Archives mensuelles : juin 2012

Niq Mhlongo, un auteur de la Kwaito Generation

Township de Langa, près du Cap.

Contrairement à  Ngugi Wa Thiong’o, (voir post précédent) Niq  Mhlongo écrit en anglais, et assume parfaitement ce choix qu’il a explicité dans son intervention lors du congrès de l’UIE :

«  …  je n’ai jamais ressenti de terrible trahison ou de sentiment de culpabilité lorsque j’écrivais en anglais. Mais je sentais qu’il était important que j’utilise cette langue d’emprunt pour négocier et naviguer parmi la multiplicité de toutes les autres langues africaines, dans notre pays et ailleurs. Dans un pays multilingue comme l’Afrique du Sud, où nous avons onze langues officielles, je pense que la langue anglaise a été en mesure d’exprimer le poids de mon expérience de Soweto et de Johannesbourg à travers mon écriture et de la partager avec le reste du monde.  »

Né dans les années 70, Niq se définit lui-même comme un auteur de la Kwaito Generation, en référence à un mouvement musical et à la sub-culture qui l’accompagnent. Encore tout jeune adulte au moment de la  fin de l’apartheid, il est, comme de nombreux sud-africains de sa génération, résolument tourné vers l’avenir et peu enclin à s’attarder sur le passé. La langue anglaise, c’est l’opportunité pour lui de communiquer notamment avec les européens. Son objectif, faire connaitre la réalité mouvante de son pays, faire découvrir sa complexité, sa richesse, en donner une vision contemporaine, montrant les relations entre les gens, et particulièrement entre les jeunes.

Niq raconte comment l’anglais lui a permis notamment, lors d’un déplacement en Espagne à Cartagena, d’échanger avec des lycéens.

«  J’ai passé plus d’une heure avec des élèves de lycée, essayant d’expliquer ce que qu’était un township, le kwaito, le tsotsitaal, un robot, un shebeen. Après cette séance, quelques uns sont venus me demander des références de musique kwaito et d’autres livres Sud Africains. J’ai alors réalisé alors que j’avais à la fois partagé ma sous-culture et mon expérience. Ainsi, pour moi, être publié en anglais dans une société multilingue signifie que vous pouvez devenir involontairement un ambassadeur culturel de votre pays dans le monde extérieur.

Selon le recensement de 2001, les langues parlées en Afrique du Sud se répartissent ainsi :

Zulu : 10,67 million, ou 23,8% de la population ;
Xhosa : 7,90 million, ou 17,6% ;
Afrikaans : 5,98 million, ou 13,3% ;
Northern Sotho : 4,20 million, ou 9,4% ;
Tswana : 3,67 million, ou 8,2 % ;
English : 3,67 million, ou 8,2% ;
Sotho : 3,55 million, ou 7,9 % ;
Tsonga : 1,99 million, ou 4,4% ;
Swati : 1,19 million, ou 2,7% ;
Venda : 1,02 million, ou 2,3% ;
Ndebele 712 000, ou 1,6%.

Les livres de Niq Mhlongo :

- Dog eat dog
- After tears

Un aussi court voyage ne permet que d’effleurer à peine la réalité d’un pays, dont l’image s’est formée dans mon esprit via quelques lectures de livres et de journaux. La rencontre avec ce jeune auteur me donne envie de creuser, à travers d’autres lectures, cette idée de l’Afrique du Sud, qui s’était figée, finalement, à peine ébauchée,  depuis la fin de l’apartheid, il y a presque vingt ans.

Le Cap : congrès de l’UIE

J’ai la chance de participer au congrès de l’UIE, l’Union Internationale des Editeurs. Ce congrès a lieu tous les deux ans, et se tient à chaque fois dans une ville différente. Cette année, et pour la première fois, il se tient en Afrique, au Cap, et il réunit des éditeurs du monde entier. 
Pour l’instant, je n’ai presque rien vu de la ville, car il n’y a qu’une rue à traverser pour rejoindre le centre de conférences depuis l’hôtel. En attendant, avec quelque impatience, de pouvoir partir un peu à la découverte de la ville, je fais d’autres découvertes, en suivant les débats de la conférence, et en profitant de chacune des pauses pour échanger avec des délégués et des participants de différents pays.

Je suis arrivée dans ce pays avec une bien piètre connaissance de son histoire, de sa littérature, et même de son actualité. J’ai, comme tous ceux de ma génération, le souvenir de l’écho des luttes de l’ANC, et de l’abolition de l’apartheid, de la figure exceptionnelle de Nelson Mandela. Et j’ai également le souvenir de la lecture, vers mes dix-huit ans, de la saga  de Doris Lessing, les enfants de la violence, dont on me dit ici qu’il s’agit maintenant d’un classique étudié dans les universités. D’autres images sud-africaines me viennent de la lecture des romans policiers de Deon Meyer, auteur sud-africain de langue afrikaans, ainsi que de celle des auteurs plus classiques que sont André Brink et Nadine Gordimer.  

C’est la question de la langue qui a été pour moi le fil conducteur de la première journée des débats, avec en particulier la conférence introductive donnée par Ngugi Wa Thiong’o, un écrivain kenyan de langue kikuyu et anglaise, un vibrant plaidoyer pour les langues africaines. Pour cet auteur, aujourd’hui professeur à l’Université de Californie,  qui a cessé d’écrire en anglais et utilise aujourd’hui le kikuyu, le fait de devenir progressivement étranger à sa langue maternelle relève d’un processus de colonisation de l’esprit.  Si la proportion de lecteurs est si faible en Afrique du Sud – environ 1% de la population lit régulièrement des livres – cela est dû à de nombreux facteurs, mais selon Thiong’o, la principale barrière est celle de la langue. Les 99% qui ne lisent pas le feraient plus volontiers si les livres disponibles dans les librairies étaient écrits dans leur langue, et non, comme c’est le cas aujourd’hui, en anglais ou en afrikaans. Un autre conférencier, le professeur Keorapetse, raconte sur ce thème de l’usage de l’anglais contre celui de la langue maternelle un souvenir d’enfance. Dans sa famille, on interdisait aux enfants de parler anglais dans la maison. Et lorsque l’un d’entre eux s’exprimait en anglais, sa mère jetait des regards alentour en prenant un air inquiet et s’exclamait « Tiens tiens, on dirait qu’il y ici un petit monsieur anglais, c’est bizarre, je ne l’ai jamais invité… ».  Dans de nombreux pays d’afrique sub-saharienne la question de l’âge auquel l’anglais est enseigné aux enfants fait régulièrement débat, l’anglais étant la langue qui permet de s’insérer socialement, la langue de l’employabilité, certains parents font pression pour qu’elle soit enseignée au plus tôt. 

Je n’ai fait qu’effleurer le thème de la première conférence de la première journée, mais je vais devoir m’interrompre, il faudrait veiller tard ou me réveiller encore bien plus tôt pour réussir à bloguer ce congrès… Mais si je termine ce post, je manquerai la conférence de ce matin.