avenir pour les liseuses, instruments dédiés à un usage spécifique et circonscrit, la lecture immersive de textes, assez proche de l’usage d’un livre imprimé, face aux terminaux multi-fonctions permettant l’interactivité,  reliés en permanence à internet, affichant du texte, mais également les liens hypertextes, des images en couleur, des animations, des vidéos, et rapprochant lecture et écriture ?

Nous somme à quelques petites semaines de la sortie du iPad d’Apple, qui n’est pas le seul modèle de tablette, et qui sera certainement suivi de la mise en vente d’autres modèles, que ce soit celui de Microsoft, ou celui, qui n’a fait l’objet d’aucune véritable annonce mais sur lequel on peut raisonnablement compter, de Google.

Aussi fruste soit-elle, c’est bien la liseuse, objet assez peu sexy, en noir et blanc, à l’ergonomie sommaire, au design incertain, dont l’écran e-paper a l’avantage de ne pas fatiguer les yeux lorsque l’on s’attarde longuement sur un texte, mais l’inconvénient de sembler à première vue plutôt terne et austère, qui a fait l’objet d’une adoption rapide aux USA, avec la mise en vente du Kindle, et a abouti à ce chiffre encore modeste mais déjà significatif de 3% de chiffre d’affaires pour l’édition réalisé grâce à la vente de livres numériques.

Je note au passage avec une petite fierté, que le terme liseuse, que j’ai proposé pour désigner ce type de lecteur, à l’époque dans une discussion sur le site de Bruno Rives, et qui n’a pas fait, loin de là, l’unanimité pendant une longue période, tend à se généraliser. Bruno Racine l’emploie dans le livre qu’il vient de faire paraître, il figurait dans deux récents articles du Monde. Je sais qu’Aldus ne l’aime pas, mais le terme fait son chemin… Mon mari me gronde régulièrement de n’avoir pas déposé immédiatement le nom de domaine correspondant, (liseuse.com et liseuse.fr sont maintenant réservés), mais qu’en aurais-je fait ? Je ne suis ni fabricante de matériel, ni créatrice d’un logiciel, et d’avoir proposé un nom commun facilitant la désignation d’un objet ne me rapportera rien d’autre qu’un petit plaisir à chaque fois que je le vois employé… les petits plaisirs sont sans prix.

Les usages des livres sont multiples. Il existe un grand nombre d’objets particuliers qui n’ont entre eux rien de commun, sinon le fait d’être rangés dans cette catégorie «  livre  » uniquement parce qu’ils sont imprimés sur des feuilles reliées entre elles. Comment imaginer que  ces objets pourraient, une fois numérisés, être utilisés sur des terminaux de lecture ou de consultation identiques ?

Lorsque disparaît ce point commun (impression sur des pages reliées entre elles), parce que ces objets deviennent des objets numériques, il est évident que s’ouvrent à eux des «  destins numériques  » distincts les uns des autres. Les usages sont alors repensés. De nouveaux usages apparaissent. Les frontières bougent. Le paysage se recompose.

On part de ce que l’on connaît, c’est vrai pour les lecteurs comme pour les éditeurs, les auteurs, les libraires. On part des livres, de tous les livres.  Et puis on va vers ce que l’on découvre, vers ce que l’on apprend. On va vers d’autres formes, on entre dans une autre logique : les fichiers, manipulables, qu’il est possible d’agréger ou de fractionner, auquel on peut associer d’autres fichiers, vidéo, son, animation, programmes interactifs. Les fichiers, si légers et fragiles. On apprend à les créer, à leur donner forme, à les contrôler, à les stocker, à les décrire, à les distribuer. On se familiarise avec un vocabulaire nouveau, où les acronymes sont légion : pdf, epub, drm, onix, xml, dtd, api…

D’autres font le chemin inverse. S’ils ont grandi comme nous dans un monde où le savoir se trouvait essentiellement dans les livres, ils se sont vite retrouvés rivés à leurs écrans, leurs doigts galopant sur des claviers. Je ne parle pas des «  digital natives  ». Non, je parle des fondateurs d’Amazon, Google, Apple. D’entreprises dont la plus vieille n’a pas 35 ans, bien différentes les unes des autres, toutes les trois indissociables aujourd’hui des nouvelles technologies et du web, et qui s’intéressent au  livre, chacune d’une façon bien spécifique.

