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Pour François Gèze

F Geze

Ne plus te voir immanquablement sursauter, tressaillir en écartant les bras, en entrant dans le bureau, même doucement, te dérangeant en pleine lecture, relecture ou écriture. Ne plus faire rouler nos chaises de côté pour discuter, de temps en temps, sans être gênés par nos écrans. Ne plus être accueillis comme des rois au «  Raton Buveur  » dont tu étais le meilleur client. Ne plus rentrer avec toi du SNE, et rigoler parce que tu optimisais toujours notre parcours en métro, à la porte près. Ne plus t’entendre prononcer «  start-upe  », avec un u, et on disait tous comme toi, depuis, à la Commission numérique… Ne plus dire à un nouvel arrivé dans le groupe : «  Si tu veux comprendre quelque-chose au monde de l’édition, tu n’as qu’à déjeuner avec François Gèze…  ». Qui va leur expliquer maintenant ?

Paris – 31 août 2023

Et parmi les nombreux hommages :

François Gèze, un grand éditeur, un camarade et un ami - L’éditeur Hugues Jallon a confié à Mediapart un vibrant hommage à François Gèze, dont le décès soudain le 28 août a attristé tous ses proches. Aujourd’hui président des Éditions du Seuil, il lui avait succédé à la tête des Éditions La Découverte en 2014.

François Gèze, l’engagé permanent - par Stéphanie Chevrier, directrice de la Découverte, Bruno Auerbach et Rémy Toulouse, directeurs littéraires, Pascale Iltis, responsable de la communication et toute l’équipe des éditions la Découverte – Libération, 1er septembre 2023 à 18h20

La mort de l’éditeur François Gèze - Le Monde – 1er septembre 2023. L’ancien patron des éditions La Découverte de 1983 à 2014 est mort à Vannes, lundi, à l’âge de 75 ans. L’Algérie et l’Amérique latine figuraient parmi les pôles d’intérêt de cet éditeur engagé. Le Monde – 1er septembre 2023

COMMUNIQUÉ DE PRESSE – Décès de François Gèze, ancien PDG des Éditions La Découverte, administrateur du CFC depuis plus de 25 ans - C’est avec beaucoup d’émotion et une grande tristesse que nous avons appris le décès de François Gèze, le 28 août 2023.

François Gèze  : mort d’un grand éditeur – par Xavier de La Porte Il avait fondé et dirigé pendant trente ans les éditions La Découverte. Personnalité importante du monde des sciences humaines, François Gèze est décédé le 28 août à l’âge de 75 ans. L’Obs – 29 août 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

sortir de son monde – #bookcamp3

Ce qui fait que j’aime venir au Bookcamp, c’est aussi ce pour quoi j’aime la littérature. Ce que j’aime, c’est sortir de mon monde. Ce qui me plaît au Bookcamp, par exemple, c’est que l’assistance de l’atelier intitulé «  et on donne à manger quoi ?  » animé par François Bon, Xavier Cazin et Julien Boulnois est composée d’un grand nombre de bibliothécaires, et que leurs questions, leurs réactions, me montrent des facettes d’un métier que je ne connaissais pas. C’est qu’en écoutant Hadrien expliquer OPDS, je comprends (un peu) mieux de quoi il retourne, suffisamment pour avoir envie d’essayer d’aller plus loin, et de creuser l’affaire une fois rentrée chez moi.

C’est ça, le Bookcamp. C’est aussi retrouver ceux avec qui s’est tissée une amitié, au fil des événements de ce type et des commentaires croisés sur les blogs.

C’est prendre des notes directement sur Twitter – avec le hashtag #bookcamp3 – jusqu’à ce que la batterie de l’iPhone déclare forfait.

C’est l’horrible obligation de devoir choisir parmi les ateliers qui se déroulent en même temps, et de devoir rater trois fois de suite les trois autres.

Sortir de son monde pour en inventer un, vaste, commun, multiple, ouvert. Un monde de circulation des œuvres numériques qui peine et qui tarde à se stabiliser. Un monde suffisamment complexe pour qu’on doive s’attarder encore à ce qui devrait dans quelque temps en constituer le soubassement,  avant de pouvoir  l’habiter tout simplement, avec nos lectures-écritures, nos idées-images, nos phrases-flux, nos solitudes-rencontres.

