Archives mensuelles : août 2010

Changer nos façons de travailler (2)

Tout semble indiquer aujourd’hui que la lecture de livres numériques est progressivement en train de gagner en popularité, de sortir du cercle des early adopters et de se développer. Cela s’observe principalement aux USA, (bien qu’il semble que la Chine ne soit pas en reste), mais concernera également l’Europe rapidement. Un exemple parmi d’autres, assez frappant, cité par Mediabistro / Galleycat

«  La romancière Laura Lippman a vendu 4 973 livres numériques et 4 000 livres en version imprimée grand format de «  I’d Know You Anywhere  » depuis que ce nouveau thriller a été mis en vente le 17 août.

Le Wall Street Journal a parlé au vice-présiedent d’HarperCollins Frank Albanesa de cet événement. Il explique : «  C’est le premier de nos livres importants qui se vend plus en version numérique qu’en grand format imprimé la première semaine… Ce que nous observons aujourd’hui c’est que si un livre obtient de bonnes critiques, l’accélération est plus rapide du côté des achats en numérique que du côté des achats de livres physiques, parce que les gens qui possèdent une liseuse ou une tablette peuvent acheter et se mettre à lire immédiatement.  » «  

Les choses s’accélèrent bel et bien, et il est loin le temps où l’édition électronique semblait ne concerner que certains types de livres, et où l’on pouvait affirmer que jamais rien ne rivaliserait, pour la lecture immersive, avec le livre imprimé.

Les choses s’accélèrent, et la nécessité de changer nos façons de travailler devient une nécessité urgente : il faut non seulement changer, mais il faut changer vite. Pas simplement gérer une évolution progressive, faire évoluer doucement les modes de production, introduire ça et là des modifications, commencer timidement à imaginer de nouveaux modèles économiques, encourager des tests sporadiques. Non. Il y a, il va y avoir, très vite, disruption. C’est peut-être une bonne nouvelle : il est plus difficile de convaincre des professionnels d’intégrer de nouvelles pratiques lorsque la perspective est floue. Comment être bien accueilli en disant : «  Il va falloir que chacun fasse l’effort de particpier à la mise en place d’une filière supplémentaire de production, afin de rendre disponibles chacun des livres que nous produisons à la fois en version imprimée et en version papier. Ce sera difficile, chronophage, cela coûtera cher, et cela ne rapportera pratiquement rien.  »
Si  on vend seulement quelques dizaines de livres numériques, il est évident que quel que soit ce qui se raconte un peu partout sur le coût du livre numérique, le fait d’alimenter, parallèlement à la filière livre imprimée, une filière numérique, ne peut que venir plomber les résultats, chaque livre numérique vendu étant un facteur de coût et non l’inverse. Difficile de susciter l’enthousiasme général dans pareil contexte.

Nous n’en sommes pas, cependant, en France, au même stade que les Américians. Il y a plusieurs raisons à cela, qui devraient devenir caduques assez rapidement :

- Le parc de terminaux de lecture demeure faible.
Même si le PC est très répandu, et que c’est un terminal de lecture privilégié pour quantité de lectures, ce n’est pas sur Pc que nous lirons des romans ou des essais. On ne connaît pas exactement le nombre de liseuses et d’iPad en circulation, mais en croisant des chiffres concernant les ventes de liseuses et les ventes d’iPad, on arrive à quelques dizaines de milliers, ce qui est largement insuffisant pour constituer un marché.

- Aucune liseuse disponible actuellement sur le marché ne dispose d’un accès direct en 3G ou Wifi à des librairies en ligne.
Et on a bien vu, aux Etats-Unis, que c’est cette disponibilité qui a permis le décollage des usages. Le fait de devoir passer par son PC pour alimenter sa liseuse est fastidieux, et supprime l’achat d’impulsion.

- Le catalogue de livres disponibles en numérique demeure restreint
Même s’il s’enrichit chaque jour de nouveaux titres, même si de nombreux éditeurs se sont mis à publier simultannément leurs nouveautés en version imprimée et numérique, même si d’autres ont opté pour une publication nativement numérique, le choix est encore beaucoup trop limité, et il est absolument impératif que ce choix s’accroisse considérablement, pour satisfaire la diversité des lecteurs : que des éditeurs de plus en plus nombreux s’y mettent, tant en ce qui concerne les nouveautés que le fonds qui reste encore largement à numériser.

- Une diversité de canaux de diffusion est nécessaire, qui se met en place progressivement.
Les libraires ont un rôle actif à jouer dans le numérique, certains le font déjà ( Aldus tient une liste à jour ici ), apportant leur savoir-faire, leur talent de prescripteurs, pour faire en sorte que les livres ne soient pas de simples produits d’appel, mais bel et bien soutenus et défendus par des professionnels pour lesquels ils représentent le cœur de leur activité. On attend aussi l’ouverture prochaine du site des libraires, 1001libraires.com, qui offrira la possibilité aux librairies adhérents d’ouvrir un site vitrine ou un site de e-commerce, et intégrera la vente de livres numériques

Avec des liseuses connectées, des appareils (liseuses et tablettes type iPad) vendus en plus grand nombre, la multiplication des points de vente, une offre plus riche, devrait pouvoir être levé à très court terme l’un des principaux freins au changement : l’absence de toute perspective économique, qui rend difficile la motivation.  Et c’est tant mieux, car le tournant 2010 – 2011 s’annonce assez sportif, non ?