Eux aussi sont partis d’où ils se trouvaient. Leur langue maternelle est celle que nous apprenons péniblement. Nous peinons à nous représenter clairement ce qu’est une base de données. La maîtrise des bases de données est au cœur de leur activité. Eux aussi, s’approchant du livre, ont à comprendre ce qui nous est familier. Les règles du droit d’auteur, certes, pour l’un d’entre eux en tout cas, mais aussi les subtilités dans l’art de décrire et cataloguer les livres, le fait que dans certains pays, le livre n’est pas une marchandise comme les autres et fait l’objet de protections particulières, l’attachement à des notions comme la diversité culturelle, la pluralité de l’offre, le maintien d’un réseau dense de librairies physiques sur notre territoire.

Je m’éloigne un peu de la «  controverse du grille pain  », mais pas tout à fait…  Les objets techniques qui nous sont proposés aujourd’hui pour accéder aux textes numériques le sont par ces acteurs, et nous racontent leur vision du livre et de la lecture. Celui d’entre eux qui s’est construit autour du commerce en ligne des livres imprimés, est, on ne s’en étonnera pas, celui qui vient le moins bousculer la vision traditionnelle du livre. C’est la liseuse, qui essaie d’offrir une expérience de lecture comparable à celle offerte par un livre. Elle est connectable, bien sûr, mais à une seule librairie, évidemment. Et si les livres numériques de chaque utilisateur sont bel et bien stockés dans le «  nuage  » d’Amazon, le fichier est proposé en téléchargement, l’utilisateur se voit proposé une expérience de choix de livre, d’achat, de téléchargement, de stockage, qui est une transposition numérique – plutôt réussie, le Kindle est un succès -  de sa relation aux livres physiques.

Le livre vu par Google est bien différent. Que fait Google ? Ses robots scrutent et indexent le web en permanence, alimentant son moteur de recherche, afin de fournir les réponses les plus pertinentes aux utlisateurs à la recherche d’une information, quelle qu’elle soit. Scruter le web, c’était déjà  beaucoup. Mais scruter le web ET le plus grand nombre de livres possibles… c’était l’objectif du projet Google Book Search. Le livre, pour Google, c’est un immense territoire supplémentaire sur lequel lâcher ses robots, l’opportunité d’offrir en réponse à des requêtes, non seulement des sites web mais aussi des livres, en extraits ou dans leur totalité suivant leur statut juridique. Même si l’on s’attend à ce que Google propose dans les mois qui viennent un terminal, probablement une tablette, le premier outil de lecture proposé par Google c’est n’importe quel terminal permettant d’utiliser un navigateur web, le PC principalement, et les mobiles, de plus en plus. Le web, c’est la terre natale de Google. Le projet Google Editions repose sur l’idée que le meilleur endroit qui soit pour conserver vos livres numériques, ce n’est pas votre disque dur, mais bien le «  cloud  », le serveur perdu quelque part dans l’un des nombreux data-centers construits par Google aux quatre coins du monde, auquel vous accédez en permanence, et dans lequel le risque que vos livres soient malencontreusement perdus ou effacés est bien moindre que si vous les confiez à un disque dur fragile, jamais à l’abri d’une mauvaise manipulation ou d’une panne.

Et Apple, donc, avec le fameux iPad ? Parlons du iPhone, avant, qui est devenu, à la surprise de beaucoup, un support de lecture pour nombre de ses utilisateurs. Mais jusqu’à présent, les livres numériques sur l’iPhone se trouvaient dans une situation de «  découvrabilité  » assez difficile. Pour les applications tout-en-un (lorsque le livre est une application autonome, contenant dans un même fichier application permettant la lecture et le contenu du livre lui-même), le «  magasin  » était l’appStore, où il se trouvait en concurrence avec quantité d’autres applications de tout type. Le terminal, malgré sa taille réduite, a déjà permis à des sociétés innovantes de proposer des «  livres augmentés  » de grande qualité : augmentés de quoi ? De la possibilité de basculer à tout moment du mode lecture au mode audio, de l’ajout de vidéos, de possibilités de recherche. Mais l’iPhone permet également de télécharger des applicatifs de lecture spécifiques (Stanza, l’appli Kindle et quelques autres), qui permettent d’accéder ensuite à un catalogue de livres numériques sans devoir retourner dans l’appStore. Rien de tout à fait équivalent à l’expérience proposée par Apple pour l’achat de musique en ligne avec iTunes.