Merci à Hubert, Silvère, Lionel, Clément qui organisaient.

liseuses : guerre des prix aux USA

Avant même son lancement, l’iPad d’Apple avait provoqué aux USA des changements notables dans le paysage du livre numérique : on se souvient que John Sargent, CEO de Macmillan, après avoir obtenu d’Apple un contrat de type «  agency model  », avait réussi à faire plier Amazon, et à négocier des conditions équivalentes pour les ventes de livres numériques sur le Kindle, bientôt suivi par 4 autres des «  big six  ».  Le résultat, une augmentation, chez tous ces éditeurs, des prix de vente de leurs livres numériques, passant de 9,90 $ à 12,99 ou 14,99$.

Quelques semaines après, où en est-on ? L’iPad se vend bien, 3 millions de machines écoulées à ce jour (dans plusieurs pays.) Le Nook de Barnes & Noble réussit également à s’imposer, notamment parce qu’il est vendu en librairie  – chez Barnes & Noble (nombreux sont les clients qui souhaitent essayer une liseuse avant de l’acheter). Kobo a également son reader, vendu chez Borders. La gamme de liseuses Sony semble assez distancée, qui n’a de partenariat avec aucun e-libraire, et ne propose encore aucune liseuse connectée.

Mais comme rien n’est simple dans le monde de l’édition numérique, Kobo dispose également d’une appli iPad, tout comme le Kindle, tout comme Barnes & Noble. Un intéressant comparatif de ces différentes applications, dans lequel figurent également des applications indépendantes de tout device comme Ibis Reader ou Stanza, est disponible sur ZDnet.

On se doutait bien que le prix des liseuses allait chuter rapidement : c’est Barnes & Noble qui a ouvert la danse, avec un Nook wifi annoncé hier à 149 $, et le même avec 3G à 199$. Quelques heures plus tard, Amazon réplique en diminuant de 70$ son Kindle , qui passe de 259 à 189 $.

Tout cet écosystème est encore loin d’être stabilisé, alors que les ventes de livres numériques continuent d’augmenter : les statistiques de l’IDPF (qui concernent exclusivement la «  littérature générale  » ) indiquent 91 M$ de CA pour le livre numérique au 1er trimester 2010 (contre 25 au premier trimestre 2009).

Bon, j’ai mis plus de chiffres dans ce post que dans 10 des mes précédents réunis, alors j’arrête avec les statistiques et les dollars. Ce qui compte, c’est ce qui se profile derrière ces chiffres et ces annonces. Certainement, et Mike Shatzkin le souligne aujourd’hui, une vraie complexité, dont il affirme qu’elle devrait réjouir les éditeurs, car elle pourrait décourager les auteurs tentés de se lancer dans le «  do it yourself  ». Il appartiendra aux  éditeurs d’apprivoiser cette complexité, afin d’être en mesure de dire à leurs auteurs : ne vous embêtez pas avec tout ça, c’est affreusement compliqué, on va s’en occuper, vous avez bien mieux à faire…

L’idéal serait que cette complexité ne soit pas infligée aux lecteurs, et nous n’y sommes pas encore tout à fait. Enfin : tout est simple à qui consent sans restriction à adhérer à ces modèles fermés qui sont en train de s’installer. En achetant un terminal particulier, on achète aussi  un aller simple pour une librairie en ligne. Et on se retrouve obligé d’y effectuer tous ses achats de livres numériques. Tant pis si certains des titres qui nous intéressent n’y figurent pas. Tant pis si l’on aimait bien aussi la façon dont l’offre était présentée dans d’autres e-librairies.

La guerre des prix des liseuses, c’est la face visible des luttes qui se livrent pour capturer un nouveau marché, et chacun tente de faire un sorte qu’il se structure à son avantage. La domination sans partage d’Amazon a pris fin. Des outsiders sont apparus. Comment l’arrivée prochaine d’un tout petit acteur, une start-up Californienne – Goodle, ou Google, un nom comme ça – qui a des projets concrets au sujet du livre numérique, et que les spécialistes commencent à suivre de près va-t-elle venir bouleverser encore un peu plus ce tableau plutôt chaotique ?

