Archives mensuelles : janvier 2010

Amazon : bras de fer avec Macmillan

Généralement, Twitter est plutôt calme le samedi. On y jette un coup d’œil distrait, pour apprendre qu’un tel se lance dans une recette compliquée, que tel autre a commencé à lire tel livre, on découvre quelques liens vers un article de blog qui ne risque pas de se retrouver sur son fil RSS, parce qu’il ne parle ni de livres, ni de numérique, ni de l’iPad, ni de liseuse…

Mais aujourd’hui, voilà que quelqu’un remarque que la plupart des livres de l’éditeur Macmillan sont devenus inaccessibles sur Amazon. On ne peut plus les acheter qu’en passant par des tiers, mais Amazon ne le vend plus en direct. Pourquoi donc ?

Bien sûr, ni Macmillan ni Amazon ne commentent l’événement, aussi les supputations vont bon train. (Voir mises à jour ci-dessous). Les sujets de discorde entre les groupes d’édition américains et Amazon sont nombreux. Et ce n’est pas la première fois qu’Amazon supprime le bouton acheter aux titres d’un éditeur, pour exercer sur lui une pression bien réelle. Amazon représente aux USA une part bien plus importante du marché que celle qu’il occupe en France.

Le blog «  Bits«  , un blog lié au New York Times, a mis à jour son billet en fin d’après-midi, confirmant que l’action d’Amazon était bien liée à la décision de Macmillan de décaler dans le temps la mise à disposition des versions numériques de ses livres :

«  Ma collègue Motoko Rich a parlé avec quelqu’un ayant eu une conversation directe avec une personne de chez Macmillan, familière des conversations avec Amazon. Macmillan offrait à Amazon l’opportunité d’acheter les versions numériques (destinées au Kindle) de ses livres sur le même modèle de type «  agence  » que celui proposé par Apple pour le iPad. Selon ce modèle, l’éditeur fixe le prix du livre et garde 70% de chaque vente, laissant 30% au revendeur. Macmillan dit qu’Amazon pourrait continuer à acheter les ebooks selon son modèle courant de commercialisation, en payant à l’édituer 50% du prix de la version imprimée grand format et en fixant librement le prix de vente au public., mais que dans ce cas Macmillant  décalerait dans le temps la disponibilité des versions numérique de 7 mois après la mise en vente des versions grand format. Le fait de supprimer la mise en vente des titres de Macmillan apparaît comme une réaction directe à cela.  »

Les éditeurs, mécontents des prix bas pratiqués pour le livre numérique par Amazon, ont été nombreux à commencer à différer la sortie des versions numériques de leurs livres à fort potentiel commercial. Le prix du livre est libre aux Etats-Unis, où il n’existe pas d’équivalent de la loi Lang, et cette décision de différer la vente de la version numérique est une façon comme une autre pour les éditeurs de chercher à contrarier Amazon, qui n’hésite pas à vendre à perte pour conquérir des parts de marché, et diffuser le plus possible son Kindle, qui, une fois vendu à un acheteur de livres, rend celui-ci totalement dépendant d’Amazon pour s’approvisionner en lecture. Il ne sera pas très difficile à Amazon, une fois que le Kindle aura trouvé sa place dans des millions de foyers américains, de changer les règles du jeu aux dépens de l’éditeur. Et si celui-ci refuse ? Alors,  plus d’accès pour ses livres aux millions de e-lecteurs scotchés chez Amazon. Et toc !