C’est sur l’iPad qu’Apple va lancer cela : ce sera l’iBooks store. Quelle vision du livre nous propose l’iPad, (enfin ce que l’on a pu voir et lire à son sujet, parce que peu de gens aujourd’hui l’ont eu en main) ?
Probablement pas une vision unique, si l’on parle de l’iPad, qui permettra de surfer sur le web, et donc d’accéder à toutes les offres en ligne. Ce qu’Apple nous montre à travers l’iBooks store de sa vision du livre, seules les quelques copies d’écran et indiscrétions nous permettent de le saisir aujourd’hui. On retrouve, avec la présentation des livres rangés sur une bibliothèque aux étagères en bois, le choix d’Apple d’employer des métaphores très immédiatement identifiables, rassurant l’utilisateur en se référant au monde qu’il connaît.
On fait confiance à Apple pour une expérience de navigation, de choix, et de commande «  frictionless  », c’est ce qui a fait le grand succès d’iTunes. Deux aspects me semblent essentiels en ce qui concerne l’iPad : son format et ses performances (définition, couleur) permettront à des livres qu’il était impossible d’adapter pour une lecture sur liseuse, d’être également maintenant diffusés en version numérique. L’aspect multi-fonctionnel, permettra d’accéder avec un terminal unique à différents types d’objets numériques : applications, jeux, vidéo, et la présence de livres parmi ces objets  semble une bonne chose. La possibilité d’objets hybrides, de faire bouger les frontières, de développer des collaborations entre auteurs, concepteurs de jeux et d’applications, réalisateurs vidéo, apparaîtra comme une évidence.

Choisir ? Pourquoi ? Si nous parvenons à faire ensemble que continue de se transmettre le goût des lectures immersives, celles pour lesquelles notre imagination demeure le meilleur outil pour «  augmenter  » le livre, il y aura probablement pour une longue période place pour ces différentes visions de l’accès à l’univers d’un auteur. Celle qui privilégie la lecture solitaire d’un texte, auquel suffisent les 26 lettres de l’alphabet pour enchanter notre esprit. Celle qui, envoyant les textes dans le nuage, nous permet de les découvrir sans les rechercher, ouvre la voie à des lectures collectives, annotées, partagées, et atténue la frontière entre lecture et écriture. Celle qui, via un objet conçu pour séduire les utilisateurs, pourrait permettre l’apparition d’écritures hybrides, de mariages inattendus, des rencontres de créateurs, et des expériences inédites, à la frontière de la lecture.

Le cow-boy de chez Macmillan

neige2Nous n’avons pas eu un seul rendez-vous, cette semaine, où le nom de Macmillan n’a pas été prononcé. C’est le signe que cette affaire, que nous suivions depuis la France, a eu ici aussi, dans le monde du livre, un retentissement très important. Ce matin chez Hachette Book Group, la personne qui nous accueillait, tout glacés d’avoir parcouru 5 blocks en pataugeant dans la neige, face au blizzard,  a bien sûr évoqué cette affaire, tout comme celle qui nous a accueilis plus tard au siège de  Barnes & Noble. L’une et l’autre nous ont expliqué le buzzword absolu à New York ces jours-ci : le «  Agency Model«  .  Sarah McNally Jackson, qui nous a présenté plus tard la librairie qui porte son nom, et qui se pose de très nombreuses questions sur l’évolution de son métier si une part significative des lecteurs se décide à ne plus acheter que des livres numériques, a indiqué que pour elle John Sargent,  le CEO de Macmillan était un «  vrai cow boy  », qui avait su tenir tête à Amazon. Comment imaginer qu’un libraire indépendant puisse tenir s’il doit être en compétition avec un acteur prêt à perdre de l’argent sur chaque vente de livre numérique ? Fille de libraires canadiens, Sarah, une jeune femme rayonnante, nous dit réfléchir activement à l’ avenir de sa librairie. Il lui faudra savoir offrir ce qui ne peut être proposé en ligne : présence, rencontres IRL avec des auteurs, événements culturels, choix de livres qui perdraient de leur intérêt en version numérique. Elle imagine assez difficilement, comme le font Barnes & Noble, vendre des liseuses et promouvoir le livre numérique dans sa librairie.

A nouveau ce midi le cow boy de Macmillan s’est invité à notre table : assez naturellement, puisque nous déjeunions avec trois personnes de la maison d’édition Farrar Straus & Giroux,  qui appartient à ce groupe. Unanimité, donc,  pour soutenir une action basée sur une vision à long terme, basée sur le volonté de revenir, pour le développement du marché du livre numérique, à un modèle «  sustainable  ».