Voilà des questions dont nous pourrons discuter, parmi bien d’autres, à l’occasion du prochain Bookcamp, prévu le 25 septembre prochain. Hubert Guillaud nous demandait ce matin : alors on le lance ce Bookcamp ? Oui, j’ai répondu tout de suite, on a plutôt intérêt à être nombreux pour réfléchir à toutes ces questions, échanger nos expériences, idées, visions, interrogations. Pour participer, dès maintenant, connectez-vous sur le site du Bookcamp.

The Mongoliad : un monde fictif virtuel partagé massivement multi-lecteurs

mongoliad_w150Mardi 25 mai était dévoilée à San Francisco la version alpha du premier projet de  Subutaï Corporation, une équipe qui regroupe des écrivains, des développeurs, des game-designers et des directeurs artistiques.

Il y a longtemps, depuis la lointaine époque du cédérom, que j’ai l’intuition que c’est via un rapprochement entre les auteurs de l’écrit et le monde du jeu (développeurs, game designers, directeurs artistiques, réalisateurs ) que s’inventeront probablement de nouvelles formes narratives sachant tirer parti des hybridations que les technologies informatiques autorisent, ce que l’on appelait dans les années 90 le multimédia interactif.

La composition de l’équipe de Subutaï Corporation en est l’illustration : les auteurs, issus de l’univers de la SF, de la mouvance post-cyberpunk,  s’entourent de professionnels qui pourraient figurer dans un roman de Douglas Coupland,  l’un architecte de plateformes de jeux massivement multijoueurs, l’autre spécialiste des textures, tous familiers de la 3D et de l’univers du jeu.

Voici comment Subutaï présente son projet, dans un mail adressé à ceux qui se sont inscrits pour la version alpha sur son site :

«  Au centre du dispositif, une aventure médiévale contée par Neal Stephenson, Greg Bear, Nicole Gallan, Mark Teppo et d’autres auteurs renommés, qui se situe à une époque où l’Europe pensait que les hordes mongoles étaient sur le point de détruire son monde, et où une petite bande de mystiques et de combattants essaient de détourner le cours de l’histoire.

Nous avons travaillé de manière avec des artistes, des chorégraphes de combats et d’autres spécialistes des arts martiaux, des programmeurs, des réalisateurs, des game designers, et pas mal d’autres gens pour produire un flux constant de contenu non textuel, para et extra narratif, dont nous pensons qu’il donnera vie à l’histoire d’une manière inédite, et qui ne pourrait pas être envisagée sur un média unique.

Très prochainement, lorsque The Mongoliad contiendra une une masse suffisante de récits et de contenu, nous demanderons aux fans de nous rejoindre pour créer le reste du monde et créer de nouvelles histoires dans celui-ci. C’est là que débutera la partie réellement expérimentale du projet. Nous sommes en train de développer des technologies vraiment «  cool  » pour rendre cela facile et amusant, et nous espérons qu’un grand nombre d’entre vous les utiliseront.

Les gens pourront accéder à The Mongoliad sur le web et via des applcations pour mobile. Nous allons commencer avec l’iPad, l’iPhone, les terminaux sous Androïd, des applis Kindle, et nous ferons probablement plus encore dans un futur proche.  »

Cory Doctorow signale le projet sur boing-boing en ces termes :

«  Il  y a déjà eu quelques expériences notables de mondes partagés en ligne, du vénérable alt.cyberpunk.chatsubo à l’actuel Shadow Unit. Mais on dirait vraiment que ces types de the Mongoliad sont sur le point de charger encore la barque, et de pousser le concept plus loin que personne d’autre auparavant, et qu’ils le font d’une manière que seul le web autorise, impossible à traduire sur le papier.

J’ai vu une démo de The Mongoliad l’autre soir et c’était vraiment très excitant. Il n’y a pas encore grand chose d’accessible au public pour le moment, mais je vous tiendrai au courant.  »

Moi aussi, j’essaierai de vous tenir au courant.

(Via Peter Brantley )

Invités d’honneur

untitled-0-00-02-13Cette année, la France est l’invité d’honneur de la foire du livre de Séoul, et le BIEF (Bureau International de l’Edition Française) m’a demandé de participer aux journées professionnelles organisées à cette occasion.

J’ai donc fait le déplacement, pour intervenir au sujet des enjeux du numérique dans l’édition, en duo avec un représentant de l’Association des Publications Numériques de Corée, M. Chang Di Young. Bien qu’il m’arrive de plus en plus souvent de me livrer à cet exercice, je m’y prépare toujours avec le même soin, retouchant mes slides jusqu’à la dernière minute, soucieuse de présenter le plus clairement possible la manière dont les éditeurs français abordent les questions touchant au numérique, les défis auxquels ils sont confrontés, et les changements que cela implique dans leur manière de travailler.

