François Bon pratique depuis bien longtemps le web en tant qu’écrivain, il y a déjà ouvert son atelier, chacun peut passer devant, voir de la lumière, entrer. Il ne s’arrête pas d’écrire, il marmonne un « bonjour » et nous laisse nous promener, feuilleter les carnets qui traînent ici et là, regarder les photos. Si nous voulons, nous pouvons attraper une feuille volante et écrire nous aussi quelques mots avant de repartir sans bruit.
Avec publie.net, on change d’échelle. Il ne s’agit plus seulement de laisser entrer le passant dans son atelier, mais de proposer à d’autres écrivains de faire comme lui, de créer un espace commun, d’y mettre en circulation des œuvres. Pas des « sites compagnons » complétant un ouvrage pour mieux le vendre. Non. Un lieu autonome, diffusant des œuvres inédites sous forme électronique.
Ce faisant, François Bon fait acte d’éditeur, éditeur au sens de « publisher« . Il confirme cela par l’énergie avec laquelle il s’empoigne rapidement avec des questions familières aux éditeurs : réglementation, prix du livre, TVA, ISBN… et dont on discute ferme aujourd’hui sur Nouvolivr’actu.
Internet rend possible la mise en circulation des biens d’une façon inédite, on l’a observé avec l’immense succès d’un site comme eBay : Internet permet le « many to many » (beaucoup de gens peuvent entrer en communication avec beaucoup de gens), et on a encore du mal à en réaliser toutes les conséquences. Cela déstabilise forcément un peu les happy fews nostalgiques de l’époque du « few to many » (peu de gens peuvent entrer en contact avec beaucoup de gens). Je trouve heureux et logique que des écrivains s’emparent de ces nouvelles possibilités, qu’ils soient parmi les premiers à sauter le pas. Loin d’une logique de « business model », mais dans un élan d’expérimentation qui va bien : tous les mots sont adultes, et le web est à tout le monde…
La notoriété de tiers-livre sur le web fait cependant de publie.net un « many » pas tout à fait comme les autres : il existe déjà un grand nombre de plate-formes de publication, ouvertes par de complets inconnus, certaines proposant des textes à la vente… sans grand succès. Mais il n’en est pas des textes comme des appareils photos ou des canapés-lits. Ce qui inquiète le lecteur ce n’est pas que l’ouvrage qu’il commande soit en bon état, c’est qu’il présente de l’intérêt. Et qui peut lui garantir cela, sinon quelqu’un en qui il a confiance ? Quelqu’un dont il a suivi pendant des mois ou des années les commentaires de lecture, les récits de déplacements, les mouvements d’humeur ? Quelqu’un qui sait de quoi il parle, puisqu’il est lui même un auteur ?
Publie.net est particulièrement intéressant parce qu’il est ancré à tiers-livre, lui même inscrit dans plusieurs réseaux, réseaux sociaux et réseaux de blogs. Une inscription qui ne peut ni s’improviser ni s’acheter, mais seulement être obtenue à l’issue de longues heures de conversation et de partage. Question : les instances de légitimation des textes numériques seront-elles des maisons d’édition 100% numériques ? Les éditeurs traditionnels devront-ils effectuer leur propre numérisation (non pas uniquement la numérisation de leur fonds ou de leurs nouveautés, mais la leur, c’est à dire le déploiement de leur existence sur le web) ?