Nous échangeons également sur la manière dont nous travaillons, et il est assez satisfaisant de constater que nous déployons, des deux côtés de l’Atlantique des efforts très similaires pour aider les maisons d’édition à s’adapter à un monde numérique : même importance accordée au développement d’infrastructures, même nécessité de former à l’utilisation de ces outils, même irruption des réseaux sociaux dans les pratiques de promotion des livres, même interrogations concernant les question des droits.

Informer, expliquer, communiquer, accompagner, partager  : ces efforts, il est nécessaire pour les éditeurs de les faire dans toutes les directions : auprès des auteurs (et ici, des agents, incontournables), en interne, auprès des distributeurs et des libraires.

Si j’en savais déjà long sur le cow boy de chez Macmillan avant d’arriver ici, ayant suivi le western en direct depuis Paris via Twitter et Google Reader, nos interlocuteurs étaient pour la plupart d’entre eux informés des débats franco-français concernant la distribution numérique : la complexité pour les libraires de se connecter avec plusieurs plateformes, et celle, donc , de construire rapidement un hub permettant de router commandes et fichiers, en jouant un rôle d’interface entre les différentes plateformes existantes et les sites web des libraires.

Je suis de près, dès que je trouve un peu de disponibilité, l’actualité du numérique dans l’édition aux USA, et les trois quarts des fils RSS présents dans mon lecteur sont écrits en anglais. Mais j’ai été un peu surprise, de rencontrer ici plusieurs personnes au courant de la problématique actuelle en France concernant la gestion des plateformes de e-distribution. Visiblement, il n’y a pas que nous qui faisons de la veille…

Nuages, nuages…

Il n’est pas question de l’édition, ni, à aucun moment, du livre, dans cet article de the Economist, qui commence par nous parler de Windows 7, dont, je dois dire, je me soucie  fort peu, pas plus que je ne me suis intéressée à Vista dont la seule chose que je peux dire à son sujet est que,  depuis qu’il l’utilise, l’homme de ma vie semble avoir enrichi son vocabulaire de jurons.

Mais le lancement de Windows 7 est présenté, dans cet article, non comme le commencement de quelque chose, mais bien comme la fin d’une époque pour les systèmes d’exploitation, et dans les rivalités qui existent entre les géants de l’informatique. Le centre de gravité, avec le Cloud Computing, s’est déplacé.

«  L’avènement du cloud computing ne se contente pas de déplacer le centre de gravité de Microsoft. Cela modifie la nature de la concurrence au sein de l’industrie informatique. Les développements technologiques ont poussé la puissance de calcul en dehors des hubs centraux : d’abord des  ordinateurs centraux  vers les minis, ensuite vers les PC. Maintenant, la combinaison de processeurs de plus en plus puissants  et de moins en moins chers, et de réseaux toujours plus rapides et doués d’ubiquité, renvoie la puissance vers le  centre en quelque sorte, et même bien au delà, peut-être. Les «  données dans le nuage  » sont, en effet, comme hébergées dans un gros ordinateur  central, sauf que cet ordinateur est public et mutualisé. Et au même moment, le PC est bousculé par une série de terminaux plus petits, comme les smartphones, les netbooks, et peut-être bientôt, les tablettes (des ordinateurs à écran tactile de la taille d’un livre). «  

Il pourrait être tentant de considérer «  l’informatique à la demande  » telle qu’elle est proposée avec le Cloud Computing comme un retour vers  l’informatique dite «  mainframe  », avec ses ordinateurs centraux et ses terminaux. Mais les choses sont cependant bien différentes et la comparaison ne tient pas vraiment la route.

On est bien loin du livre, apparemment. Loin ? Pas si sûr. Car parmi les géants du Cloud Computing, deux ont fait récemment des annonces qui confirment leur intérêt pour le livre :
- Google avec son programme Google Editions, dont le démarrage est prévu courant 2010, j’évoque la chose dans mon précédent billet.
- Amazon, avec l’annonce de son Kindle international, qui vient déjouer les prévisions : il avait été question d’une arrivée du Kindle au Royaume-Uni, suivie d’une ouverture en France et en Allemagne. Cela se fera peut-être aussi, mais Amazon, avec cette annonce, empêche Google d’occuper seul l’espace des médias, qui, ces dernières semaines, font une place considérable à tout ce qui concerne le livre numérique.