Dans le salon lui-même, une petite allée de stands montrant des liseuses, dont la liseuse Samsung.  Je discute un moment avec un représentant de IN3tech, ( InCube Technologies), un prestataire proposant aux éditeurs ses services pour la numérisation et l’intégration de leur catalogue dans la librairie que Samsung met en place pour ses smartphones et sa nouvelle liseuse. Comme nous échangeons nos cartes (à la manière coréenne : tenir la carte à deux mains et s’incliner légèrement), il voit le nom du groupe qui m’emploie et tilte immédiatement, me parlant de vidéo, de YouTube, et je comprends qu’il a vu le film «  Possible ou Probable  » réalisé par Editis il y a quelques années. Il appelle ses collègues pour leur montrer le logo sur ma carte, et tous me font part de leur enthousiasme pour ce film, et je suis obligée malheureusement de leur dire qu’il a été réalisé avant que je n’arrive dans le groupe, et oui, je ne peux m’attribuer aucun mérite à propos de ce film que Bob Stein, plusieurs années après sa sortie, avait signalé à nouveau, lui redonnant visibilité.

J’assiste également à l’intervention d’Hugues Jallon, Directeur Editorial de La Découverte, qui fait une très belle synthèse sur l’édition de Sciences Humaines, abordant la question de manière thématique et en citant et resituant de nombreux titres et auteurs, dans le champ économique, dans celui du politique et celui de l’environnement. Auprès de lui, deux éditeurs de Sciences Humaines coréens, deux éditeurs véritables, passionnés, qui dirigent des petites maisons d’édition, expliquent l’extrême difficulté qu’il y a à trouver des traducteurs français-coréen capables de traduire de la philosophie ou de la sociologie de haut niveau. Il racontent aussi, de manière assez drôle, leurs difficultés à trouver des soutiens financiers, expliquant que lorsqu’ils essaient d’intéresser des industriels (ils citent l’exemple de Hyundaï, qui sponsorisent sans problème à coup de milliards- en won, le milliard est assez vite atteint, c’est environ 8750 euros – des clubs de sport, mais refusent ne serait-ce  que de recevoir ou regarder leurs livres… Il n’est pas facile, donc, de faire circuler la pensée française, mais certains s’y emploient avec une énergie et une passion qui font plaisir à voir, sans se décourager, ne se résignant pas à ce que les Coréens pensent que rien ne s’est passé chez nous depuis le structuralisme et les auteurs de la «  French Theory  ».

Très peu de temps pour découvrir la ville, même en se levant très tôt (facile avec le décalage horaire…).  Retrouvé Hugues Jallon ce matin pour prendre  le métro à la première heure. Nous quittons le quartier où a lieu la foire, quartier récent dédié au business, grandes avenues bordées de tours, mais dont les rues transversales révèlent des surprises : vous tournez au coin de la rue et l’échelle change brutalement, un fouillis de petites constructions, des restaurants bon marché, une ambiance très différente de celle de l’avenue qui n’est qu’à vingt mètres.

Nous avons ensuite marché plus de trois heures, le plan à la main, nous repérant grâce aux bâtiments, et réussi à trouver notre chemin jusqu’au palais Deoksugung, l’un de ces lieux qui permettent d’éprouver un sentiment d’architecture, cette émotion particulière et rare que l’on éprouve en voyant certains bâtiments, sans pouvoir toujours analyser d’où il provient : l’échelle ? le rapport entre les vides et les pleins ? la disposition des bâtiments, les couleurs, les matériaux ?

