Détournement de tags

Comment s’y retrouver parmi un grand nombre d’informations, trouver celles que l’on cherche, correctement  ranger et classer celles que l’on produit ?

(Ceux qui savent ce qu’est un tag, vous pouvez sauter les quatre paragraphes suivant.)

La question n’a pas attendu internet pour se poser. Elle se pose assez rapidement dès que l’on dispose d’une quantité de choses qui dépasse un nombre finalement assez réduit. Prenez simplement le disque dur de votre ordinateur. Un utilisateur novice stocke volontiers dans un premier temps ses fichiers sur le bureau. Il a le sentiment que c’est là qu’ils seront le plus accessibles, le plus « à portée de main ». Et il a raison. Tant qu’il règne sur une vingtaine de fichiers. Il peut les retrouver ainsi. Il les a à portée de la main. Mais très vite, l’écran du bureau est entièrement saturé d’icônes, et il faut bien trouver un autre moyen. Alors se pose la question du classement. On apprend qu’on peut mettre les fichiers dans un dossier. On est dans une  analogie avec le monde des atomes : mettre un document dans une chemise, la chemise dans un dossier, le dossier sur une étagère. Et décider du nom du dossier, de sa place sur l’étagère. Et traiter le cas atroce des documents qui pourraient aussi bien être classés dans ce dossier que dans celui-ci. Se donner des règles. Créer un affreux dossier « divers », un épouvantable dossier « à trier ». Pire, dupliquer un document pour qu’il figure dans deux dossiers différents, et ne plus jamais penser, si on en modifie une occurrence, à modifier aussi l’autre, et avoir deux documents qui devraient être identiques et qui ne le sont plus.

Je me fais beaucoup moins de souci concernant le rangement de mon disque dur depuis que j’ai accès à un moteur de recherche qui parcourt non seulement les mots du titre de mes fichiers, mais les mots contenus dans ceux-ci. J’ai adopté un système de classement qui en vaut un autre, et, au moindre doute, j’utilise plutôt le moteur. Je n’ai pas besoin de savoir très précisément « où » j’ai rangé chaque document, j’ai juste besoin de savoir quels termes je dois taper dans le champ de saisie pour fournir au moteur le meilleur indice pour retrouver le fichier que je cherche.

Faute d’autres informations, un moteur de recherche utilise toutes celles que le document lui offre : son titre, le plein texte contenu dans le document, sa date de création, sa nature. Mais on peut ajouter, pour un document, de façon intentionnelle, des éléments qui ne seront destinés qu’à favoriser sa « trouvabilité ». On peut aussi ajouter à chaque document des étiquettes contenant de l’information sur le document lui même, sur la nature de son contenu. Ce geste de qualifier un document, de donner de l’information à son sujet dans le but d’améliorer sa capacité à être trouvé, c’est ce que l’on appelle l’indexation, lorsque le geste est réalisé dans un monde de termes plus ou moins contrôlés, et on parlera de « tags » (que l’on traduit par étiquette, label ou mot-clé) lorsque les termes employés pour renseigner un contenu seront librement choisis par celui qui  pose le tag. On comptera sur le fait qu’un grand nombre de personnes déposeront un tag sur un contenu pour que se dégage une hiérarchie des termes choisis pour décrire un même contenu, en fonction du nombre de fois que le terme aura été choisi par une personne pour ce faire.

Bon, pourquoi je me lance dans cette longue explication ? Elle est tout à fait  inutile pour tous ceux d’entre vous qui savent déjà tout cela – mais j’aime bien penser aussi à tous ceux qui ne le savent pas, éviter l’entre soi, et permettre à ceux qui viennent de commencer à s’intéresser à ces questions de trouver quelques repères.

Alors, pourquoi parler des tags aujourd’hui ?

Parce qu’il existe aussi des usages des tags qui vont au delà d’une simple description de contenu. Ou plutôt, un tag, cela permet d’associer à un ensemble d’informations un mot clé, rien de plus.  L’usage principal du tag, qui nous fait penser qu’il s’agit là de sa définition, a été de considérer que le mot clé donne de l’information sur l’information, de la manière la plus objective possible. Mais cette idée que le tag informe, et qu’un « bon tag » est celui qui va faciliter la recherche, qui va informer précisément sur le contenu d’une information, est une idée pieuse. En réalité, on peut utiliser les tags de bien des manières. La décision de la nature de la relation que le tag entretient avec l »ensemble d’informations à laquelle on l’associe est prise par celui qui « pose » le tag, et il n’existe aucune « haute autorité » du tag. Le risque que vous prenez en taggant un ensemble  d’information de façon fantaisiste, est, si cette information est taggée par un grand nombre de gens, que votre tag passe inaperçu dans le nuage de tags, où les tags les plus utilisés apparaissent en plus grand que les autres. Si vous êtes le seul à tagger, vous induirez simplement la personne qui utilisera votre tag inadapté en erreur, et elle pourra être (mais pas forcément, car la sérendipité emprunte parfois de drôes de chemins…)  mécontente de trouver le document ainsi taggé en réponse à sa requête.

