Archives mensuelles : juin 2010

liseuses : guerre des prix aux USA

Avant même son lancement, l’iPad d’Apple avait provoqué aux USA des changements notables dans le paysage du livre numérique : on se souvient que John Sargent, CEO de Macmillan, après avoir obtenu d’Apple un contrat de type «  agency model  », avait réussi à faire plier Amazon, et à négocier des conditions équivalentes pour les ventes de livres numériques sur le Kindle, bientôt suivi par 4 autres des «  big six  ».  Le résultat, une augmentation, chez tous ces éditeurs, des prix de vente de leurs livres numériques, passant de 9,90 $ à 12,99 ou 14,99$.

Quelques semaines après, où en est-on ? L’iPad se vend bien, 3 millions de machines écoulées à ce jour (dans plusieurs pays.) Le Nook de Barnes & Noble réussit également à s’imposer, notamment parce qu’il est vendu en librairie  – chez Barnes & Noble (nombreux sont les clients qui souhaitent essayer une liseuse avant de l’acheter). Kobo a également son reader, vendu chez Borders. La gamme de liseuses Sony semble assez distancée, qui n’a de partenariat avec aucun e-libraire, et ne propose encore aucune liseuse connectée.

Mais comme rien n’est simple dans le monde de l’édition numérique, Kobo dispose également d’une appli iPad, tout comme le Kindle, tout comme Barnes & Noble. Un intéressant comparatif de ces différentes applications, dans lequel figurent également des applications indépendantes de tout device comme Ibis Reader ou Stanza, est disponible sur ZDnet.

On se doutait bien que le prix des liseuses allait chuter rapidement : c’est Barnes & Noble qui a ouvert la danse, avec un Nook wifi annoncé hier à 149 $, et le même avec 3G à 199$. Quelques heures plus tard, Amazon réplique en diminuant de 70$ son Kindle , qui passe de 259 à 189 $.

Tout cet écosystème est encore loin d’être stabilisé, alors que les ventes de livres numériques continuent d’augmenter : les statistiques de l’IDPF (qui concernent exclusivement la «  littérature générale  » ) indiquent 91 M$ de CA pour le livre numérique au 1er trimester 2010 (contre 25 au premier trimestre 2009).

Bon, j’ai mis plus de chiffres dans ce post que dans 10 des mes précédents réunis, alors j’arrête avec les statistiques et les dollars. Ce qui compte, c’est ce qui se profile derrière ces chiffres et ces annonces. Certainement, et Mike Shatzkin le souligne aujourd’hui, une vraie complexité, dont il affirme qu’elle devrait réjouir les éditeurs, car elle pourrait décourager les auteurs tentés de se lancer dans le «  do it yourself  ». Il appartiendra aux  éditeurs d’apprivoiser cette complexité, afin d’être en mesure de dire à leurs auteurs : ne vous embêtez pas avec tout ça, c’est affreusement compliqué, on va s’en occuper, vous avez bien mieux à faire…

L’idéal serait que cette complexité ne soit pas infligée aux lecteurs, et nous n’y sommes pas encore tout à fait. Enfin : tout est simple à qui consent sans restriction à adhérer à ces modèles fermés qui sont en train de s’installer. En achetant un terminal particulier, on achète aussi  un aller simple pour une librairie en ligne. Et on se retrouve obligé d’y effectuer tous ses achats de livres numériques. Tant pis si certains des titres qui nous intéressent n’y figurent pas. Tant pis si l’on aimait bien aussi la façon dont l’offre était présentée dans d’autres e-librairies.

La guerre des prix des liseuses, c’est la face visible des luttes qui se livrent pour capturer un nouveau marché, et chacun tente de faire un sorte qu’il se structure à son avantage. La domination sans partage d’Amazon a pris fin. Des outsiders sont apparus. Comment l’arrivée prochaine d’un tout petit acteur, une start-up Californienne – Goodle, ou Google, un nom comme ça – qui a des projets concrets au sujet du livre numérique, et que les spécialistes commencent à suivre de près va-t-elle venir bouleverser encore un peu plus ce tableau plutôt chaotique ?

