Tourner les pages d’un M@nuscrit

On peut depuis quelques jours accéder sur le site des éditions Léo Scheer, à un nouvel espace de publication en ligne joliment nommé M@nuscrits. L’idée, publier sur le site, pour une durée limitée, des manuscrits « bruts », tels que leurs auteurs les ont voulus, et sur lesquels aucun travail éditorial n’a été effectué, et ouvrir ces textes aux commentaires.
Aucun ? Aucune correction, pas de relecture, pas de réécriture de la part de l’auteur après des remarques de son éditeur, certes. Mais malgré tout, une « publication » dans une forme particulière. Une publication, c’est à dire un dévoilement, le fait de rendre public un texte, non pas dans une quelconque aiguille perdue dans la meule de foin du web, non : sur le site d’un éditeur, un éditeur indépendant et reconnu, ayant pignon sur rue et… « pignon sur web ».

La forme prise par cette publication est intéressante aussi. Les m@nuscrits « bruts de décoffrage » auraient pu être mis en ligne tout simplement avec une mise en page de type « blog » ou « site web » : une colonne de la largeur qui rend confortable la lecture, des hauteurs de pages qui demandent un peu de défilement vertical aux écrans de portables et très peu aux écrans d’ordinateurs fixes, la possibilité en haut comme en bas de la page de passer à la page suivante, de revenir à la précédente, et l’affichage des numéros de pages suivantes. (comme dans Google).

Un autre choix a été fait, celui de l’interface qui simule le livre papier, avec ce petit effet de tourne page toujours assez bluffant, un artefact de page qui s’enroule légèrement en bas de l’écran à droite, vous indiquant « cliquez par là, il est bien possible que cela me fasse tourner ».

Si les manuscrits ne font l’objet d’aucune correction, ils auront cependant affaire à ce traitement qui consiste à les présenter sous la forme du livre que la plupart d’entre eux ont une faible de chance de devenir.

Pourquoi le choix de cette forme ? Il est assez efficace en ce qu’il donne justement à ces textes un statut particulier, reconnaissable, distinct des milliards de textes présents sur le web. Il pourrait paraître cruel s’il était interprété comme une sorte de « lot de consolation » : non je ne vous aiderai pas à faire de votre texte un objet publiable, mais je vous offre la possibilité de le rendre accessible aux lecteurs sous une forme intermédiaire, simulons en ligne son existence en tant que pseudo-livre, dans une sorte de « librairie virtuelle des refusés »…

Il est intéressant de mettre cette expérience des éditions Léo Scheer dans son contexte : cette première publication s’est effectuée à la suite d’un vif débat entamé sur le blog des éditions L.S. entre Léo et des « Wannabes », soit des auteurs « désireux d’être publiés », dont certains sont d’actifs blogueurs et partagent leurs expériences avec (ou sans / contre…) les éditeurs.

Une façon pour cet éditeur de dire : je ne peux pas transformer en « livre papier » et envoyer tenter leur chance sur les tables des libraires les centaines de manuscrits que je reçois chaque année, c’est impossible. Mais pourquoi ne pas offrir à ces textes que leur auteur à mené suffisament loin pour souhaiter les adresser à un éditeur, un espace de publication ? Pourquoi ne pas permettre une rencontre avec le public ?

L’expérience est intéressante, et j’aime la vivacité de la démarche. On pourrait presque parler d' »édition agile » : derrière ce nouvel espace, je ne crois pas qu’il y ait eu 6 mois d’études marketing, un cahier des charges de 120 pages, des tests utilisateurs. Non : simplement une idée, un éditeur familier de la culture web, un auteur, Géraldine Barbe, qui accepte de tenter l’aventure, un développeur efficace, et un « écosystème » (dont ce blog, tout comme le tiers livre, Aldus, La piqûre, la petite île, Ce métier de dormir, Poétiques en cours et d’autres font partie) pour accueillir et commenter l’initiative. À suivre !

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7 réponses à Tourner les pages d’un M@nuscrit

  1. F dit :

    bravo pour le dernier paragraphe (tu parles en connaissance de cause ? ) – l’idée de léo semble être en plus que les manuscrits puissent être « déposés » automatiquement sur cette partie de son site, et pourquoi pas y piocher un premier texte à publier…

  2. Don Lorenjy dit :

    Il est vrai que l’initiative de Léo Scheer est déjà un succès : on en parle, et souvent en bien. Pour l’auteur (Barberine en l’occurence), bien que l’éditeur ait dit n’avoir apporté aucune correction et aucun jugement sur le manuscrit, c’est déjà une sorte de caution.
    J’ai peur cependant qu’à terme, cette initiative pionnière se noie dans la pléthore ambiante. Dans la perspective de l’évolution numérique du livre, j’attendrais plutôt d’un éditeur qu’il fasse un tri, une sélection, avant de proposer les manuscrits sous son enseigne. Sinon, il ne sera qu’un robinet de plus alimentant la cascade de textes disponibles, personnes ne lisant plus rien d’autre que les textes des copains ou les rares qui auront bénéficié d’un bouche à oreille dépassant leur « zone de copinage ».
    Mais Léo Scheer semble vouloir conserver la pureté de l’idée en n’appliqaunt aucun filtre. Idéologie ?

