Archives mensuelles : novembre 2010

écrire en direct et en public

L’écrivain canadien Michael C.Milligan écrit un roman, sur Internet, en 3 jours, là, maintenant, tout de suite. Cela se passe sur http://3d1d.1889.ca/.

MCM a passé un mois à se préparer à l’expérience, il a écrit des pages et des pages de notes sur chacun des chapitres. C’est aussi quelqu’un de très familier avec la technologie, il sait programmer.

Il utilise une pléiade d’outils Internet  pour mener à bien cette expérience d’écriture en live : Google Docs pour l’écriture, Meebo, qui permet de juxtaposer une fenêtre de chat dans laquelle peuvent échanger les personnes qui suivent l’expérience, mais aussi Twitter et Facebook, WordPress pour bloguer les coulisses de l’expérience, et UStream qui diffuse dans une autre fenêtre les images de l’auteur au travail.

Cette expérience démontre une grande maîtrise dans l’intégration des outils, et illustre de manière puissante la maturité de ces outils web qui inaugurent des usages nouveaux. L’intégration dans un unique écran de ces différents outils, que l’on convoque grâce à des onglets est assez impressionnante. La fenêtre principale permet d’afficher au choix la page d’accueil qui présente le projet, une page  Google Docs pour suivre l’écriture en direct, le texte du tome précédent dont on peut afficher chacun des chapitres affiché dans une liste à gauche, le blog qui commente l’expérience.

A droite, la fenêtre se divise en deux. En haut peut s’afficher la vidéo live de l’auteur en train d’écrire. En bas, on choisit grâce à des onglets d’afficher la fenêtre de chat (meebo), le fil twitter, la page facebook, un espace «  merchandising  » (Zazzle) permettant d’acheter des T-shirts #3D1D portant certaines phrases, ou personnalisés avec une inscription que l’on peut choisir.

L’auteur questionne ceux qui suivent l’expérience, leur demande leur avis sur l’évolution de l’intrigue ou bien sur des détails (suggestion pour le nom d’une marque de cigarette en 2038, le nom d’un personnage égyptien, la couleur d’un véhicule, le choix d’une arme…). En consultant le tag #3D1D sur twitter, j’ai vu qu’à un moment il demande qu’on lui suggère un surnom pour un personnage français. Deux suggestions : «  Depardieu  » et «  Corbusier  » …

L’auteur twitte régulièrement aussi des statistiques : tel chapitre est terminé, il comporte tant de mots. Il y a un petit côté marathon, c’est un peu «  on achève bien les chevaux  » :  parfois MCM indique qu’il va aller dormir quelques heures, 2 ou 3 pas plus, que son cerveau demande grâce.

Je suis très impressionnée par ce dispositif, par cette juxtaposition d’outils, et cette manière de s’en emparer, avec un mélange de simplicité et d’humour.

L’auteur occupe une place centrale : c’est le maître de cérémonie, c’est lui qui se montre, c’est lui qui est au clavier, qui déploie son récit. Il écrit devant autrui, assumant ses hésitations, ses repentirs. Parfois on peut le voir effacer tout un paragraphe, ou simplement le dernier mot écrit.

Les lecteurs, on pourrait presque dire les joueurs, parce qu’il y a une dimension ludique dans tout cela, l’encouragent, commentent ce qu’ils lisent, répondent aux questions que leur pose l’auteur.

Il semble qu’il y ait un premier cercle, parmi ces lecteurs, d’amis qui sont aussi des auteurs, et animent le blog de commentaires, effectuent des tris parmi les suggestions proposées par les lecteurs.

On souhaiterait que le «  framework  » soit disponible à qui souhaite l’utiliser à son tour, et ce pourrait être dans des contextes très variés. Utilisé par d’autres auteurs tentés par l’expérience, sans qu’elle prenne nécessairement la forme d’un marathon (même si le «  live  » nécessite un rendez-vous, un temps fixé pour que chacun se connecte en étant sûr qu’il se passe quelque chose en ligne). Je pense aussi  à des expériences en classe, ou lors d’ateliers d’écriture.

Et vous, que vous inspire ce dispositif ?

(signalé par mail par Eli James, du blog Novelr, centré sur la «  Web Fiction  »)

@liminaire indique sur twitter que cette expérience lui fait penser à celle de Nicolas Ancion, décrite ici, à la fin du billet.

Pour faire un livre augmenté

Prenez un livre. Séparez soigneusement le texte du papier, en prenant garde de ne pas laisser échapper les notes en bas de page. Mettez de côté l’image et la quatrième de de couverture. Faites revenir le texte à feu très doux, utilisez de préférence une poêle à revêtement XML. Dans un grand fait-tout, mélangez une interview vidéo de l’auteur, la liste de ses ouvrages, un quizz interactif, un bouquet de sons d’ambiance, une poignée de liens hypertexte, et battez jusqu’à obtention d’une pâte lisse. Disposez alternativement dans un plat allant au four une couche de texte, une couche de la pâte ainsi obtenue, et saupoudrez de métadonnées. Faites cuire 15 minutes et servez chaud, accompagné d’une salade de tweets.