Le troisième, Apple, laisse se développer un gros buzz  au sujet de la tablette tactile qui pourrait voir le jour en janvier, et occupe déjà le terrain de la lecture numérique avec le couple iPhone/iPod. Il prend pied aussi dans le Cloud Computing, investissant dans la construction d’un énorme datacenter.

Ces géants de l’informatique et des réseaux s’intéressent à nous. Intéressons-nous à eux, essayons de suivre leurs mouvements, de comprendre ce qui les rassemble et les oppose, les buts qu’ils poursuivent, ce qui les fait courir, toujours plus vite, toujours plus loin.

Première messe

messeJ’en ai croisé qui disaient : c’est ma 42ème, l’un en est même à sa 53ème. Moi, c’était ma première Foire de Francfort, ma première « messe » disent les allemands.
Je n’aime pas beaucoup les foires et les salons, lumières artificielles, bruit de fond, kilomètres de moquette et de mobilier de stand. Mais à Francfort, étrangement, alors que tout est multiplié par dix  (plusieurs halls immenses, chacun sur plusieurs étages, et des kilomètres de couloirs que des tapis roulants tentent de raccourcir), je passe plusieurs jours passionnants, où s’enchainent les rencontres.

Entre les rendez-vous, je m’aventure :

- au pavillon de l’invité d’honneur, cette année la Chine, ou une belle expo nous rappelle l’histoire de l’écriture, et que les Chinois avaient inventé l’imprimerie bien avant notre Gutenberg. Je suis toujours émue d’une manière assez inexplicable devant les témoignages des premiers temps de l’écriture : signes gravés sur une carapace de tortue, un os, une pierre.

tortue

chinoisliseuses

Il suffit de tourner la tête, et on tombe sur une série de liseuses suspendues au dessus d’une rangée d’ordinateurs, toujours des signes, des mots, toujours du sens qui circule entre les gens.

- à l’étage des agents, dont quelqu’un m’a dit qu’il fallait que j’aille au moins y jeter un coup d’œil. Ici, pas de stands tape à l’œil, pas de livres exposés. Des rangées de tables étroites, avec des chaises de part et d’autre, et des dizaines de paires de gens en train de discuter.

agents01

- dans la grande cour centrale, entre les halls immenses, pour déjeuner de saucisses et de pain, emmitouflée dans mon manteau. Une éditrice me l’a bien dit ce matin : « Francfort, pour moi, ça veut dire que l’hiver arrive. »

- dans le Hall 8, celui des anglo-saxons, dont l’ambiance est bien différente du 6, où sont regroupés les français avec d’autres. Mais je ne suis pas là tellement pour comparer les stands impressionnants des uns et des autres, je cherche Mike Shatzkin, qui partage un stand avec quelques autres consultants, et après quelques tours de piste, car il est sans arrêt occupé à discuter avec quelqu’un, je finis par le trouver seul, et passe un bon moment à discuter avec lui. Il est si chaleureux que j’en ai oublié mon anglais hésitant. Il me glisse une pub pour un événement qu’il organise à New York en janvier,  j’aimerais bien y aller.

Avant la «  Messe  », il y a eu la journée TOC organisée par O’Reilly. J’ai entendu Sara Lloyd, dont j’avais aidé Hubert et Alain à traduire le « digital manifesto » l’an dernier. Elle est suivie par Cory Doctorow, dont l’intervention qui pourfend les DRM sera pas mal commentée le lendemain sur la foire, tout comme la conférence sur le piratage de Brian O’Leary, qui tend à démontrer, sur un nombre limité de titres d’O’Reilly, que la mise à disposition non autorisée par l’éditeur des fichiers des livres numériques sur des réseaux peer to peer, le piratage,  tendrait plutôt à favoriser les ventes. Certains (essentiellement un article de the Bookseller, qui est distribué sous format imprimé gratuitement partout dans la foire,  laisse entendre que des éditeurs accusent Andrew Savikas, qui a organisé l’événement, d’en avoir fait un événement plus orienté « informaticiens » que « éditeurs », et de mettre en avant les expériences d’O’Reilly qui édite des livres bien particuliers, essentiellement destinés aux développeurs, en laissant entendre abusivement que ses expériences pourraient fonctionner tout aussi bien pour l’édition grand public.

