Archives mensuelles : août 2007

Second Life, c’était bien

Article sur Second Life dans le Figaro, signé Alain Monnier. Évite deux écueils qui guettent ce genre d’exercice : technophilie béate  (sur SL on peut… on peut….) et dénigrement systématique (Attention danger, risque de déréalisation, idéologie douteuse, commerce, exploitation de votre crédulité).

Alain Monnier a publié il y a quelques mois un autre article sur le même thème sur le blog en français de Second Life, une sorte de «  journal du nouvel arrivant  ». Intéressant de comparer l’article destiné au Figaro et celui destiné au blog : ton, style, longueur.
Il anticipe ainsi sur la nostalgie future des early adopters de Second Life :

«  C’est un univers de pionniers. Je ne peux m’empêcher de penser que, dans dix ans, les plus chevronnés d’aujourd’hui se rappelleront cette époque avec nostalgie. Peut-être éprouveront-ils de la déception ou une légère déprime devant les images trop parfaites, les temps d’attente inexistants, les mimiques expressives de leur avatar ?

Je les imagine en train de dire « Dans les premiers temps, l’image n’était pas parfaite, on ramait pour passer d’une région à une autre, fallait l’agrégation pour trouver quelque chose dans son inventaire, mais. », et derrière ce « mais », il y aura des milliers de mots qui s’entrechoqueront pour essayer de faire comprendre le charme des débuts, aux plus jeunes qui les regarderont avec un air légèrement accablé.  »

N’est-ce pas  typiquement une idée de «  old world guy  » ? ( Le Figaro, quand même…). Est-ce que les «  gamers  » ont vraiment la nostalgie des versions moins performantes de leurs consoles ?

Vous vous imaginez, vous, en train de casser les pieds à vos petit-enfants avec vos souvenirs de pionnier de Second Life ?

Que mille claviers…

«  Comme un YouTube pour le texte  », nous dit Francis Pisani. «  Pour les lecteurs et les auteurs de nouvelles  » (short stories) nous dit le site. Avec ces informations, c’est assez facile d’imaginer le fonctionnement de 1000Keyboards.com : Vous écrivez ? Chargez votre texte sur 1000Keyboards. Les visiteurs pourront le lire, donner une appréciation, y ajouter des tags.

Sur la home apparaissent les textes et les auteurs les plus cotés, des onglets par genre, ainsi qu’un nuage de tags qui fait apparaitre en gros les mots : romance, love, fantasy, horror, life, death, personification, children…

C’est une idée tellement simple qu’on se demande pourquoi ça n’existe pas depuis longtemps. Voilà qui pourrait aussi alimenter feedbooks : on imagine qu’une fois repéré un auteur qui nous plait, on aura envie de disposer de ses textes sur notre lecteur d’eBook, notre téléphone ou notre PDA…

On est là dans un modèle très différent des sites que nous connaissons, (et aimons) et qui publient des textes littéraires. Le plus connu en France est bien sur remue.net. Il y eut aussi le joli Pleut-il ?, toujours en ligne mais qui n’est plus mis à jour depuis plus d’un an. Ces sites sont en fait des revues, avec un comité de rédaction, une sélection des textes. Très peu de choses en commun avec 1000 Keyboards… à part peut-être le clavier, utilisé dans les deux cas par les auteurs. En parcourant remue.net, il est impossible d’imaginer un seul instant qu’on puisse s’y inscrire pour laisser son appréciation sur les textes, une, deux, trois ou quatre étoiles… L’idée même paraît inconvenante. On est sur une autre planète…

1000Keyboards a plus avoir avec YouTube, c’est vrai, avec le «  toi aussi tu peux  », et avec le «  pas besoin d’éditeur, pas besoin de producteur, pas besoin d’intermédiaire, upload, download  ». Cela laisse craindre beaucoup de très mauvais textes… Et, espérons-le, quelques pépites.
Alors, 1000Keybords.com en français, ça vous dirait, vous ?

à compte d’auteur

On connaissait lulu.com, site d’auto-édition et d’impression à la demande, voici pour lulu un concurrent sérieux, CreateSpace. Pourquoi sérieux ? Parce que CreateSpace (ancien nom : CustomFlix) appartient depuis 2005 à Amazon. Sur CreateSpace on peut faire fabriquer livres, CD, DVD, livres audio, disposer des vidéos à la demande, mais également les diffuser, via Amazon, CreateSpace, ou sur sa propre librairie en ligne. Les livres créés sur CreateSpace pourront en outre bénéficier de la fonction «  Amazon’s Search Inside !  ».