Quand j’entends parler de livres augmentés, je pense à ce poème de Guilevic, «  la vie augmente  » :

«  Quand on nous dit :
La vie augmente, ce n’est pas
Que le corps des femmes
Devient plus vaste, que les arbres
Se sont mis à monter
Par-dessus les nuages,
Que l’on peut voyager
Dans la moindre des fleurs,
Que les amants
Peuvent des jours entiers rester à s’épouser.
Mais, c’est, tout simplement,
Qu’il devient difficile
De vivre simplement.  »

Et si on «  augmente  » le livre, il se peut que, tout simplement, il devienne difficile  de lire simplement. De ne faire que lire.

Inventons des choses nouvelles : que mille talents puissent s’exprimer de mille manières, autour ou à partir des textes, en faisant jouer le texte et les images, le texte et le son, en proposant des parcours, en offrant des possibilités de mixer lecture et écriture.

Mais sachons aussi parfois laisser le texte tranquille, faire en sorte simplement qu’il s’affiche au mieux de la beauté de ses caractères sur nos écrans comme sur la page. Et laissons le champ libre à l’imagination du lecteur.

Le lecteur, ce papillon insaisissable

Dans le très intéressant livre (numérique ? numérisé ?) d’Alain Pierrot et Jean Sarzana, «  Impressions numériques  », paru cette semaine chez publie.net, on trouve, entre quantité de réflexions pertinentes sur l’édition numérique, un chapitre sur la lecture dont voici un extrait :

«  Jusqu’à présent, le lecteur, ce papillon insaisissable, s’est échappé souvent du filet des chasseurs, il a su garder son mystère. Dans l’univers numérique, le voilà devenu un référent absolu, invasif et incontournable, qu’il s’agisse de son recours croissant aux tablettes de lecture pour les œuvres numérisées, ou de sa contribution escomptée aux œuvres numériques ouvertes. Aux Etats-Unis, où ils sont très développés, les réseaux sociaux de lecteurs contribuent déjà à façonner une nouvelle économie du livre, autant que les maisons d’édition elles-mêmes. En position centrale, adulé et prioritaire, le lecteur de l’âge numérique va se voir toujours davantage attendu, observé, palpé de toutes parts  : Que lit-il  ? Pourquoi le lit-il  ? Qu’aimerait-il lire  ? Que pourrait-il bien avoir envie d’aimer lire  ? Les librairies en ligne et les nouveaux systèmes de lecture assistée donnent beaucoup à craindre pour la liberté du lecteur. Sans qu’il en soit toujours conscient, il va dorénavant alimenter des statistiques de plus en plus fines contribuant à fixer son profil. Nous courons tous le risque de nous voir bientôt littérairement tracés. Et comment l’agrégateur, ou l’éditeur lui-même, résistera-t-il à la tentation de calibrer ses bouquets éditoriaux en fonction de ses lecteurs-types  ? La formule de l’abonnement, dont le champ sera forcément limité aux textes disponibles, aura le temps de formater les lectures, donc les lecteurs, avant que l’on retrouve l’infini des ouvrages sous une forme numérique interopérable. Peut-être est-ce là une vision un peu trop orwellienne de l’avenir. Peut-être aussi nous va-t-il falloir apprendre à déjouer les automatismes numériques, à échapper aux filatures, bref à ruser avec le réseau.  »

Comme en écho,  sur le même thème, ce billet d’Hubert Guillaud : «  pour rester maître de nos lectures il va falloir le demander  », qui commence ainsi :

«  Apple, Google et Amazon – ainsi que la Fnac bientôt avec son fnacbook, Chapitre.com et le sien… – savent très bien ce que vous lisez. Ils savent qui vous êtes : nom, prénom, adresse, numéro de carte bancaire, site web, parfois ils savent même si vous êtes auteur, lecteur, ou éditeur. Ils connaissent tous les livres que vous consultez en ligne ou achetez dans leurs boutiques (pas dans celles des autres), ceux que vous avez envie d’acheter et ceux que vous recommandez à vos proches. Ils connaissent le nom des fichiers contenus dans vos machines. Il savent quand vous achetez un titre. Comment vous l’achetez. Où vous en êtes dans votre lecture. Ils connaissent les passages que vous avez annotés. Ils peuvent en déduire le temps que vous avez mis à lire un livre. Les moments où vous l’avez lu.  »

Visiblement, le temps du numérique est favorable aux chasseurs de papillons. Redevenir chenille ? Lire en cachette, comme faisaient autrefois les enfants à la lueur d’une lampe de poche sous les couvertures ?  Ou laisser, consciemment, des traces signifiantes de nos lectures sur le web ? Faudrait-il, à cause des chasseurs, se priver de ce cabinet de lecture virtuel et partagé ?