Je ne sais pas bien de quel côté j’aurai fait pencher la balance, avec mon intervention de l’après-midi : je suis bien quelqu’un «  de l’édition  », et je ne suis pas informaticienne. Pourtant, je dis,  entre autres choses, dans cette intervention : « éditeurs, il va vous  falloir être un peu plus proches de la technologie. Les livres vont devenir numériques, vous vivrez dans un univers un peu plus technique, et il faudra bien vous y mettre un peu, si vous voulez maîtriser ce qui s’en vient. »

Les critiques faites à Savikas me semblent bien peu justifiées. Les commentaires de Sara Lloyd ont été, elle le précise en commentaire sur le blog de TOC,  sortis de leur contexte. Je conçois que certains soient agacés par les prises de position de Cory Doctorow. Mais déformer la pensée de Sara et essayer de jeter le doute sur la qualité de l’événement organisé par les équipes d’O’Reilly me semble un procédé assez douteux. C’est tentant de trouver quelqu’un sur qui taper lorsque l’on réalise qu’il va falloir changer, et vite, si on ne veut pas se trouver complètement dépassé par un monde qui change à toute vitesse. C’est tentant de tomber à bras raccourcis sur celui qui essaie de regarder loin devant et dit « préparez-vous, accrochez-vous, ça va remuer ! ».

Les interventions auxquelles j’ai assistées au TOC n’étaient pas spécialement techniques. Même la présentation faite par Peter Brantley de l’OPDS n’était pas technique, ce qui est une prouesse lorsque l’on parle d’un sujet pareil. Et cette façon d’essayer de minorer l’intérêt d’un événement en stigmatisant ses intervenants et son public est vraiment assez désagréable. On dit « c’est un truc de geeks », et on retourne ne rien faire à propos du numérique, en se disant « il n’y a pas de marché ». On pourra ajouter quelques propos nostalgiques sur l’odeur de la colle et le toucher du papier…

Pour plus de détails, voir le blog TOC, avec les commentaires.

Pendant que je projetais des photos de nuages et essayais d’imaginer, en vilaine geek que je suis, ce que pourrait être le « Cloud Publishing », les rois du Cloud Computing faisaient, dans la salle à côté, l’annonce de l’ouverture prochaine de Google Editions. Cela avait été déjà annoncé il y a plusieurs mois, mais cette fois, même si aucune date d’ouverture n’est encore annoncée, cela semble plus proche, courant 2010.

Cela fait des années qu’on savait que cela allait arriver : les géants du web s’approchent à grand pas et font trembler le sol sous leurs bottes de sept lieues. Seront-ils aussi amicaux que les géants de Royal de Luxe qui ont investi Berlin à l’occasion du début des festivités liées à  l’anniversaire de la chute du mur ?

des métadonnées suffisamment bonnes ?

C’est une chose de critiquer la qualité des métadonnées du programme Livres de Google, c’en est une autre de le faire de façon systématique et argumentée. C’est l’exercice auquel s’est livré Geoff Nunberg et que l’on peut consulter ici.

La réponse de Jon Orwant, responsable des métadonnées chez Google, est intéressante. Loin de nier le problème ou de chercher à le minimiser, il examine une à une les erreurs pointées par Geoff Nunberg et explique leur origine, et la manière dont Google traite ses questions, à l’échelle des millions d’ouvrages qu’il a numérisés.

Joseph Esposito fait (dans la mailing list Read 2.0) un rapprochement entre le parti pris de Google concernant ce projet – privilégier l’accès rapide à une grande quantité d’ouvrages, et améliorer ensuite progressivement la qualité des métadonnées – et le  concept remis à l’honneur dans Wired cette semaine : celui de «  good enough«  . Francis Pisani traduit dans son billet sur le sujet «  good enough  » par «  pas mal  ». Je le traduirais plus littéralement par «  suffisamment bon  », me souvenant du terme  de «  mère suffiisamment bonne«    utilisé pour traduire le concept de «  good enough mother  » proposé par le psychanalyste anglais Winnicott. J’aime cette idée du «  good enough  », essentielleemnt déculpabilisante (pour les mères, qui résistent difficilement à l’envie  d’essayer de devenir des mères parfaites), mais dans beaucoup d’autres domaines aussi. Ça ressemble à première vue à un concept de feignant, celui qui se contenterait d’un «  assez bien  », qui bâclerait le travail, un candidat au «  peut mieux faire  ». En réalité, le désir de perfection est souvent paralysant. Ce concept de «  good enough  » permet au contraire de lever bien des inhibitions, permet d’oser faire un premier pas, celui qui coûte le plus.