Il faudrait bien plus de temps, évidemment, pour se faire une idée de cette ville immense, et tel n’est pas, bien sûr l’objet de notre voyage. Il prend fin, d’ailleurs, et demain, onze heures d’avion m’attendent, et n’oublie pas, mon chéri, de venir me chercher à l’aéroport (c’est un test, pour savoir si oui ou non mon amoureux lit mon blog comme il le prétend…)

Encore le Cloud…

bleuQuel dommage de parler de «  clouds  » en ce beau premier week-end vraiment printanier… Mais je n’ai pas le choix. suite à une intervention que j’avais faite au TOC de Francfort en octobre dernier, on m’a demandé de participer, lors de la prochaine foire du livre de Londres, à une table ronde sur le thème «  Clouds : What are They Really About, and What is Their Impact on Publishers ?  »

Bonne occasion pour sortir mon blog de sa léthargie, et essayer de faire ce à quoi sert un blog : réfléchir tout haut, réfléchir avec vous, ouvrir la boîte, et m’aider de votre possible lecture pour avancer dans la préparation de cette table ronde.

Je suis loin d’être une spécialiste de la question, et c’est pour ça que ça m’intéresse… Les premières explications concernant le cloud computing, c’est au théâtre de la Colline, lors d’une conférence donnée dans le cadre d’Ars Industrialis que je les ai trouvées. J’ai approfondi cette affaire en lisant le livre co-écrit par Christian , Alain Giffard et Bernard Stiegler, intitulé «  Pour en finir avec la mécroissance«  .

A Francfort, je me suis demandé ce que pourrait bien devenir l’industrie du livre, si on se mettait à la définir non plus comme «  produisant  » des livres, mais comme proposant des services, en détournant l’un des sigles qui déclinent ceux que le cloud computing propose : «  PAAS = Publishing As A Service  ».

J’avais bien conscience, dans cette présentation, de jouer un peu sur les mots, en considérant comme «  dans les nuages  », toute l’activité qui entoure le livre et qui se situe en ligne. En effet, il ne suffit pas qu’un service soit proposé en ligne pour qu’il relève précisément  du «  cloud computing  », ou alors, on enlève à ce concept sa véritable substance, considérant chaque serveur comme un petit nuage…  Non, lorsque l’on parle de «  cloud computing  », on parle non pas de serveurs dispersés et gérés de façon autonome, tous reliés par internet. On parle de gigantesque installations industrielles, contenant des centaines de milliers de serveurs, offrant d’énormes capacités de stockage et de calcul. On parle aussi «  virtualisation  », et là, je cite Christian Fauré :

La virtualisation est un procédé qui consiste à dé-corréler la vision physique de la vision logique des infrastructures de machines. On peut ainsi avoir une seule machine physique qui est considérée comme étant une multiplicité de machines logiques. Bien que la technologie de virtualisation ne soit pas toute récente,  Amazon a relevé le défi non seulement de la mettre en place sur de très grandes quantités de machines, mais en plus d’automatiser l’allocation
de ses ressources logiques, permettant ainsi à tout internaute de mettre en place un serveur virtuel, en ligne et sans intermédiaire. Nombre de jeunes sociétés web s’appuient aujourd’hui sur les infrastructures d’Amazon pour disposer d’une puissance de calcul et de stockage « à la demande » et élastique, précisément pour ne pas s’effondrer en cas d’augmentation des consultations sur leur site.  »

La complexité et le gigantisme de ces installations industrielles, mises en place par des acteurs dont on imagine que, parce qu’ils opèrent sur le web, ils ne brassent que du virtuel, de l’immatériel, a été un réelle découverte. D’ailleurs, l’idée très bien implantée qui consiste à considérer que «  du moment que ça passe par Internet, cela ne coûte rien, c’est virtuel, ce sont des «  bits  », pas des atomes, alors n’allez pas nous faire croire que cela coûte cher  » s’appuie sur cette vision naïve d’une société de la connaissance qui serait post-industrielle, brassant uniquement de la matière grise à l’aide d’impulsions électroniques sans presque aucune inscription dans la matière. Amazon, Google, Microsoft, IBM, Apple, possèdent de telles installations, et continuent d’en construire. Où croyez-vous que sont stockés vos photos sur Flickr, vos vidéos sur YouTube, vos messages sur Twitter, vos publications sur Facebook, et vos billets de blog ?

Alors, l’édition dans les nuages ? Ce que j’avais eu envie de mettre en avant à Francfort, c’est le fait que le livre n’avait pas besoin d’être numérique pour avoir quelque chose à voir avec le cloud. Que déjà, alors que le livre numérique en France en est encore à ses balbutiements, le monde des livres avait déjà en partie migré sur le web, et probablement «  dans les nuages  » aussi. Que déjà, le concept de «  chaîne du livre  » était devenu inopérant, et cédait la place à quelque chose qui ressemblait bien plus à un réseau, dont bien des nœuds, déjà, étaient dépendants du cloud computing. Notre bouquinosphère, par exemple, mais aussi le web littéraire, avec lequel elle a des intersections. Auteurs-blogueurs, pro-am de la critique littéraire, certains libraires et éditeurs, tous utilisent des services et des plateformes qui bien souvent s’appuient sur ces infrastructures «  dans le nuage  ».