Maintenant, il est possible d’utiliser le tag de façon différente : non pour faciliter l’apparition de la portion d’information taguée en réponse à une requête portant sur le sens, mais pour créer de manière conventionnelle un lien entre des contenus divers, qui permettra de les regrouper dans un but particulier. L’exemple des hashtags dans twitter correspond à ce cas : lorsque l’on souhaite faire en sorte de créer un fil thématique dans twitter, il suffit d’ajouter un hashtag et de communiqur la signification de ce hashtag à la communauté de gens susceptibles d’être intéressés, et le tour est joué. C’est le cas de tous les hashtags concernant un événement, conférence ou autre, qui permettent de suivre tous les tweets de ceux qui publient des micro-billets en direct depuis l’événement concerné.

Un autre exemple aujourd’hui, assez spectaculaire :

Amazon permet aux visiteurs de son site de tagger les livres mis en vente sur son site. Sur la version française d’Amazon, on ne parle pas de « tags » mais de mots-clé. Les visiteurs peuvent ajouter des mots clés à un livre, en choisissant de voter pour des mots-clés déjà présents ou d’ajouter des mots-clés de leur choix si ceux-ci ne figurent pas déjà dans la liste existante.

Le corolaire est bien sîr qu’il est possible d’effectuer une recherche via ces mots-clé. Faites-donc une recherche sur amazon US avec le tag  « 9 99boycott », et essayez de deviner ce que peuvent bien avoir de commun les livres qui apparaissent en réponse.

Allez, je vous aide je vous donne le lien. Et puis je vous traduis l’information sur la signification de ce tag, disponible dans une discussion, toujours sur le site amazon, associée au tag en question :

 »  Le prix des livres pour le Kindle ont augmenté.
Juste aujourd’hui, j’ai trouvé un roman pour 10 $ dans la boutique Kindle – alors que la version grand format est disponible pour 9 $.
Adressons un message aux éditeurs :
Faire payer 11$ un roman en livre de poche – sans livre de poche – est ridicule.
Faire payer 18$ pour une version numérique pour un livre contenant essentiellement des photographies, qui font piètre figure sur le Kindle, est ridicule.
Faire payer 12 $ un livre sur le monde des affaires alors que nous pouvons l’obtenir chez Costco  (soldeur américain) en 2 semaines pour 9,99 $ est ridicule.
Passons à l’action !
Déposons le tag  « 9.99boycott » sur tous les livres numériques dont le prix dépasse 9,99 $ !
Il suffit d’utiliser le formulaire sotué en bas de l’écran d’une fiche ouvrage et de saisir le  tag   «9.99boycott» (sans les guillemets) , puis de cliquer sur le bouton.
C’est facile.
J’ai déjà commencé.

Pourquoi ?

Les livres pour le Kindle sont un peu comme des tickets de cinéma. Alors que vous pouvez relire le livre, vous ne pouvez pas :
–    le donner à une bibliothèque
–    le vendre dans une librairie d’occasions
–    le vendre sur la place de marché occasion d’Amazon
–    le revendre à un ami

Et, bien sûr, le livre n’a pas de papier donc il n’a pas de coûts de production. L’éditeur ne paie pas pour le papier, la colle, l’impression, l’assurance, l’encre, l’emballage ni le transport.
Amazon n’a pas besoin de stocker dans son entrepôt,  ni de payer des équipes pour préparer les expéditions, ni de payer les envois.
Le prix doit refléter ces faits très importants.
Nous n’avons pas acheté nos Kindle,  avec la promesse d’une utilité pratique et des prix bas des livres numériques, pour être ainsi baladés avec des tactiques basées sur une offre-appât bientôt suivie de changements brutaux. »

On pourrait s’étonner qu’Amazon laisse s’insaller sur son site une campagne de boycott de ses produits. Sauf si l’on pense qu’Amazon, comme de nombreux autres acteurs du secteur du livre numérique, ne sera pas mécontent de faire pression sur les éditeurs,  car il s’agit bien d’une adresse aux éditeurs. Des prix bas pour Amazon, c’est plus de livres numériques vendus, plus de Kindle vendus, des consommateurs satisfaits. C’est la possibilité d’un décollage plus rapide d’un marché sur lequel Amazon s’est positionné très tôt aux USA, et qu’il pourrait étendre très rapidement en Europe. C’est une l’opportunité de consolider sa position de leader ayant adopté un modèle vertical : « je lis un livre numérique acheté sur Amazon avec mon Kindle acheté sur Amazon. Je ne lis que des livres achetés sur Amazon avec mon Kindle, , (sauf si je suis rusé) je ne lis qu’avec mon Kindle les livres achetés sur Amazon (sauf si j’ai un iPhone) »