Mais ce n’est pas en priorité à cause de la qualité de ses métadonnées que le projet Google Livres, et surtout  le projet de Règlement auquel le procès intenté à Google par les éditeurs et auteurs américains a abouti est violemment critiqué et combattu. Trois principaux reproches sont faits au Règlement Google Books Search  :

- le non respect par Google de la législation sur le droit d’auteur
- le danger de constitution d’un monopole sur l’exploitation des versions numérisées des œuvres orphelines
- le manque de garanties sur le respect de la vie privée

Le délai prévu par le Règlement pour déposer des objections a été prolongé jusqu’au 8 septembre. Et il faudra attendre le 7 octobre, l’audience de la cour de justice américaine chargée de se prononcer sur la validité du Règlement, pour savoir si celle-ci l’aura considéré comme… «  good enough  ».

Un ciel normand

Dan Clancy, directeur de l’ingénierie chez Google, nous donne la vision de Google du futur du livre,  dans cette intervention donnée au Musée de l’histoire des ordinateurs à Mountain View. À  ceux qui s’inquiètent du rôle que pourront jouer les libraires dans un monde où va se développer progressivement le «  cloud publishing  », Dan Clancy envoie un signal qui se veut rassurant :

«  Mais aujourd’hui, les librairies physiques sont une part essentielle de l’écosystème du livre. Et en fait un nombre important de livres sont achetés parce que des gens vont dans des librairies physiques et disent «  hé, je veux celui-ci, je veux celui-là.  »

Et je pense que c’est une erreur de penser qu’à l’avenir, numérique signifiera «  en ligne  » et «  physique  » voudra dire «  off line  ». Parce que s’il advenait que 10% des livres passent au numérique, ce serait vraiment dur pour tous les libraires de maintenir leur modèle économique.

Une partie de notre modèle consiste à imaginer comment nous allons syndiquer à nos partenaires tous les livres récents que nous vendons,  de sorte que chaque libraire puisse vendre une édition Google et trouve un moyen pour que les gens puissent les acheter dans leur librairie «  brick and mortar  ».

Et en définitive, notre projet c’est que vous soyez en mesure de lire sur n’importe quel terminal. Notre projet c’est : quelques uns liront leurs livres sur un ordinateur portable, quelques uns les liront sur un netbook, et d’autres liront sur leur liseuse. Et nous allons travailler avec tout fabricant de liseuse qui veut faire en sorte de pouvoir recevoir ses livres du nuage de Google.

Ainsi, avec ces principes concernant un monde futur, nous sommes en train de construire un monde où il y aura de nombreux acteurs qui revendront des livres, lus sur toutes sortes de terminaux, mais cela sera encore hébergé dans le nuage. Et lorsque nous discutons avec des éditeurs et des libraires, je pense que c’est le bon modèle, parce que nous essayons de faire ce qui devrait être un modèle ouverrt qui encourage la concurence.

Autant de pierres jetées dans les jardins d’Apple et d’Amazon, qui mènent une stratégie bien différente, cherchant chacun à capturer des clients et à les retenir en leur proposant des solutions intégrées et propriétaires. Côté Amazon, une librairie numérique qui compte aujourd’hui plus de 300 000 titres, et une gamme de Kindle, seules liseuses capables de lire ces fichiers.  Côté Apple,  pas encore pour le livre de modèle équivalent à celui du couplage «  iTunes – iPod  » pour la musique. Il y a bien quelques livres dans l’App Store, mais le gros des catalogues est accessible via des applications comme Stanza, (créée par Lexcycle, racheté par Amazon…), qui proposent un accès direct aux livres numériques sans passer par l’App Store. Cependant les supputations vont bon train concernant la tablette Apple, qui devrait sortir à l’automne, et les projets d’Apple autour du livre numérique qui pourraient lui être associés. Et, pendant qu’Amazon nous fait prendre conscience à chacun, à travers un lamentable épisode orwellien, de la fragilité de ce que nous considèrions à tort comme nos «  possessions  » numériques, Google fait ami – ami avec les libraires, et tente de banaliser l’idée d’une forme de cloud-publishing respectant l’écosystème du livre, et en particulier ses acteurs probablement les plus vulnérables, les libraires.

