Archives mensuelles : décembre 2010

Ça ne se fait pas…

Ça ne se fait pas tellement de parler d’argent en pleine période de Noël, mais bon, ça y est, c’est fait, le sapin va bientôt perdre ses aiguilles, et j’ai trouvé dans mon agrégateur,  sur le blog du cabinet Market Partners International, Publishing Trends, un aperçu intéressant des résultats d’une enquête menée par MPI en collaboration avec The Idea Logical Company, la société de consulting animée par Mike Shatzkin, auprès de 135 agents américains.

Rappelons deux  éléments importants pour la compréhension des chiffres et de certaines déclarations de ces agents :

1) Aux Etats-Unis, les pourcentages de droits d’auteurs ne peuvent, comme c’est le cas en France, être calculés sur le prix de vente au public, puisque en l’absence de loi ou d’accord sur le prix unique du livre, celui-ci varie d’un libraire à l’autre. L’assiette de calcul est dont le «  net receipt  », soit le «  revenu net éditeur  », c’est à dire un montant inférieur, ( ce qui revient à l’éditeur une fois déduites les remises accordées aux distributeurs et aux revendeurs.) Ainsi les 25% dont il est question, comme montant courant pour les droits, correspondent environ à 12%, si on calcule sur le prix de vente au public.

2) Le modèle d’agence concerne le contrat qui lie l’éditeur au revendeur. Dans un modèle d’agence, le revendeur agit en son nom mais pour le compte de l’éditeur, et le prix de vente du livre est fixé par l’éditeur. Dans un modèle «  revendeur  », l’éditeur indique un prix de référence, mais le revendeur peut fixer lui-même le prix de vente au public, et pratiquer le rabais de son choix. Aux Etats-Unis, le modèle d’agence a été imposé en février dernier à Amazon par 5 des 6 plus grands éditeurs,  Apple ayant accepté ce modèle de contrat peu avant le lancement de l’iPad.

Rappelons aussi qu’il est là bas quasiment impossible d’être édité sans passer par un agent, ce qui n’est pas (encore) le cas en France, où cette pratique demeure minoritaire.

Publishing Trends fournit les résultats suivants :

«  - 50% des agents considèrent que «  l’impact global des livres numériques et des royalties qui y sont associées  » améliorent les revenus de leurs auteurs sur les contrats de leurs livres déjà publiés (fonds). 25% pensent que les livres numériques favorisent les revenus sur les nouveaux contrats.

- un tiers n’a pas de préférence entre les deux modèles, «  agence  » ou «  revendeur  », alors que 27% préfèrent le modèle d’agence, et 17% préfèrent le modèle «  revendeur  ».

- Les deux tiers considèrent que si les droits numériques ne sont pas spécifiquement accordés à l’éditeur dans le contrat, ils sont réservés par l’auteur pour l’exploitation, indépendamment de toute clause de non-concurrence.

- La majorité considère que 50% ou plus est le «  juste  » taux pour les royalties, et plus de 80% croient que le taux de 25% – la taux standatd actuellement pratiqué (25% sur le revenu net éditeur, qui correspond environ à 12% sur le prix public), va connaître une augmentation dans les trois ans qui viennent, 25% pensant qu’il s’agira d’une forte hausse.

- Plus d’un tiers déclarent qu’ils ont négocié des taux de royalties supéreiur à 25%, incluant des paliers et des bonus, sur les nouveaux contrats de leurs auteurs avec des gros éditeurs.

- Prés de la moitié disent qu’une «  backlist  » non encore publiée au format numérique aide à obtenir un meilleur deal sur les nouveaux contrats. Un groupe plus restreint a négocié des taux supérieurs à 25% sur les nouveaux contrats.

- La moitié des agents s’attendent à ce que les grands groupes d’édition cherchent à acquérir les droits numériques mondiaux dans les trois prochaines années.

- près de 90% des agents qui ont répondu disent que leurs auteurs ont manifesté de l’intérêt pour l’auto-édition, au fur et à mesure que les ventes de livres numériques progressent.

- Un tiers sont tentés par l’idée  de mettre en place leur propre programme de publication électronique, alors que 25% pensent que c’est une très mauvaise idée.

- Et heureusement pour tous, plus de 75% des agents interrogés croient que la meilleure situation est lorsque  l’éditeur des versions imprimés et des versions numériques des livres de leurs auteurs est un seul et même éditeur, si les auteurs perçoivent une juste rémunération.  »

Ici en France, alors que les ventes de livres numériques commencent à frémir, les droits numériques et les conditions de leur exploitation sont aussi l’occasion de débats et de questionnements, et il n’est pas inintéressant de connaître la position des agents américains sur ces questions, dans un pays où le marché numérique atteint les 10%. En parallèle de cette enquête, Shatzkin s’est entretenu avec des CEOs de plusieurs groupes d’édition US, pour connaître le sentiment des éditeurs. Il réserve le résultat de ces entretiens pour la conférence Digital Book World en janvier, mais en a tiré un article sur un sujet connexe, également abordé par ces chefs d’entreprise lors de ces rencontres, que je vous invite à consulter : «  A modest proposal for book marketing«  .

