Archives mensuelles : octobre 2011

Books in Browsers : next gen publishing

Slide Brian 0'Leary - Books In Browsers 2011

Pas question, à peine revenue de mon intermède Polynésien et de trois jours à Francfort, de repartir presque aussitôt à San Francisco pour assister à la conférence Books In Browsers, qui se tenait les 27 et 28 octobre au siège d’Internet Archive, sous la houlette de Peter Brantley, avec la complicité de Kat Meyer, de chez O’Reilly. Mais, grâce à une diffusion vidéo de très bonne qualité, j’ai pu assister à la plupart des interventions, confortablement installée dans mon canapé.

L’écran de mon ordinateur était divisé en trois zones, l’une affichait la retransmission vidéo, une autre le fil Twitter avec le tag #bib11  – aujourd’hui, quelqu’un a posté l’ensemble des tweets sur Scribe – , et une troisième un traitement de texte, pour la prise de notes.

Le nom de cette conférence, «  Books In Browsers  » est un avertissement : ici, on aime les livres et on aime le web, et nul ne se sent obligé d’enterrer les uns pour célébrer l’autre, ou de sacraliser les premiers en méprisant le second. L’assistance (pas de Français, hélas, à part Hadrien Gardeur venu présenter la nouvelle version d’OPDS, mais des Espagnols, des Anglais, des Italiens, des Japonais, des Finlandais…) est composée d’éditeurs, de développeurs, de designers, de bibliothécaires, d’agents, d’auteurs, d’universitaires. L’ensemble est plutôt plus techno que dans les autres conférences, ainsi, lorsque Blaine Cook, un développeur venu présenter Newspaper Club demande à son auditoire combien d’entre ses membres savent ce qu’est Git, une forêt de mains se lèvent.

Je vous invite à consulter les présentations des différents intervenants, qui vont s’ajouter progressivement  ici, et à regarder de temps en temps l’une des vidéos : elles s’ajoutent actuellement sur la chaîne YouTube d’O-Reilly. Et je ne vais pas me lancer dans une recension de l’ensemble des interventions, il y a là un matériau pour une bonne cinquantaine de billets… Quelques impressions, comme souvent sur ce blog impressionniste…

Richard Nash a proposé un bilan de son projet Cursor, et du site pilote Red Lemonade. Avec une transparence impressionnante, il a analysé publiquement l’échec de Cursor. Je n’ai pas su, a-t-il expliqué, trouver la «  bonne histoire  » à raconter aux investisseurs (Venture Capitalists). Les VCs veulent une bonne histoire, ils veulent aussi une histoire qu’ils reconnaissent, qui les rassure. Autant un projet bien peu pertinent comme celui de BookTracks, qui consiste à ajouter des bandes son sur des livres, a pu les convaincre, sur la base du «  cela n’a jamais été fait  » (comme si tout ce qui n’avait jamais été fait, il fallait absolument le faire…), autant le fantasme si répandu de la désintermédiation rendait le projet Cursor incompréhensible pour les investisseurs. Belle démonstration, ce témoignage de Richard, d’une qualité qui nous manque cruellement en France : celle qui permet de ne pas considérer un échec comme un désastre honteux, mais comme la preuve  d’une capacité à innover, à sortir des sentiers battus et à prendre des risques.

Richard a décidé de continuer Red Lemonade sur une base bénévole, et, après avoir rencontré Valla Vakili, le fondateur de Small Demons, a été séduit par ce projet qui veut «  rapprocher les livres, sources les plus riches et les plus denses de la culture, des autres objets culturels  ». Le voici donc «  VP of Content and Community  » chez Small Demons, comme il l’explique ici.