  3. Je trouve l’initiative vraiment intéressante. Intéressante, car elle amène des lecteurs/auteurs sur le site d’un éditeur avec des motivations positives. Cela peut même donner naissance à des mouvements communautaires et à des remontées des lecteurs/auteurs intéressantes.

    Sur Lulu, il n’y a pas d’intérêt à venir discuter des oeuvres autres que celle de rencontrer leurs auteurs et d’autres auteurs. Mais parler de manuscrits qu’un éditeur trouve intéressant et sur lequel il hésite par exemple, peut permettre de développer des arguments, de générer des remarques sur le textes pouvant l’améliorer. Ici, venir discuter, commenter à un sens. On souligne les faiblesses, on « aide un auteur »… Les lecteurs font une partie du travail que l’éditeur n’a pas le temps de faire sur certains manuscrits (ceux qui ne sont pas si mal par exemple, mais auxquels il manque quelque chose pour être publiés). Enfin ce travail porte ses fruits : fait sur le site de l’éditeur, celui-ci s’y intéresse forcément… Le message passe comme on dit.

    Imaginons cela généralisé chez les éditeurs et on pourrait tout à fait voir des communautés d’intérêts naître un peu partout.

  4. F dit :

    quand j’avais pu lancer cette mini collection au Seuil, j’avais annoncé que je mettrais en ligne ces démarches qui nous parviennent, avec évidemment plein et plein de tentatives plus qu’intéressantes, mais décider de publier, surtout avec créneau si restreint, c’est une sorte d’alchimie – mais eu l’impression de « refuser » (ou alors on passerait son temps à ça, comme le blog que tu signalais avant-hier) – alors du coup ai eu l’impression que si je mettais en ligne ces textes lus, mais pour lesquels il n’y avait pas eu décision de suivre jusqu’au bout, c’était les priver d’aller à la rencontre du lieu, ailleurs, où pourrait se produire la même alchimie… ce n’est pas pour autant une question d’opacité et secret (me convient de plus en plus l’idée qu’avec le Net mon atelier d’auteur peut avoir vitrine sur rue, comme le fait mon copain luthier) – mon envie d’aller vers un catalogue de textes à télécharger, mais avec statut d’ « édition » quand même, non pas le tout venant de lulu et autres in libro veritas, mais catalogue coopté, qu’on a envie de défendre, et qui suppose aussi rétribution, je la souhaite encore mieux depuis l’initiative Léo

  5. Marie dit :

    A contrario de Don Lorenjy, je ne ressens pas la mise en ligne du texte de Géraldine Barbe comme une caution.
    Encore une fois, beaucoup d’incertitudes sur ce qui va découdre de l’expérience, ce qui la rend d’autant plus intéressante. Comme le précise lui-même Monsieur Scheer, il s’agit là d’une phase test.

    A suivre, donc.

  6. ck dit :

    Reste toujours et encore le problème des contrats et de la rétribution de l’auteur, de l’éditeur (pas de faire des bénéf, on n’en est pas là, mais de ne pas perdre d’argent). De comment trouver l’équilibre avec tout ça, un équilibre entre auteur et éditeur, soit diffusion la plus complète possible, sous quelque support que ce soit (liseuse, bouqineur, ordi, livre, etc.), dans quelque langue que ce soit, pour une durée indéterminée – et longue si possible.

  7. Alain Pierrot dit :

    @ck
    Il y a matière à réflexion — et discussion — sur O’Reilly Radar et if:book, à propos du prix des livrels sur la liseuse Kindle.
    L’analyse économique de Tim O’Reilly repose à mon sens sur des considérations solides : un modèle de diffusion recourant à la publicité ne peut tenir pour la plupart des livres. Au fil de la lecture des commentaires, il me semble que l’on peut y trouver matière à réflexion sur les conséquences des différentes approches de la rémunération des éditeurs et des auteurs selon les pratiques du droit du copyright et du droit d’auteur.

    Pour ce qui est de la durée «longue si possible», je pense qu’il faut y regarder de près : les auteurs (et leurs ayants-droit) ne peuvent y trouver leur compte dans la situation actuelle, où les obligations de l’éditeur s’arrêtent à un maintien de stock et de disponibilité, suffisante dans le cas de l’imprimé mais pas dans le cas du numérique.

    Il faudrait soit une obligation de diffusion effective mesurable, soit plutôt une reconsidération du lien contractuel entre éditeur et auteur. C’est ce qu’Alain Absire (SGDL) soutenait dans Le Monde du 16 novembre. Un raccourcissement rapprocherait du système du copyright. On peut sans doute imaginer toutes sortes de solutions, mais lesquelles et comment les spécifier ?

    Un peu de « remue-méninges » et de conversation à mener…

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