Tout change, mais pas tant que ça

Quiconque a vu une démonstration de tableau blanc interactif cite spontanément le film « Minority report » : on y voit Tom Cruise manipuler avec une étonnante dextérité des images virtuelles sur des panneaux transparents, les tirant vers lui, les éloignant, les agrandissant, les faisant apparaître ou disparaître. L’effet est renforcé lorsque l’utilisateur interagit avec le tableau directement avec les doigts, sans utiliser de stylet, ce contact direct du corps avec la surface affichant l’interface est puissamment évocateur : rapprochement homme / machine, machine qui prolonge le corps, main qui commande directement à des documents et des applications informatiques.Contrairement à la surface inerte utilisée habituellement pour la vidéo-projection, la surface verticale n’est pas seulement ce qui se substitue à l’écran de l’ordinateur, permettant un usage public de celui-ci. Elle est aussi lieu d’interaction, sans la médiation habituelle du curseur dirigé par la souris. Celui qui le manipule est proche de ce qu’il montre, il est aussi en représentation, dans la lumière, dans un dispositif similaire à celui du tableau noir avec ses usages bien connus, tous liés à la possibilité d’utiliser l’écrit, texte ou figure, en renfort d’un discours ou d’un échange oral.

Curieusement, lors des démonstrations de ces tableaux, les fonctionnalités qui remportent le pus grand succès sont celles qui présentent la simulation la plus réaliste des adjuvants de l’antique tableau noir : souvenez-vous de l’attirail du prof de math, cette grande règle souvent jaune qu’il appliquait à même le tableau pour tirer un trait droit, le rapporteur, aussi. Alors lorsque le programme intégré au tableau permet d’afficher virtuellement de tels outils, lorsque l’on voit la règle virtuelle guider le geste réel du manipulateur, l’enthousiasme de la salle est palpable. Si c’est un compas virtuel, figuré à l’écran, et que l’on voit tracer une courbe, les applaudissements fusent.

Quiconque a visité une agence d’architecture ces dernières années aura constaté que les traditionnels outils de l’architecte en ont pratiquement disparu.

Le té emblématique de la profession, l’équerre, la haute table inclinable… rien ne distingue plus aujourd’hui au premier coup d’œil une agence d’architecture d’une autre société : des gens devant des écrans. Approchez-vous de l’un d’entre eux. Regardez son écran. Le té est il encore présent, virtuel, à l’écran ? Lorsqu’il trace une droite, utilise-t-il une équerre virtuelle ? Evidemment pas. Le programme de dessin, autocad généralement, gère cela de façon transparente. Les habiletés du dessinateur ont changé. La précision du geste n’est plus nécessaire, elle est totalement prise en charge par la machine. Mais la gestion des calques, la structuration du plan, la façon de grouper les élements, de les dupliquer, de les répartir, de les mémoriser, de les échanger, demandant des habiletés différentes.

Ce qui nous impressionne, c’est la capacité du logiciel à simuler la réalité, à nous présenter quelque-chose que nous reconnaissons. Bien sûr, ces artefacts de compas et d’équerre, de rapporteur et de règle, n’ont d’autre utilité que pédagogique : rendre tangible, en se référant à des outils de tracés bien identifiables, et utilisés par ailleurs par les élèves, les conditions de construction de la figure géométrique. Mais je ne suis pas certaine que c’est la perspective de cet usage qui nous enchante. Même en n’ayant comme unique expérience graphique de l’ordinateur que les quelques fonctionnalité de Powerpoint, on comprend vite qu’un programme excelle à tracer des droites, cercles, arcs, et toutes figures géométriques. Je trace (avec une règle et une équerre virtuelle) un parallèle entre ces outils figurés à l’écran, et les artefacts de livres : ces tourne-pages, flipbooks et autres widgets nous réjouissent, parce qu’ils nous proposent une expérience familière, même si celle-ci, sur un écran d’ordinateur n’a pas vraiment lieu d’être, car l’écran n’est pas une page, et il n’existe pas de nécessité qu’il singe la page. Pas de nécessité autre que celle de nous rassurer, de nous dire : tout change, mais voyez, finalement, pas tant que ça.

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