Vendre ou donner ?

Pléthore de débats sur la gratuité, en écho à l’article de Jeff Bezos Chris Anderson (merci Guillaume, ce que c’est de bloguer à pas d’heure…) dans Wired.

Petit revue des blogs :
– Chez André Gunthert, à propos d’une vive discussion sur la liste Revues SHS, concernant la gratuité des revues en ligne.
– Sur Affordance, où sont répertoriés les différents modèles proposés par Anderson
– Chez Pierre Assouline (commentaires malheureusement très souvent ineptes, Pierre, faites quelque chose, c’est chez vous tout de même !)
– Sur Internet Actu (nouveau design et nouvelles fonctionnalités pour le site)
– Sur le blog des éditions Léo Scheer.

Peut-être le moment de relire Walter Benjamin, « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » ?
Ou bien « Le Prix de la vérité : Le Don, l’argent, la philosophie«  de Marcel Hénaff ?
Extrait de sa quatrième de couverture :

« Contrairement aux Sophistes qui exigent d’être payés, Socrate parle gratuitement. Il peut cependant accepter des présents qui répondent au don qu’il transmet. Il le faut même, assure Aristote, car le savoir n’est pas mesurable. Mais qu’est-ce donc que donner ? Est-ce offrir quelque chose ? L’enquête anthropologique montre que le problème est ailleurs : donner, c’est reconnaître pour être reconnu. Donner, c’est se donner dans ce que l’on donne. C’est défier pour lier. Mais comment cela s’articule-t-il avec le don fait aux divinités ? Qu’est-ce qui appelle le sacrifice, l’immolation de l’offrande ? S’agit-il d’éteindre une dette ? Pour cela, faut-il un don unilatéral, une grâce ? Qui peut unir souverainement une communauté par une faveur offerte à tous ? On pressent que la relation de don est au coeur du lien social. Le mouvement du don diffère de l’échange marchand. Celui-ci, lié à l’outil monétaire et au modèle du contrat, possède sa nécessité économique, politique et éthique propre dans la cité de la différenciation des tâches. Le don relève d’un autre ordre et affronte cette question : qui est autrui et pourquoi autrui m’oblige-t-il inconditionnellement ? »

Mettre un lien vers ces deux livres, une façon de dire que je n’ai pas de réponse à cette question de la gratuité, et donc envie d’essayer de trouver des outils pour y réfléchir… Alain Pierrot (qui questionne les affirmations d’Anderson dans ses commentaires sur un post précédent) m’avait déjà indiqué il y a quelque temps l’article de Kevin Kelly cité dans Internet Actu (traduction française) et qui m’avait paru particulièrement pertinent : chercher ce qui, justement, peut échapper à la reproduction, ce qui ne se duplique ni ne se numérise…

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10 réponses à Vendre ou donner ?

  1. Guillaume dit :

    Ma contribution (de poids) au débat, un petit correctif : l’article de Wired n’est pas de Bezos, mais de Chris Anderson… La gratuité chez Amazon ne concerne que les frais de ports !

  2. karl dit :

    intéressantes discussions mais avec le mauvais terme au départ, car rien n’est finalement gratuit. Les coûts peuvent être marginaux ou déplacés, une entreprise peut décider de remplacer une perte par un gain là, mais la gratuité n’existe pas en tant que telle.

    Au terme de gratuit, je préfère celui de don comme dans l’accroche du livre de Marcel Hénaff. Il y a une transaction qui s’établit avec de nombreuses natures. Les gens sont souvent prêts à abandonner une partie de leur liberté (consciemment ou pas) pour un service dit gratuit.

    Le service public n’est pas gratuit par exemple, il a juste un coût distribué en fonction de différents critères économiques et sociaux.

    Par exemple, Guillaume illustre bien le propos « La gratuité chez Amazon ne concerne que les frais de ports. » En fait ils ne sont pas gratuits. C’est juste que Amazon a suffisamment de volume d’affaires pour rogner sur ses bénéfices potentiels et ainsi en proposant un service sans frais de port, s’attirer un volume encore plus grand d’acheteurs.

  3. Aldus dit :

    ce thème de la gratuité et l’intervention de Régis Debray m’ont inspiré ce petit exercice de style « Je fais un rêve… » qui en vaut bien d’autres…

  4. Aldus dit :

    A propos de « 20% gratuit en plus » j’ai vu récemment un reportage sur les restaurants qui réduisaient de 10 à 15% les portions dans les assiettes avec les hausses des matières premières. Quand la réalité économique rattrape le marketing…

  5. Jean-Claude Moissinac dit :

    …une réaction à chaud à la question
    « chercher ce qui, justement, peut échapper à la reproduction, ce qui ne se duplique ni ne se numérise »

    une réponse: les odeurs, les gouts (duplication restreinte, numérisation à peu près inexistante) qui nécessitent en général de la proximité
    est-ce le point de départ d’une réflexion?

  6. Aldus dit :

    C’est incroyable comme ces derniers termes peuvent s’appliquer aux bons libraires, vous ne trouvez pas ?