J’ai trouvé cette information sur le blog de Kassia Krozser, et elle est très incisive dans le commentaire qu’elle adresse aussi aux éditeurs :

« La voix des consommateurs va devenir de plus en plus forte. Peut être qu’autrefois, vous pouviez prétendre que vous saviez mieux que nous ce qui était mieux pour nous, mais ces temps sont révolus. Réfléchissez à ceci ; il y a un tag Amazon qui explique aux clients non initiés que vos livres sont en train d’être boycottés. Parallèlement, ceux qui s’engagent dans ce boycott font quelque chose d’encore plus vilain ; ils achètent les livres de vos concurrents et laissent les vôtres dans leur caddie virtuel. »

Lire aussi à ce sujet :

Martyn Daniels sur Brave New World : PriyWorld : ebook princing
Priya Ganapati dans Wired : Kindle Readers Ignite Protest Over E-Book Prices

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8 réponses à Détournement de tags

  1. Alain Pierrot dit :

    27 avril, Paris, stage Urfist
    Qu’est-ce qu’un tag ? De delicious au Web sémantique, retour sur une évolution majeure de ces 5 dernières années
    * Historique du tagging : présentation d’applications pionnières (delicious, Flickr).
    * Tagging et folksonomies.
    * Qu’est-ce qu’un tag ?
    a) l’approche documentaire comme grille d’interprétation,
    b) les approches (Web) sémantiques et informaticiennes.
    * Les URIs, les ontologies et le Web sémantique
    * Examen de quelques exemples (présentation de tags sur delicious ; Flickr et les machine tags ; le site de partage de vidéos Nico Nico Douga ; l’approche de Microsoft, etc.) et pratiques qui ne cadrent pas avec ces réponses.
    * Qu’est-ce qu’un tag : esquisse d’une réponse précise.
    * Vers un art du tagging : recommandations pour bien se servir des tags et comprendre leur intérêt véritable.

    http://urfist.enc.sorbonne.fr/stages/st2009-tagwebsemantique.htm

  2. Bruno Rives dit :

    Je laisse de coté le tag issu d’algorithmes automatiques (à condition que les règles soient connues). C’est toujours intéressant par exemple d’accéder à un ouvrage sur le déclin de l’empire romain par la cartographie des lieux géographiques les plus souvent cités dans l’ouvrage.

    La question du tag « posé » est toujours la légitimité de celui qui le met, et ses objectifs réels. Ne peut-on pas laisser faire l’Internet, ses multiples nomenclatures et ses différentes techniques pour retrouver la bonne information, y compris en passant par des « bibliothécaires » et des experts? Et pour ceux qui ne savent pas, et « goberaient » tags et leur éventuelle désinformation, n’est-ce pas l’éducation sur le média Internet qui serait la solution?

  3. JM Destabeaux dit :

    Rashmi Sinha, la fondatrice de SlideShare, avait fait une analyse intéressante du tagging sous ses aspects cognitifs :

    http://rashmisinha.com/2005/09/27/a-cognitive-analysis-of-tagging/

    En éliminant les risques d’analysis paralysis liés à une phase de catégorisation, l’équilibre entre efforts et effets est rapidement trouvé et favorise la pertinence du tag à la fois pour l’émetteur et pour les autres.

  4. Ping : La Feuille » Archive du blog » A qui profite la voix des consommateurs ?

  5. Hubert Guillaud dit :

    J’en avais pourtant corrigé une ou deux. Tu veux dire que tu es capable de faire pire que moi Virginie. Non, j’te crois pas !

  6. Virginie dit :

    @Hubert  » «Cet phrase contient trois erreures.» – La première porte sur l’accord du démonstratif; la seconde, sur l’orthographe du mot erreur. Et la troisième sur le fait qu’il n’y a que deux erreurs. » dans : Trois fermiers s’en vont au bal de Richard Powers

  7. Se coucher tard, nuit!
    Tous les tags d’une personne, c’est la personne-même; tous les tags, toutes les personnes. Est-ce que, dans le cas d’un livre taggé à l’infini, l’œuvre ne disparaît pas sous les étiquettes? Le billet de Virginie me semble dénoncer un « détournement de la démocratie du tag ». Bon, mais les votes sont toujours utilisés par les candidats dictateurs contre leurs opposants. Je crois que l’exercice de la citoyenneté passe certainement par « l’éducation sur le media Internet » comme disait Bruno. Un auteur propose une vision nouvelle, un éditeur l’aide en faisant oublier ce qui l’aura précédé, au moins pour un temps; sans doute que toutes les lectures possibles pourraient la faire disparaitre par empathie. Ne faut-il pas organiser plutôt l’amnésie que la mémoire et choisir plutôt qu’élire ?
    En tout cas : plus tôt!

  8. Ping : Billions of pipes! And me, and me, and me… « Devoteam Consulting TEM Watch

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