Du côté des éditeurs, les exemples de nouvelles offres éditoriales tout à fait susceptibles d’utiliser le cloud computing se multiplient également. Les sites proposant du «  pick and mix  », offrant la possibilité aux utilisateurs de composer eux-mêmes le livre qu’ils pourront ensuite consulter en ligne, télécharger ou imprimer à la demande se sont multipliés. Construits autour de thématiques comme la cuisine, ou bien édition scolaire et universitaire, ces sites s’appuient sur des plateformes permettant d’identifier et de sélectionner des éléments de contenu, textes et images, de les choisir et des les assembler. La plupart proposent aux utilisateurs de créer des ouvrages qui pourront mixer des contenus éditoriaux prééxistants et des contenus créés par l’utilisateur.

La vision de Bob Stein, celle d’une lecture connectée, communautaire, collective, de textes disponibles en ligne et accompagnés de dispositifs permettant annotation et échanges entre lecteurs, s’appuie également sur un concept de plateforme en ligne, offrant à la fois l’accès à un contenu et l’accès à des services qui vont au-delà du simple affichage du texte.

En vérité, chacun des services cités n’était pas nécessairement situé dans les nuages, au sens strict du terme. Susan Danzinger, la fondatrice de Daily-Lit, que j’avais questionnée à ce sujet m’avait répondu que l’offre qu’elle propose n’utilise pas le cloud computing, pour la raison simple que ces solutions ne permettaient pas de gérer comme elle le souhaitait les envois de mail, et que le service qu’elle propose (envoi à la demande d’un livre numérique sous forme d’extraits successifs, adressés soit par mail,  soit vers un agrégateur de fils RSS)  exigeait cela.

La grande idée du cloud, pour la résumer très sommairement,  c’est de demander aux dirigeants d’entreprise : de quoi avez-vous besoin ? de salles informatiques bourrées de serveurs pour héberger les applications que les salariés de votre entreprise utilisent ? ou bien que ceux-ci accèdent simplement à ces applications pour les utiliser ? Pourquoi vous embêter avec le stockage, l’installation, la maintenance, la mise à jour, le dimensionnement ? Nous pouvons faire tout cela pour vous. Vous n’avez pas besoin d’acquérir des licences et d’installer des logiciels. Vous avez besoin des services que ces logiciels  vous rendent.

À quoi bon être propriétaire ? À quoi bon vous embêter à entretenir votre bien, à réparer la toiture, à changer la plomberie, à refaire les peintures ? Avez-vous vraiment besoin de cela ? Ou bien plutôt d’un toit pour vous abriter, et que quelqu’un s’occupe pour vous de faire en sorte que ce toit ne prenne pas l’eau, ou vous propose une pièce supplémentaire le jour où la famille s’agrandit…

L’édition dans les nuages, selon Google, c’est Google Recherche de Livres, mais aussi Google Editions :  à quoi bon télécharger vos livres ? Laissez-les sur le nuage. A quoi bon les stocker sur votre disque dur, à la merci d’un plantage ? Votre bibliothèque entière sera dans le nuage, disponible en quelques clics (ou en quelques caresses sur l’écran de votre iPad…). Vous vous y faites très bien en ce qui concerne vos mails, utilisateurs de Gmail, Yahoo ou Hotmail… Est-ce que cela vous dérange vraiment de ne pas stocker vos mails sur votre disque dur ?