  7. MaBm dit :

    Bonsoir Virginie
    Je viens de rentrer du salon du livre ou j’ai écouté Bruno Racine (BNF), Serge Tisseron, Bruno Patino (Monde informatique), Stéphanie van Duin (Hachette) et Michael Dahan (bookeen)
    se demander si le livre électronique est l’avenir du livre.
    Dans le débat il m’a semblé qu’il y avait en fait trois questions
    et trois réponses différentes :
    – le support électronique est-il l’avenir (et la fin) du papier?
    C’est bien possible et déjà valable pour la presse…
    – Le débat d’idées, la création intellectuelle aura-t-elle lieu ailleurs que dans
    les livres ? Oui et non, ni plus ni moins qu’avant… La création, le débat sont opportunistes et vont là où ils trouvent de l’espace. Un nouvel espace à conquérir, c’est plutôt une aubaine, mais aussi de nouveaux savoir-faire à acquérir.
    – Le nouveau modèle économique que représente le livre électronique est il compatible avec le modèle économique de la chaîne du livre telle qu’elle existe actuellement ? Euh… C’est là que ça coince, non? A tous les étages…
    Alors il faut imaginer une autre façon de « vendre » les idées, les créations éditoriales, qui s’adapte au lieu de freiner l’évolution.
    Au delà des avancées technologiques, c’est sûrement un tout autre rapport économique entre auteurs-éditeurs-diffuseurs-lecteurs qui va s’imposer… Mais lequel?
    MA

  8. Alain Pierrot dit :

    Encore des doutes sur le billet d’Anderson, et un plaidoyer sur la valeur de l’information et du professsionnalisme…

    Le chiffre d’affaire de la publicité va décroître

    Je suis perturbé du fait qu’une nouvelle vague de réseautage social et de sites Web 2.0 soit financée par la publicité. Parce que je fais une simple déduction (le jeu de mot est voulu) de la théorie que la publicité en ligne est plus efficace que les annonces radio, télé et imprimées. Que ce soit à travers Google AdSense, le ciblage géographique ou d’autres techniques, on dit aux annonceurs qu’ils peuvent atteindre exactement autant de consommateurs réellement intéressés par leurs produits en faisant moins de publicité.

    Par conséquent, à moins que les consommateurs n’achètent beaucoup plus de produits, le montant dépensé en publicité dans une économie consolidée décroîtra au fur et à mesure de son passage en ligne. Acheter plus de produits conduit à ses propres conséquences économiques et écologiques.

    Les financements de l’information vont décroître

    Anderson prétend que l’information gratuite peut être financée par des versions ‘premium’ et les ventes des produits en relation. Par exemple, un vendeur d’ordinateur pourrait payer pour de l’information sur un dispositif mobile pour en vendre plus d’exemplaires.

    Mais dans une économie globalisée, comme nous le savons tous, on peut faire pousser ou fabriquer n’importe quoi en maint endroit différent, comme un produit de base [commodity]. (La hausse des coûts de transport changera radicalement cette équation, mais aura un tel effet de rupture sur la capacité à vendre les biens que je ne peux la considérer ici.)

    Par conséquent, la décroissances des marges sur les produits physiques du monde réel conduira à une décroissance de l’information gratuite.

    Et si vous espérez vendre de l’information ‘premium » — comme nous le faisons chez O’Reilly — votre modèle ne marche que tant que personne d’autre ne trouve moyen de fournir gratuitement quelque chose d’une qualité acceptable.

    Les usagers en ont assez de fournir gratuitement de l’information

    Beaucoup des modèles d’Anderson et des sites Internet actuels tirent profit des contributions des usagers, un phénomène qui appelle plus de recherche économique, comme je le disais en 2006. De plus en plus, nous lisons des rapports sur la prise de conscience des usagers. Ils demandent pourquoi des sociétés sont à même de passer des accords de millions et miliiards de dollars fondés sur de l’information gratuitement fournie par les usagers. (Sans même considérer ici les problèmes courants de respect de la vie privée.)

    La tendance à long terme de l’information en ligne pourrait bien aller vers les formes GPL et Creative Commons d’information gratuite, où les usagers ont la garantie qu’ils peuvent en tirer bénéfice.

    Je ne conteste pas l’assertion d’Anderson qu’il y a un phénomène croissant d’information gratuite. Des contournements astucieux des limites que j’ai décrites peuvent apparaître. Mais je pense simplement que l’état actuel de l’information est extrêmement volatile et que le phénomène prendra des directions très différentes de ses six modèles. « Free as in freedom » [gratuit comme libre ?] pourrait avoir le dernier mot.
    De plus, la qualité professionnelle a un coût, aussi projets et industries doivent-ils trouver les moyens de la financer.

    Traduction partielle du billet d’Andy Oram To be free, information has to be smart (comments on Chris Anderson’s « Free! »)

  9. Bonjour Virginie,

    Merci pour ce billet, très riche en nouvelles pistes à parcourir.
    Pour l’instant, je me contenterai d’ajouter à votre liste [Confiance, Immédiateté, Personnalisation, Interprétation, Authenticité, Accessibilité, Incarnation, Mécénat, Trouvabilité] crédibilité et réputation.

    Jean-Marie

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