L’auto-édition n’est pas quelque chose de nouveau, mais tend avec ces sites à changer complètement d’image et probablement de rôle. Pour beaucoup, l’auto-édition (ou «  édition à compte d’auteur  ») avait une image très négative : la possibilité pour les «  refusés  » de l’édition de serrer un jour contre leur coeur l’objet de tous leurs fantasmes : leur livre, et de le tirer à quelques dizaines d’exemplaires pour l’offrir à leur entourage. C’était aussi la possibilité de publier la biographie sans grand intérêt et pas très bien rédigée de votre vieux tonton monomaniaque pour l’offrir à votre tante reconnaissante.

Mais attention, aujourd’hui, on ne dit plus auto-édition on dit print on demand. Les Mac sont vendus avec une suite logicielle qui s’appelle iLife. Et les utilisateurs «  génèrent du contenu  » ; ils abreuvent YouTube de vidéos, FlickR de photos, et leurs blogs de posts sur l’auto-édition…

L’éditeur, lorsqu’il s’agit de livres, manque de différentes manières à cette forme d’édition : il y manque un tiers, un interlocuteur, un intermédiaire, un quelqu’un à qui parler, à qui montrer, avec qui travailler, avec qui s’entretenir du devenir du livre. Il manque ce début d’aventure, sortir le livre du tiroir, le faire lire à quelqu’un. Au lieu de cela : remplir un formulaire, nom, prénom, eMail, nombre de pages, format, qualité de couverture, upload d’un PDF, carte bleue… Et quelques jours plus tard, le carton qui arrive, avec les exemplaires.

create.jpgJe décris ici une vision naïve de l’édition, qui fait l’impasse sur plusieurs métiers abrités dans une maison d’édition, et qui vont du texte à l’objet livre, en en réglant avec précision tous les aspects, et qui l’assimile complètement à l’édition de littérature générale. Comme en ce qui concerne les eBooks, il n’est pas du tout certain en effet que les œuvres de fiction soient concernées en priorité par ces services. Le print on demand prend déjà la place de la photocopieuse associée à la reliure artisanale (petits boudins en plastique et trous trous) pour un certain nombre de travaux : des rapports, des thèses, des albums souvenirs, des «  books  » de graphistes, de comédiens ou de photographes. On imagine qu’il serait plaisant par exemple de publier le roman collectif écrit par une classe de cinquième sous la forme d’un «  vrai livre  ». Déjà, les sites offrant la possibilité de mettre en page ses photos accompagnées de texte avant d’en commander une ou plusieurs versions imprimées se sont banalisés. Certains proposent des outils de mise en page téléchargeables (blurb.com), d’autres proposent le service en ligne (tabblo.com). Tous offrent des possibilités qui dépassent le simple album photo, et se rapprochent du «  beau livre  ».

La nouveauté, c’est aussi de présenter la fabrication à la demande de livres à égalité avec du CD audio et du DVD : une illustration de ce que l’on nommait «  convergence  » au début du siècle. Textes, images fixes, images animées, sons, se retrouvent sous le même régime, celui du numérique.

Un régime qui risque fort de secouer les habitudes des éditeurs… Non ?

(via Read/Write Web)

Ma bibel’ sur Babelio

babelio.gifUn mail ce matin, de Babelio qui me dit en substance : ça y est, ça marche, tu peux venir jouer sur notre site. alors évidemment je fonce, direct sur Babelio ma tasse de café dangeureusement posée à côté du clavier. J’avais une petite idée, j’avais visité Library Thing, et je pressentais une expérience «  à la facebook  » (On y va «  pour comprendre  », «  pour expérimenter  », «  pour savoir de quoi on parle  », et puis finalement, on y va, quoi, tout simplement, comme tous les autres qui s’inscrivent, et se mettent à «  add a friend  » et à inventer des statuts rigolos qui s’accommodent tant bien que mal du «  is  » en Anglais, ce qui donne souvent des choses du genre «  Virginie is pas en avance pour finir son powerpoint  » (phrase tout simplement facebouquienne.)