La présentation de Small Demons par Valla Vakili m’a plutôt impressionnée. À première vue on se dit : «  encore un Libraryting like, un site communautaire de partage de bibliothèques  ». Il s’agit en réalité de tout autre chose, d’une plateforme qui extrait du web, se basant sur l’indexation du contenu des livres, des objets culturels en relation avec ces contenus. Ce n’est plus simplement l’algorithme d’Amazon qui dit : «  vous avez aimé tel livre, ceux qui l’ont acheté ont aussi acheté celui-là, pourquoi pas vous ?  ». C’est l’idée qu’un livre, y compris un roman,  est bourré de références à d’autres objets culturels, qu’il s’agisse de morceaux de musique, de films ou de séries, de plats, d’objets, de lieux, et de proposer des liens, pour chaque livre, vers tous ces objets, et de se servir de ces liens pour proposer des découvertes. Il semble que l’ajout de liens entre livres et objets soit à la fois algorithmique et le fait des internautes.  La démonstration donne réellement envie d’aller se perdre dans ce petit paradis de sérendipité que semble être Small Demons, pour l’instant en beta sur invitation. La vidéo de présentation est à voir.

photographie de Brian O'LearyJ’avais un peu de mal à garder les yeux ouverts au moment où Brian O’Leary, (Magellan Media) a pris la parole car, avec le décalage horaire, il était plus de deux heures du matin samedi. Mais l’adresse de Brian était si ambitieuse, et entre si fortement en résonance avec ce que nous pouvons observer ici en ce moment, que je me suis vite réveillée. Eric Hellman, le fondateur de Gluejar, qui a lui aussi présenté son activité lors de la conférence, résume le propos dans son blog ce matin.

Eric cite Brian O’Leary : «  Bien que les modèles économiques aient changé, les éditeurs et leurs intermédiaires continuent d’essayer de faire évoluer leur rôle sur le marché d’une manière qui suit typiquement la règle des négociations «  deux parties – un résultat  ».   » Il dit ensuite :

O’Leary a évoqué les changements qui sont en train d’intervenir dans l’écosystème de ce que l’on a appelé «  le monde du livre   » : auteurs, agents, éditeurs, distributeurs, libraires, bibliothèques, et bien sûr lecteurs. Il a fait remarquer que les relations à l’intérieur de cet écosystème étaient aujourd’hui renégociées entre les acteurs sans prise en compte des changements à l’œuvre dans le reste de l’écoystème.

«  En conséquence, les structures, les dispositions, les processus qui pourraient être bénéfiques pour l’ensemble de l’écosystème n’obtiennent pas toute la considération qu’ils méritent.

O’Leary a cité l’exemple de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme un modèle possible d’inspiration pour la redéfinition d’un écosystème de la lecture. La percée dans ces discussions a été permise par l’introduction de modèles tirés de la théorie des jeux qui ont aidé les parties à apercevoir  les effets des accords et des dispositions relatives à tous les intervenants dans le droit de la mer.  »

En effet, on trouve une note concernant la théorie des jeux dans ce rapport de la FAO, se rapportant à un chapitre où est évoquée cette Convention :

«  Si le même genre de modèle pouvait être développé pour les activités entourant l’édition, il pourrait être possible de faire beaucoup plus que «  sauver l’édition  ». Une application intelligente et  collaborative des technologies numériques devraient être en mesure d’accroître l’efficacité d’une industrie dont le but est de promouvoir la lecture, l’éducation, la culture et la connaissance.

Selon O’Leary, nous devons trouver des façons de financer le genre de recherche qui pourraient être la base de la modélisation de l’écosystème de lecture. Une possibilité serait de créer une organisation interprofessionnelle pour ce faire.  »

Et Richard Nash de twitter aussitôt malicieusement :

Il y a encore beaucoup à dire à propos de Books In Browsers 2011, et j’aurais aimé notamment revenir sur les interventions de Bill McCoy concernant EPUB3, d’Hadrien sur OPDS, de Mary Lou Jepsen (Pixel Qi) sur les écrans et l’accessibilité, de Bob Stein sur les lectures connectées, de Craig Mod, James Bridle, Joseph Pearson, Javier Celaya et quelques autres.

Les livres sont aujourd’hui, de plus en plus, traversés par le web, percutés par le web, générés par le web, diffusés sur et par le web, réinventés sur le web. Les projets présentés à Books In Browsers par plusieurs start-ups (liste ici ) explorent différentes dimension de cette réinvention, start-ups qui ont aussi profité de cette conférence pour tisser des liens les unes avec les autres, construisant, notait Peter Brantley sur Twitter ce matin, l’écosystème d’une édition nouvelle génération (next gen publishing).

sur  sur les écrans et l’accessibilitésur  sur les écrans et l’accessibilité

intermède : Lire en Polynésie

J’ai eu la très grande chance de faire partie des invités au salon «  Lire en Polynésie  ». J’ai rarement vécu semaine aussi dense, à mille lieues des cartes postales que je n’ai pas envoyées. Au fur et à mesure des rencontres, j’ai eu le sentiment que mon monde s’agrandissait, que le mot océan prenait un sens nouveau, que cet espace se dessinait progressivement sous mes yeux, que mon idée d’une île se modifiait, assise avec les autres participants sous le banyan qui abrite les rencontres «  Lire en Polynésie  ».