Voilà des questions dont nous pourrons discuter, parmi bien d’autres, à l’occasion du prochain Bookcamp, prévu le 25 septembre prochain. Hubert Guillaud nous demandait ce matin : alors on le lance ce Bookcamp ? Oui, j’ai répondu tout de suite, on a plutôt intérêt à être nombreux pour réfléchir à toutes ces questions, échanger nos expériences, idées, visions, interrogations. Pour participer, dès maintenant, connectez-vous sur le site du Bookcamp.

Des orages sémantiques

Rencontré une nouvelle métaphore météorologique qui me plaît beaucoup  dans le billet de Christian Fauré intitulé «  les enjeux d’une bibliothèque sur le web  » , où il nous parle d’orages sémantiques.

«  Concernant les bibliothèques, ma proposition sera donc la suivante : il faut développer les «  orages sémantiques  ». Par cette expression on entend l’ensemble des discussions, polémiques, argumentations autour d’une ressource (auteur, oeuvre, thème, etc.). Dans cette perspective, il faut considérer que chaque ressource disponible en ligne est un paratonnerre dont le but est de capter les polémiques et les discussions dont elle fait l’objet  »

Avec cette approche, l’activité de catalogage s’étend au-delà du catalogage des oeuvres puisqu’il couvre le catalogage des débats autour des ressources sur le web. Grâce à ce catalogage des «  orages sémantiques  », une bibliothèque peut commencer à fournir de nouveaux services, comme par exemple une sorte de «  Zeitgeist  », un esprit du temps.  »

Des ressources en ligne fonctionnant comme des paratonnerres… Bien sûr ! En lisant le billet de Christian, je réalise que nombre des observations qu’il fait,  et qui concernent les bibliothèques,  peuvent également s’appliquer aux éditeurs… Je suis d’accord avec Christian sur l’idée qu’éditeurs et bibliothécaires auraient beaucoup à gagner à mieux réfléchir et agir ensemble, à affiner leur compréhension du web et de ce qui peut s’y inventer. Dans ma veille et ma réflexion, je suis amenée à suivre, via mon agrégateur ou mon fil twitter nombre de bibliothécaires, dont j’apprends beaucoup. Nous sommes nombreux à penser qu’à l  »ère du web, le concept de «  chaîne du livre  » est devenu inopérant, et fait place à celui de réseau. Et que notre représentation spontannée de ce qu’est un site web, vu comme un espace clos disposant d’un contenu propre, sorte d’ilôt sur le web où il conviendrait de chercher à attirer le plus de visiteurs possibles, doit être dépassée. Parce que la force d’un réseau ce n’est pas la puissance de chacun de ses nœuds, mais bien la puissance des liens entre ces nœuds, ce qui circule en permanence à travers le réseau, et qui crée du sens. L’image de l’orage sémantique et du paratonnerre aide à se représenter le potentiel énorme de cette circulation nerveuse des informations, et la manière dont elles peuvent être agrégées, mises en forme, traitées pour produire du sens.

Comme les bibliothécaires, les éditeurs, de plus en plus, devront intégrer cette vision à leur pratique, apporter le plus grand soin à la production et à l’exposition des métadonnées, et faire en sorte à la fois de repérer, d’alimenter, animer et agréger les conversations dont les livres qu’ils publient sont l’objet.

Je le dis chaque fois que je peux : le «  virage numérique  » de l’édition n’a de sens que pris dans un changement bien plus radical et profond, dont nous ne prenons la mesure que très progressivement. Celui apporté par les potentialités du web, que nous peinons à nous représenter correctement, car sa représentation est à bien des égards, pour qui n’est pas plongé au quotidien dans ses méandres, contre-intuitive.

Des billets comme celui-ci ont le grand mérite de nous aider à mieux penser le web, ce qui s’y joue, ce que nous pouvons essayer d’y faire advenir, et le rôle actif et complémentaire que peuvent y jouer aussi bien les acteurs privés du monde de l’édition (auteurs inclus)  que la puissance publique, via les bibliothèques.