Dan Clancy décrit un univers du livre numérique servi par un seul nuage,  celui de Google. De nombreux revendeurs, et des terminaux variés, certes, mais qui tous s’approvisionnent auprès du gros nuage de Google. Et si les éditeurs souhaitaient héberger eux-mêmes leurs contenus ? Et s’ils voulaient bien du «  cloud publishing  », mais à condition que la concurrence ne se limite pas aux revendeurs, mais qu’elle s’applique aussi à l’hébergement et à la distribution des livres numériques ?  Non pas un seul gros nuage, mais plein de petits nuages, comme ceux d’un ciel normand.

Barnes & Nobles : une offre numérique « device agnostic » ? Il faut le dire vite.

barnesBarnes & Noble vient d’ouvrir sa librairie numérique en ligne. La principale chaîne de librairie américaine (770 librairies dans 50 états…) vient rivaliser ainsi avec Amazon pour la vente des livres numériques.

Son offre est proche de celle d’Amazon sur plusieurs points  : le prix auquel sont proposés les titres les plus demandés  – 9,99 $. Par ailleurs, le modèle intégré  format propiétaire / e-librairie.  La home pourrait nous induire en erreur, qui met en avant, via une série de photos qui défiilent, différents terminaux associés à des contextes de lecture distincts. Sur 4 photos, 3 représentent des personnes de sexe féminin : une jeune femme avec sa fille, qui utilisent un iPhone, une étudiante avec un Mac,  une dame âgée un PC sur les genoux, et une seule représente un jeune homme, qui utilise, lui,  un Blackberry (un truc pro, un truc de mec le Blackberry… Les femmes, elles, elles  vont à la fac avec leur Mac pour essayer de rencontrer un futur possesseur de Blackberry, l’épouser, avoir une petite fille et lui raconter des histoires qu’elles liront sur leur iPhone. Plus tard, quand la petite fille sera partie chercher un mari à la fac, elles iront se reposer au bord de la mer, leur PC sur les genoux. #quartdheurefeministe )

barnesdetail1Les livres numériques de chez Barnes & Noble fonctionnent «  avec le eReader que vous possédez déjà…  » (enfin, sauf si vous possédez une liseuse Kindle, Sony ou Bookeen…)  Ce terminal de lecture, ce doit être en réalité soit un iPhone, soit un Blackberry, soit un ordinateur Windows ou Mac.  Mais l’annonce a été faite que très prochainement, Barnes & Noble allait devenir le revendeur exclusif de la liseuse annoncée par Plastic Logic pour la fin de l’année.

Annonçant 700 000 titres numérisés (parmi lesquels il faut compter
500 000 livres issus du domaine public, et mis à disposition par Google), Barnes & Noble peut revendiquer l’offre numérique la plus vaste jamais rassemblée sur un seul site.

La plupart des titres que Barnes & Noble a trouvés dans le panier de la mariée FictionWise sont au format eReader. Ce format est bien connu des adeptes précoces de la lecture électronique : développé initialement sous le nom de PeanutPress, il a été acheté par Palm et renommé Palm Digital Media, avant de l’être par eReader, absorbé ensuite par FictionWise.  Le logiciel de lecture eReader, qualifié de «  device agnostic  », permet un accès avec ou sans fil à la boutique en ligne de Barnes & Noble. Cette application est compatible avec un très grand nombre de terminaux incluant les smartphones leaders du marché (iPhone et Blackberry), ainsi que les ordinateurs Windows et Mac. «  Device agnostic  » ? Hum…   Cela veut dire simplement que le logiciel  eReader de FictionWise a été porté sur un grand nombre de plateformes. Mais il n’est nulle part mention d’une quelconque liseuse (possesseurs de Kindle, de Sony ou de Bookeen passez votre chemin. ) «  interopérable  » ? Non, vraiment pas. Et pas mal sexiste, leur promo, quand même…

Attention, prospective

C’est en anglais. Ça parle uniquement du contexte de l’édition au États-Unis, différent du contexte européen. À lire quand même : attention, prospective : ça secoue.  Ce sont les slides de la présentation de Mike Shatzkin à la «  Book Expo America  ».  Vidéo et script de l’intervention sur son site.


Stay Ahead Of The Shift

«  Lundi, nous avertit Mike, la vidéo sera remplacée par un lien (que j’ajouterai alors ) vers le texte de l’intervention sur la nouvelle plateorme d’annotation de nos clients, SharedBook. La plateforme permettra de saisir des commentaires par section, et ceci constituera une expérimentation pour Sharedbook et pour nous. Nous espérons que vous serez nombreux à commenter.  »