Tout sur le « jisui »

Alors que j’emploie l’un de mes derniers jours de vacances à essayer de faire un peu de place dans ma cave, je cherche sur le web pendant combien de temps il est obligatoire de conserver certains papiers, et je m’aperçois que je vais pouvoir en  jeter pas mal, la plupart des papiers que j’hésitais à jeter peuvent l’être au bout de 5 ans, et beaucoup d’autres au bout de 2 ou 3 ans. J’ai conservé par flemme un tas de vieux papiers administratifs, dont certains sont encore en francs… Allez ouste !
Mais les livres ? Les livres que j’ai mis en punition dans ma cave, non  parce que je ne les aimais plus, ni voulais m’en séparer, mais parce que d’autres livres arrivaient, et que je n’ai pas la chance de disposer de linéaires de bibliothèque extensibles à l’infini… Je me résouds à me séparer de quelques uns, des mauvais romans (erreurs vite regrettées, reliures intactes ), des livres obsolètes (sur les technologies de l’information, l’obsolescence vient vite…). Mais les autres ? Je me contente de les feuilleter, de chercher un instant sur quel petit pan de mur oublié de mon appartement je pourrais installer des étagères, puis de de refermer les cartons, allégés de «  introduciton à HTML4″ et «  maîtriser photoshop 2″. Un instant, l’idée m’effleure que j’aimerais pouvoir numériser d’un coup tous ces cartons, avant de m’en débarasser. Garder ces livres, sans leur matérialité pour laquelle je n’ai pas de place.

Et je tombe ce soir sur un twitt de Peter Brantley, repris par Tim O’Reilly :

J’apprends en lisant cet article du Mainichi Daily News que «  jisui  », ça veut dire à peu près «  nourriture cuisiné par soi-même  ». C’est ainsi que l’on désigne une pratique qui se développe actuellement au Japon et qui consiste à numériser chacun ses propres livres. Pas aussi aisée à première vue que celle qui consiste à «  ripper  » ses CD pour pouvoir les écouter sur son iPod… Mais le fait est là : les ventes de scanners ont augmenté sensiblement, et ceux-ci permettent aujourd’hui de numériser en un seul passage le recto et le verso d’une page. Le livre doit être coupé au préalable, et les ventes de massicots augmentent également, pour faire ce que l’on nomme de la «  numérisation destructvie  » – qui détruit l’original. Mais vaut-il mieux un original intact enfoui dans un carton dans une cave qu’un original détruit qui demeure accessible à la lecture ?

L’une des raisons du «  jisui  », c’est que beaucoup de livres au Japon (comme ici) ne disposent pas encore d’une version numérique, et que ceux qui ont adopté la lecture électronique veulent pouvoir lire leurs livres de cette manière. Le manque de place pour stocker les livres peut également être une explication.

«  PFU, qui appartient au groupe Fijitsu, a indiqué que ses ventes de scanners en Juin représentaient le double de celles enregistrées les mois préédents. Et le principal revendeur en ligne Amazon a également vu les commandes de scanners et de massicots doubler d’avril à juin. Entre-temps, le revendeur Yodobashi Camera a installé dans son magasin de Shinjuku Nishiguchi un stand permettant de montrer à ses clients comment procéder à la «  numérisation maison  ».  »

Il est fort probable qu’une fois numérisés, de manière légale – il s’agit de copie privée – nombre de ces livres sont aussi partagés en ligne. Mais ce n’est pas apparemment l’objectif premier des adeptes du «  jisui  » : il s’agit bien de convenance personnelle. Ces gens sont passés à la lecture sur teminal électronique, et veulent pouvoir accéder aussi bien aux livres qu’ils possédaient déjà qu’à ceux qu’ils vont acquérir directement au format numérique.

Il y a là aussi une sorte de paradoxe : ces livres gardés dans des cartons, auxquels je n’accède pas facilement, je suis cependant en mesure de les retrouver. J’ouvre le carton, je prends le livre, je les feuillette, je peux décider d’en relire quelques uns. Mais les livres que j’achète aujourd’hui en version numérique, qu’en sera-t-il dans 10 ou 20 ans ? Est-ce que j’aurai toujours accès à ces fichiers ? Est-ce que les machines qui existeront alors me permettront de les lire ?

Les amoureux du livre, ceux qui parlent de l’odeur de l’encre et du papier ( pour qui j’ai le plus grand respect ) frémiront : certains lecteurs aiment tellement leurs livres, qu’ils sacrifient sans hésiter leurs exemplaires papier pour pouvoir les lire de la manière qui leur plaît. Times they are a changin’ !