Bon. Babelio. Sérieusement. J’y vais pour tester. Les fonctionnalités, tout ça. Ajouter un livre. D’accord, facile. Ajouter plusieurs livres d’un coup : ah oui, comment ? Ben tiens, il suffit de se mitonner une requête un peu siouxe sur Amazon, qui ramène presque que des livres de votre bibliothèque, et bzzzing, on colle le lien de la page dans Babelio, et ça rafle tous les ISBN qui se baladent dans le code de la page. S’il y a un peu de déchet, il suffit de supprimer les livres après coup. Comme je suis une dévoreuse incorrigible de polars, et que je lis absolument systématiquement certains auteurs au fur et à mesure des parutions de leurs traductions, mes requêtes n’étaient pas compliquées, et j’ai très vite un énooorme tag policierdans mon nuage de tags. Oui parce que sur Babelio, on a droit à son nuage de tags perso. Tout Lawrence Block ( ah, huit millions de façon de mourir…), tout Connelly, tout Sue Grafton, et puis Henning Mankell, et les vieux suédois Maj Sjöwall et Per Walhoo, et Camilleri… Une façon rapide d’avoir une bibliothèque en ligne bien fournie, mais quel intérêt ? Je serais bien en peine, pour certains de ces livres, de me souvenir de l’intrigue à la seule lecture du titre. Et comme les éditeurs changent régulièrement les visuels de couverture, il m’arrive parfois de racheter un titre que j’ai déjà lu, me basant sur une impression de nouveauté, et il faut parfois plusieurs pages pour qu’une sensation de «  déjà lu  » s’insinue dans mon petit intellect perturbé. Peu importe, parfois, je fais une pause de quelques mois, marre des polars, et puis je découvre un nouvel enquêteur, qui a sa propre façon d’être asociable, misanthrope, indiscipliné, de ne jamais lâcher, de résister à la peur, aux menaces, à la douleur physique, à la stupidité de ses supérieurs, qui a ses blessures intimes, ses addictions, une ex infernale, un père borné, une fille indifférente, et me voilà partie pour guetter les sorties…
Babelio, donc. Arrêter avec les polars. Qu’est-ce que j’ai lu, déjà ? Commence alors un exercice délicieux qui consiste à se remémorer des livres et auteurs, à voyager du Montana à la Sibérie, de l’Irlande au Botswana, de l’Egypte au Brésil, en m’aidant d’Amazon et des bibliothèques des autres (je découvre que certains ont eu un accès bien avant aujourd’hui, surement la petite amie du webmaster, et qu’on peut facilement «  ajouter à sa bibliothèque  », un livre trouvé dans la bibliothèque de quelqu’un d’autre. Au fil de la journée, j’interromps de temps en temps mon travail (non, pas encore tout de suite de suite les vacances, on est gentil, on ne me parle pas de vacances…) pour jeter un œil sur Babelio, et je vois les tags se multiplier, je vois débouler les uns après les autres mes friends en Facebook et habitants de la Bouquinosphère, on vient tester aussi, Hubert ? On a une connection en vacances, Clément ?

À ce stade, ma bibliothèque en ligne est plutôt bizarre, sans cesse je me dis : je ne peux quand même pas ne pas mettre un tel, laisser de côté celui-ci ou celui-là. J’essaie d’ajouter des tags aussi, les critiques, je laisse tomber pour le moment, les citations aussi. Je n’ai quasiment pas mis d’auteurs français contemporains, pardonnez-moi, mais j’avais ce powerpoint à terminer…

club51.jpeg J’aimerais pouvoir conclure en bouclant sur mon précédent post, à propos de l’eBook, et me poser cette question : est-ce que l’exercice (commencer à saisir ma bibliothèque sur Babelio) aurait été aussi agréable si j’avais fait toutes ces lectures sur un eBook reader, (enfin sur une succession de lecteurs, car j’ai du mal à imaginer qu’un eBook reader ait une durée de vie supérieure de beaucoup à celle d’un lave-vaisselle, et mes premiers Club des Cinq ce n’était pas tout à fait hier…) sur lequel se trouverait, au complet, facile à trier et accessible d’un coup de stylet, toute ma bibliothèque ? Plus facile à connecter, certes. Mais, et ce plaisir de rassembler des souvenirs disparates, de retrouver brusquement un titre entier ( «  traité du zen et de la motocyclette  », «  le récit qui donne un beau visage  »), de chercher vainement en ligne «  mon  » édition en Folio de la Recherche, pas ces images là sur les couvertures, non, d’autres… ? Nos souvenirs de lecture ne sont pas seulement des souvenirs de textes. Ce sont des souvenirs de librairies (les heures passées à l’Armitière, à Rouen), de bibliothèques (les petites fiches glissées à la dernière page, l’angoisse des retards et des amendes), des souvenirs de lieux de lecture (lits, jardins, transats, serviettes de bain, fauteuils, arbres, chambres, voitures, trains, bus, en classe en cachette), de postures (Le Comte de Monte Cristo, roulée en boule, le nez vers le tapis, indifférente aux courbatures et au boucan fait par mes frères et soeurs), des souvenirs de gestes (caler la page pour lire en mangeant, relever les cheveux qui vous tombent devant les yeux, poser le livre à plat, retourné, pour ne pas perdre la page, mais en sachant que c’est mal, que ça l’abime), des souvenirs de cadeaux, d’échanges. Souvenir aussi d’avoir immédiatement aimé la bibliothèque de l’homme que j’aime, lorsque je suis venue chez lui la première fois.

rhett.jpegJe me souviens de l’été où j’ai lu «  Autant en emporte le vent  », ado, à plat ventre sur l’herbe, une veille édition fatiguée avec du papier un peu jauni, et il me semble que Rhett Butler aurait été moins impressionnant si j’avais lu ça sur un eBook, mais qu’est-ce qui te prend, la grande geek, tu nous fais un coup de nostalgie ?

Tout ça, c’est la faute à Babelio.