Comme j’aurai la chance d’assister à la conférence DGB, je pourrai vous en dire plus fin janvier, sur les résultats de cette étude.

En attendant, replongeons dans le monde des cadeaux, des vœux, des chocolats et des bisous sous le gui… je vous souhaite à tous de bonnes fêtes..

filez vite sur La Feuille…

… lire le billet d’Hubert Guillaud sur l’édition numérique vue de l’autre côté de la Méditerrannée.

Nous étions quelques uns, conviés par l’association Diversités,  à participer à une rencontre avec des éditeurs du Maghreb, et Hubert restitue parfaitement l’essentiel de ce que ces échanges nous ont permis de découvrir de de comprendre. Extrait :

«  Il est intéressant de constater que les questions que nous adressent les éditeurs du Sud sont les mêmes que celles que se posent les éditeurs du Nord. Quels contenus vont-ils pouvoir proposer ? Vont-ils pouvoir faire exister les leurs dans une culture toujours plus Mainstream, comme l’explique le livre éponyme de Frédéric Martel ?

Qui diffuse et qui vend ? La question de la constitution d’une chaîne de diffusion numérique est aussi importante des deux côtés de la méditerranée, chacun comprenant bien que sans elle, rien n’est possible, et que celles que proposent Apple, Amazon ou Google, ne sont peut-être pas des solutions sans conséquences pour la chaîne du livre et la diversité culturelle.

La question de l’accès est bien sûr essentielle. Celle de la démocratisation des supports, celle des possibilités de connexion ou de modes de paiement bien sûr. Mais peut-être plus encore, celle de l’accès à la culture. Au Nord comme au Sud, ces outils s’adressent d’abord à ceux qui lisent, à ceux qui ont le plus de moyens économiques ou culturels. Qui s’adressera aux autres ?  »

Tandis que nous apprivoisons le concept d’économie de l’attention, dans notre petit monde où la question pour le livre est celle de sa visibilité au milieu d’une profusion de contenus disponibles, nous oublions que cette profusion n’est pas le cas partout sur la planète, que pour quantités d’individus il est difficile et parfois impossible de se procurer des livres, et que le numérique ne peut être la solution immédiate, la clé magique pour un accès enfin universel à la connaissance, lorsque les infrastructures manquent, lorsque les accès sont rares, instables, et chers.

Hubert restitue de manière très fidèle et exacte les propos de nos interlocuteurs marocains, algériens et tunisiens. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il nous a proposé, lui, une brillante réflexion sur l’avenir du livre, à base d’exemples qui tous interrogent les destins que l’on peut imaginer pour les livres, lorsque ceux-ci s’affranchissent de leur support imprimé. Destin algorithmique, souvent, puisque le texte peut désormais être visité par des robots, puisque les pratiques de feuilletage, de navigation, d’achat, de consultation, de lecture, laissent des traces observables, quantifiables et manipulables. Livres enrichis, illustrés, multimédias, connectés, livres de demain, pour quels lecteurs, du Nord, du Sud,  pour quels rêves partagés ?

Se référer au billet d’Hubert pour les liens vers les éditeurs du Maghreb. D’autres éditeurs du sud, du sud de la France, étaient là également, naturellement tournés vers le monde méditerranéen : Fabienne Pavia, des éditions le Bec en l’Air, qui ne rate pas une année la foire du livre d’Alger et nous donne, à la manière dont elle en parle, envie d’y aller ; Marion Mazauric, la «  chef   » du Diable Vauvert (chef du Diable, comme il est écrit sur sa carte de visite…), dont la maison d’édition installée en petite Camargue fête cette année ses dix ans, a su témoigner de la vision du numérique qui est celle d’un éditeur indépendant, qui cherche toute occasion de faire connaître son catalogue et de défendre les voix d’aujourd’hui, à travers des expérimentations sans tabous. Plus au nord, engagé au plus concret de la mutation numérique chez Flammarion,  Florent Souillot a ouvert ses fichiers, expliqué les processus de production, détaillé le quotidien d’une mutation partagée par de plus en plus d’éditeurs. Xavier Cazin, (Immatériel) lui aussi, déroule des questions, diffusion et distribution, modèles économiques, rôle des plateformes. Pierre Fremeaux, à travers la présentation du réseau social dédié à la lecture Babelio, dont il est l’un des cofondateurs, nous rappelle la place des lecteurs, leur rôle, la puissance qui est désormais la leur.  Denis Lefebvre d’Actialuna déconstruit pour nous les évidences de la lecture, pour les reconsidérer sous l’angle du numérique, à grand renfort de questions et d’expérimentations.

Saluons Jean-François Michel, instigateur de ses rencontres, artiste de la pollinisation : se parler au delà des métiers, à travers les événements organisés par l’Atelier Français : livre, presse, cinéma, musique, jeu. Se parler au delà des frontières, d’un bord à l’autre de la Méditerrannée.

Ci-dessous, quelques instants filmés au vol :

Comment, vous êtes encore là ? Allez ouste, filez vite sur La Feuille !