fracture numérique

Deux témoignages me frappent lors du forum « Pour une nouvelle dynamique de la chaîne du livre », cet après-midi à la SGDL. Un peu en marge du débat qu’il modère, Pierre Assouline indique que depuis deux ans à peu près, à Sciences Po où il enseigne, il n’a plus en face de lui les visages de ses étudiants, mais une forêt de capots d’ordinateurs. Tous ses étudiants sans exception sont équipés, et prennent directement des notes sur leur portable. A peine a-t-il fini de poser une question qu’ils googueulisent immédiatement ses termes pour fournir la réponse trouvée dans Wikipedia.

Dans l’assistance, Benjamin Renaud,  enseignant-chercheur en musicologie tient à préciser qu’à Paris VIII, il a toujours bien en face de lui des visages : ses étudiants ne sont pas équipés. Rue St Guillaume / St Denis : la fracture numérique se confond avec le Boulevard Périphérique, mais ça, on s’en doutait un peu.

La deuxième fracture numérique est moins visible : elle se situe, parmi les étudiants équipés, entre ceux qui vont accéder rapidement à quelques notions leur permettant d’utiliser à meilleur escient des (et non pas un) moteurs de recherche, et d’accéder au Web au delà des trois premiers résultats ramenés par Google… Souhaitons que ceux de Paris VIII puissent rapidement et simultannément réduire ces deux fractures : celle de l’équipement, et celle de la connaissance.

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6 réponses à fracture numérique

  1. FB dit :

    eh ben, ça va vite les nouvelles (tu envoies les posts depuis Velib ?)

    site de Benjamin Renaud, le musicologue de Paris VIII :
    http://www.tache-aveugle.net/

  2. le musicologue de Paris 8... dit :

    (Bonne idée, François : il faudrait militer pour avoir une borne Wifi à chaque borne Vélib, soit une tous les trois cents mètres !)

    Je ne sais pas si la fracture est seulement affaire de périphérique : j’imagine qu’à la Sorbonne aussi il y a encore de vrais étudiants, et pas uniquement des capots d’ordis. J’ajoute que, si j’aimerais bien entendu que tous mes étudiants aient un jour un équipement informatique convenable, ce ne sera pas pour autant que je les autoriserai à les sortir en cours ! (Je sais de quoi je parle : je fais cours une semaine sur deux en salle informatique pour travail sur logiciels maisons, pas facile de les garder concentrés — et encore, je ne les ai pas prévenu que les micros sont tous connectés au web !)

    Ceci dit, cela n’empêche pas la fracture périph : la sociologie moyenne de l’étudiant de la Sorbonne n’est pas exactement celle de l’étudiant de P8 — et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis exilé là-bas !

    Reste que sur certains points la fracture s’inverse : ça reste du cas par cas, mais j’ai l’impression que les collègues (même les jeunes comme moi) de Paris IV ou Paris I avec qui je suis amené à bosser, sont pour l’instant plus attachés à certains modèles dépassés (publication papier à tout prix, pour des contenus types actes qui seraient mille fois mieux en ligne — et beaucoup plus lus).

    Bref, ça bouge, mais beaucoup trop lentement dans certaines disciplines, comme la mienne, hélas.

    Et ça ne peut se faire que collectivement : l’an dernier j’avais voulu organiser une séance de mon cours de méthodologie en salle informatique, pour leur apprendre à utiliser Google intelligemment, à utiliser Google Scholar, à utiliser les portails de revues auxquels la bibliothèque de la fac est abonnée, etc. J’ai dû abandonner mon idée : pour leur apprendre à chercher, encore fallait-il qu’il y ait quelque chose à chercher ! Dans des secteurs embryonnaires comme le mien (musicologie non seulement, mais musicologie jazz qui plus est : la tribu est toute petite), il n’y avait absolument rien de valable, nada !

    Alors on continue, on discute avec les collègues, on tente de les convaincre… fortes inerties ! à suivre, donc.

    amicalement

    BR

  3. Je suis convaincu qu’on voit là les prémices de changements profonds dans la façon de penser où le cerveau externalise de plus en plus de contenus. Avant l’ordinateur et encore plus avant le Net, un cerveau devait être entraîné à garder beaucoup de choses en mémoire pour alimenter sa réflexion et porter l’action. Aujourd’hui, surement encore plus dans le futur, on peut se passer de savoir de nombreuses choses, pour se limiter à savoir comment les trouver vite dès qu’on en a besoin. Je suis sur que cela change la pensée elle-même. Il n’y a plus les mêmes voisinages dans le cerveau, les mêmes collisions entre pensées, les mêmes vagabondages.

  4. Marcel dit :

    @JC Moissinac

    Bien d’accord avec vous sur cette démission progressive, ces abandons successifs de souveraineté cognitive.

    Il est possible que nous fassions de plus en plus régulièrement l’expérience de situations où une contrainte légère (par exemple, une coquille anodine dans une référence) semble capable de freiner la mobilisation de nos capacités.

    Ce sont les compétences variées qui fondent les processus de résolution de problèmes qui commencent à être attaquées: construction de la représentation du but à atteindre, analyse des contraintes, planification et suivi de l’exécution, etc. Dans ces processus, la métacompétence (compétence de la compétence) qui permet les éventuelles remises en cause de la stratégie se voit disparaître, asphyxiée, ou dans le meilleur des cas, privatisée.

  5. Sur l’externalisation du cerveau il y a un texte assez intéressant dans le dernier Wired (en anglais): http://www.wired.com/techbiz/people/magazine/15-10/st_thompson

  6. Ping : à c’t’âge-là |

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