La sortie du iPad, et la politique de prix annoncée pour les «  iBooks  » doit jouer son rôle dans tout cela. Apple ne vend pas de livres imprimés, et ne dispose pas de ce levier qu’Amazon actionne de temps en temps pour rappeler aux éditeurs qui leur donne accès aux clients. Apple, dit-on,  laisserait les éditeurs vendre leurs livres numériques plus cher qu’Amazon, avec des prix de 12;99 et 14,99 $…  Alors, Amazon se réveille, et  frappe directement Macmillan, pour rappeler à tous que c’est lui qui commande…

Le fait de maintenir une grande diversité de canaux de vente est, on le voit, crucial pour les éditeurs. Lorsqu’à la concentration s’ajoutent des dispositifs d’exclusivité avec des modèles propriétaires, un seul acteur, devenu dominant, prive de  toute liberté à la fois les lecteurs, qui ne peuvent s’approvisionner chez le revendeur de leur choix, et les éditeurs, soumis aux diktats d’un revendeur devenu tout puissant.

On pourra lire également le point de vue d’un auteur publié chez Macmillan, John Scalzi.

- Mises à jour :

30/01 – 23h : John Sargent, CEO de Macmillan, adresse un message aux auteurs et illustrateurs édités dans les maisons de son groupe, publié sous forme de publicité payante sur Publishers Lunch, qui confirme les propos rapportés par Motoko Rich.

31/01 – 23h30 : Lettre d’Amazon à ses clients : Amazon cède et accepte les conditions de Macmillan, et explique pourquoi.

Mangez vos livres !

cellphonekitchenC’est la traduction du nom d’un nouveau site web, eatyourbooks.com. S’il est un secteur de l’édition qui sait tirer parti du numérique, c’est bien celui des livres de cuisines. J’avais déjà signalé les sites permettant d’assembler soi-même son propre livre de cuisine, et d’en obtenir un exemplaire imprimé à la demande. On connaît aussi le succès des sites et des blogs proposant des recettes de cuisine. Il est très facile d’y effectuer des recherches selon différents critères : les ingrédients, le temps dont on dispose, le coût de la recette, son origine géographique etc. Beaucoup moins facile : trouver aussi facilement, parmi ses propres livres de cuisine, une recette selon différents critères. Alors l’idée est toute simple, comme l’explique la présentation faite sur le site :

Eat Your Books est un site web pour les gens qui aiment cuisiner avec des livres de cuisine. Ce n’est pas un site de recettes – les recettes sont dans vos livres de cuisine, ceux de vos auteurs favoris.  Cependant, s’il vous est arrivé d’utiliser un site de recettes, vous savez combien il est aisé d’y trouver une recette. Alors voilà, maintenant, vous pouvez trouvez des recettes aussi facilement dans vos propres livres de cuisine. Eat Your Books a indexé plus de 600 des principaux livres de cuisines, ce qui correspond à plus de 200 000 recettes.

En tant que membre de Eat Your Books, vous pouvez créer votre étagère virtuelle de livres de cuisine, intitulée «  mon étagère  », en choisissant les livres que vous possédez dans la Bibliothèque EYB, qui compte plus de 16 000 livres. Si vous constatez que l’un de vos livres favoris n’a pas été indexé, vous pouvez faire en faire la demande.

Le fait qu’un livre est indexé signifie que vous pouvez chercher des recettes par nom, par ingrédients, par titre de livre, par auteur. Nous avons également catégorisé les recettes par origine, type de recette, type de repas, régimes spéciaux, occasions. Ainsi vous pouvez trouver, en quelques secondes, si vous avez dans vos livres de cuisine une recette de Bœuf à la Grecque en casserole.

Eat Your Books vous aidera également à concevoir des menus, créer des listes de courses, tagger vos recettes préférées, et organiser vos recettes d’une manière qui fait sens pour vous. Tout ceci parmi votre bibliothèque personnelle de livres de cuisine.

Il est bien sûr possible d’acheter en ligne les livres présentés sur le site, avec une affiliation avec Jessica’s Biscuit®/ecookbooks.com, qui n’est pas un site consacré aux biscuits, mais une librairie spécialisée dans la vente à distance de livres de cuisine. Je vous invite à lire l’historique de Jessica’s Biscuit, une classique success story qui a commencé non pas dans un garage mais dans un salon par une discussion entre amis.