Ce salon du livre est organisé par l’Association des éditeurs de Tahiti et des îles (AETI). Porté plus particulièrement par un éditeur, Christian Robert qui dirige la maison Au Vent des îles, son thème cette année était la nature. J’étais, avec ma présentation sur les enjeux du numérique pour l’édition, l’invitée hors-sujet, venue cependant parce qu’il semblait impossible à Christian de ne pas évoquer les nouvelles technologies, compte tenu de ce qui se passe aujourd’hui dans l’édition, et dont les professionnels polynésiens ne peuvent se tenir à l’écart.

La veille de l’ouverture du salon, Christian nous a emmenés faire une promenade à Vaipahi. C’est en montant un chemin rendu glissant par les fortes pluies qui avaient bizarrement salué notre arrivée à Tahiti que j’ai commencé à faire connaissance avec les autres invités. Le seul que je connaissais déjà était Marc de Gouvenain, rencontré l’an dernier au salon du livre de Ljubljana, où il était venu parler de l’aventure de la série Millenium, dont il a été l’éditeur et le traducteur chez Actes Sud. Marc m’avait raconté comment, après avoir pendant des années découvert et traduit des auteurs scandinaves, il s’intéressait depuis quelques années à la littérature du Pacifique. Le saut me semblait un peu étrange, des brumes scandinaves aux rivages des tropiques, mais Marc, qui a publié récemment un roman au Vent des Iles,  fait partie de la belle famille des écrivains voyageurs. Durant cette promenade, Pascal Dessaint, qui a eu sa période noire et est aujourd’hui dans sa période verte, souvent, s’est immobilisé, observant et nommant un oiseau après l’autre. Marchez avec un passionné d’ornithologie, qui est aussi un écrivain, et la forêt se peuple de nouvelles présences. Christian, lui, nous indique les noms des arbres et des plantes. Soudain, le chemin s’aplanit, voici une clairière, et le spectacle est si beau que l’on se dit que l’on pourrait s’assoir et rester à le regarder pendant des heures.

Pete Fromm, un auteur américain, ferait cela parfaitement.  Cela a été une autre des grandes joies de ce voyage : faire la connaissance de Pete, écrivain du Montana, un merveilleux raconteur d’histoires. Lisez vite Indian Creek, dont il nous a raconté la genèse pendant le salon. Rosa, sa femme, est aussi de la promenade, éblouie et tout aussi étonnée et ravie que nous tous de se retrouver là. Alain Beuve-Mery, du journal Le Monde a aussi fait le long voyage (22h d’avion), et pense déjà à son article. Enfin, fermant la marche, un astrophysicien, qui va illuminer notre semaine de plusieurs conférences passionnantes, Jean Audouze, quelqu’un qui vient confirmer ce que j’ai souvent remarqué : les gens qui atteignent le plus haut niveau dans un domaine sont bien souvent aussi les gens les plus accessibles, les plus généreux, les moins intimidants.

D’autres arrivent le lendemain, certains venus en «  voisins  ». Les Calédoniens : Christophe Augias, le directeur de la bibliothèque Bernheim à Nouméa, et Jean-Brice Peirano, qui dirige la Maison du Livre de Nouvelle Calédonie.  Paul d’Arcy, universitaire Néo-Zélandais, historien du Pacifique, enseignant à l’Australian National University. Enfin, Laurent Ballesta finit par se joindre à nous, je ne saurais dire d’où il arrive, cet homme ne cesse de parcourir la planète, de mission en mission, de préférence là où l’eau est profonde : biologiste, plongeur et photographe,  c’est le fond des océans qu’il explore.