J’aime bien ce mariage entre le livre imprimé et le réseau : c’est la possibilité de combiner les avantages de l’objet livre, le plaisir de le feuilleter, sa présence rassurante non loin de la plaque de cuisson et de l’étagère à épices, avec la malice de l’algorithme, qui se plie en quatre pour trouver en un clin d’œil des réponses pertinentes à la moindre de vos demandes, et avec la puissance de mutualisation d’un site social, dont les membres sont des contributeurs, avec leurs commentaires, leurs appréciations, leurs suggestions. (Merci pour le repérage à Neelan Choksi.)

Tableau des prédictions

Au moment du nouvel an fleurissent bilans et prédictions. En pleine mutation, l’édition se prête très bien à cet exercice. C’est le moment pour les consultants, gourous, spécialistes, futurologues, prospectivistes, de faire briller la boule de cristal… Georges Walkley, directeur du numérique chez Hachette UK, s’est donné la peine de récapituler les prédictions de quatre personnalités qui se sont aventurées sur ce terrain mouvant. Et moi, plutôt que de me lancer dans l’exercice, je me contente de traduire son tableau :

Martyn
Daniels
Bob
Miller
Mike
Shatzkin
Joe
Wikert
Le contenu enrichi sera quelque chose qui va compter de plus en plus Yes Yes Yes
Les éditeurs vont ignorer les contenus enrichis Yes
Une meilleure intégration des livres numériques avec d’autres produits et services Yes
Les éditeurs seront dans la confusion sur «  quel est le produit qu’ils produisent  » Yes
Changements dans la forme, comme par exemple des livres numériques pour des textes plus courts Yes Yes
Les liseuses perdent du terrain par rapport aux terminaux multi-fonctions Yes
Les livres se vendent de plus en plus dans des magasins physiques qui ne sont pas des librairies Yes
Le numérique met la pression sur les librairies physiques Yes
Les libraires indépendants doivent se spécialiser pour survivre Yes
Les livres numériques vont donner lieu à la création d’un répertoire professionnel de référence spécifique Yes
Besoin de standards pour remonter les informations concernant les ventes en numérique Yes
Les ventes de livres numériques vont augmenter et constitueront une contribution importante aux revenus pour de nombreux titres Yes Yes
Des prix bas pour les consommateurs seront considérés comme la norme Yes Yes
Les canaux de vente des livres numériques vont proliférer Yes
Les éditeurs vont réorienter le développement de leur catalogue, en fonction de leurs possibilités en terme de marketing Yes
Tendance à produire des livres imprimés de grande qualité pour contrebalancer les livres numériques peu chers Yes
La petite édition prospère Yes
L’auto-édition se développe Yes
Les gros éditeurs restructurent Yes Yes
Les gros éditeurs se concentrent sur les auteurs «  brandés  », et/ou réduisent le nombre de nouveautés Yes
Apparition de  nouveaux modèles pour les achats de droits et les avances. Yes
Le fait de décaler dans le temps la date de sortie des versions numériques (‘windowing  ») va vite être dépassé par les événements Yes
Les consommateurs voudront une disponibilité simultannée des versions imprimées et numériques Yes
La gestion de l’information concernant les droits va acquérir toujours plus d’importance Yes
Les droits territoriaux seront sous pression Yes Yes
Google changera tout Yes
Les auteurs capables de développer avec succès leur propres plateformes vont commencer à se comporter comme des éditeurs,ce qui conduira à une désintermédiation Yes Yes
La carrière d’un auteur nécessitera une gestion permanente, et non uniquement centrée sur chaque sortie de livre. Yes
Les bibliothèques devront se définir un rôle numérique Yes
L’importance des contenus numériques dans le marketing de tous les livres va s’accroître. Yes

Et vous, vous voyez des choses dans votre boule de cristal pour 2010 ? Et que pensez-vous des prévisions des quatre qui sont cités ici ?