Ces invités, ainsi que de nombreux intervenants locaux, vont  se succéder chaque jour, à la maison de la culture de Papeete, de 9h du matin à 19h, sur le paepae, cette plateforme à l’ombre de deux gros arbres, banyan et manguier, où sont disposées des chaises pour les participants ainsi qu’un grand écran plat pour les présentations.

Tout autour du paepae, éditeurs et libraires tiennent leurs stands, reçoivent la visite de groupes scolaires, de familles, de visiteurs de tous âges.

Lorsqu’un intervenant commence une conférence, les rangs sont parfois encore clairsemés. Mais les haut-parleurs répercutent leur voix dans les allées, et très vite le public se rapproche et prend place. Aucun d’entre nous ne songe à faire salon buissonnier, pour s’embarquer sur le ferry qui n’est pas bien loin et pourrait nous emmener en trente minutes sur l’île de Moorea qui se dessine à l’horizon.

Sous le banyan, Marc de Gouvenain joue les modérateurs d’un dialogue entre Jean Audouze et Simone Grand, confrontant l’approche scientifique de Jean à la parfaite connaissance de Simone des mythes polynésiens. Pete Fromm, lui, nous fait entrer simultanément dans la peau de l’apprenti ranger qu’il devint, par hasard, et dans celle d’un jeune auteur qui naît à l’écriture, lorsqu’il décide de mettre en mots cette expérience solitaire vécue dans la montagne, lors du cours de creative writing auquel il s’était inscrit parce qu’il lui manquait deux crédits pour obtenir son diplôme. Laurent Ballesta nous rappelle, aidé d’une série de photos splendides, que c’est bien à tort que nous croyons qu’il n’existe plus de territoires à découvrir sur notre planète. C’est vrai des terres émergées, mais le monde sous marin demeure, lui, largement inexploré. Et tout comme l’amélioration constante des instruments de vision, nous a rappelé Jean Audouze, permet d’en savoir toujours plus sur l’univers, celle des équipements de plongée sous-marine autorise aujourd’hui des explorations et des prises de vue à des profondeurs autrefois inatteignables, et pour des durées qui se sont notablement allongées.
Romancier, Pascal Dessaint qui nous a lu quelques pages de son prochain livre, est aussi, nous l’avons vu,  ornithologue, et observateur passionné du monde naturel. De cette passion est né un film, l’esprit des plantes,  dont il a écrit le scénario, construit comme une enquête policière, et dont les protagonistes sont des gazelles et des acacias, et les enquêteurs des universitaires spécialistes de la neurobiologie des plantes…

Un autre film, te henua e nnoho , grand prix du FIFO (Festival International du Film Océanien), est projeté le dernier jour.  Le réchauffement climatique, la montée des eaux, pour les hommes, les femmes, les enfants qui vivent à Takuu, atoll de Papouasie – Nouvelle Guinée,  sont une réalité on ne peut plus concrète. Quelques vagues plus puissantes qu’à l’ordinaire, et voici que  l’eau est  dans leur maison, que leur école est inondée, leurs affaires détrempées, leurs plantations fichues. Ce peuple, oublié par son gouvernement, vit en autarcie  sur une île sans électricité, visitée de temps en temps par un bateau dont on ne sait jamais lorsqu’il va apparaître.

Le vendredi soir, le paepae accueille le spectacle Pina’ina’i – écho de l’esprit et des corps, un événement artistique original, rencontre d’auteurs, danseurs, musiciens, chorégraphes,  présenté par la revue Littéramā’ohi : retrouvez photos et vidéos sur la page facebook de la revue, animée notamment par l’écrivain Chantal T. Spitz, dont j’avais lu avant mon départ Hombo, aux éditions Te Ite.

C’est Jean Audouze qui va conclure le salon. Lors de sa première intervention à l’Université de Polynésie, son exposé portait sur la géographie de l’univers. Partant de l’infiniment petit, il nous a emmenés jusqu’aux plus lointaines planètes. Cette fois-ci, c’est l’histoire de l’univers qu’il nous raconte, depuis le fameux big-bang. Je me sentais déjà toute petite, toute petite à Papeete, si brusquement éloignée de mon quotidien, et me voilà plus petite encore, un point minuscule, et je me console en apprenant que je suis faite, tout comme vous, de poussière d’étoiles.