L’édition dans les nuages, selon Amazon, c’est ce livre que vous commencez à lire sur votre Kindle, et dont vous poursuivez la lecture sur votre iPhone, où il s’ouvre directement à la bonne page… La synchronisation se fait via le nuage d’Amazon, qui stocke et traque vos lectures. Mais c’est aussi ce livre que vous aviez acheté, et qu’Amazon efface de la mémoire de votre Kindle sans vous demander votre avis…

Olivier Ertzscheid, nous met en garde :

«  Pourtant, et maintenant que les grands acteurs du web sont bien positionnés dans les nuages, maintenant que chacun d’entre nous, particulier ou institution/entreprise dispose quotidiennement de ces services le plus souvent dans la plus parfaite transparence/ignorance, maintenant qu’au-delà des seuls accès ce sont également nos pratiques, nos médiations, qui prennent place dans la distance offerte par ces nuages, il est temps de sortir de l’imaginaire cotonneux dans lequel nous entraîne et que co-construit le vocable même «  d’informatique dans les nuages  ».

Sortir de l’imaginaire cotonneux, certes, et demeurer vigilant. Remplacer cet imaginaire cotonneux par une connaissance suffisante de ce que recouvre cette terminologie séduisante, une réflexion nourrie sur les conséquences des basculements qui s’effectuent déjà, pour autoriser des prises de décision qui ne se basent ni sur des peurs fantasmatiques ni sur des enthousiasmes naïfs.

Une maison d’édition est susceptible d’avoir affaire au «  cloud computing  » à plus d’un titre :

- en tant qu’entreprise, elle peut faire le choix d’offres «  XAAS  » pour son informatique de gestion.

- elle peut également développer de nouvelles offres éditoriales impliquant l’utilisation de services basés sur le «  cloud  », ce qui l’engage à repenser et transformer ses processus de production, comme l’ont fait les premiers les éditeurs scientifiques comme Elsevier, en partenariat avec MarkLogic.

- elle s’inscrit, je l’évoque déjà plus haut,  dans un écosystème qui utilise déjà largement des services basés sur le cloud computing, qu’il s’agisse de repérer des auteurs ou de promouvoir ses titres : l’usage des réseaux sociaux, tous adossés à des solutions «  cloud  », se développe considérablement.

Enfin, et c’est peut-être là le point le plus important, l’éditeur,  qui n’existerait pas sans ses lecteurs, se doit de s’interroger sur l’impact du «  cloud computing  » sur la lecture elle-même, et sur la définition de la lecture numérique à l’ère des lectures industrielles,  objet des recherches d’Alain Giffard, récemment invité des assises professionnelles du livre organisées par la commission numérique du SNE.

J’ai filmé avec ma petite flip caméra, en tremblotant un peu, un petit moment de cette intervention, qui n’est pas sans rapport avec ce dont il est question ici, le voici :

Que ferons-nous des nos livres, en effet, s’ils s’en vont sur les nuages, et que ne parvient pas à s’inventer un art de la lecture numérique ? J’arrête ce billet, plus que je ne le termine,  tant les questions sont loin d’être toutes abordées et traitées,  en citant Alain Giffard :

«  Les faiblesses des robots de lecture permettent d’établir ce point que je crois décisif : le dispositif actuel de lecture numérique suppose un lecteur doté à la fois d’une grande responsabilité et d’une grande compétence. Il est responsable non seulement de l’établissement du texte pour la lecture, mais aussi de la technologie, de sa propre formation, et de sa participation au réseau des lecteurs. Il ne confond pas pré-lecture et lecture, « hyper-attention » et attention soutenue, lecture d’information et lecture d’étude, acte de lecture et exercice de lecture. Il sait identifier et rectifier le travail des robots. Même l’industrie de lecture reconnaît que son activité suppose un tel lecteur. Pour se défendre à propos des erreurs relevées dans les moteurs de Google Books, les dirigeants de Google soutiennent que l’ampleur du texte numérique impose l’automatisation avec sa part d’erreur machinique inévitable et donc l’activité de correction des internautes. Autrement dit, à l’inlassable industrie de lecture du robot doit correspondre l’interminable activité de rectification du lecteur compétent.  »

Je ne suis pas un robot, mais je fais appel aux lecteurs compétents que vous êtes, pour apporter corrections et rectifications à ce billet…

La tête ailleurs

fdnAujourd’hui, j’aurai la tête ailleurs… Même assez loin, non pas au TOC, c’est fini le TOC, il reste la salve de billets d’Hubert et plein de vidéos, pas si loin de New York, un peu plus au nord… aujourd’hui, j’aurai la tête  à Québec, avec Clément Laberge, René Audet, Eric Duchemin, François Bon, Marin Dacos,  du côté de la Fabrique du Numérique.

«  L’événement du 26 février permettra de réunir de nombreux acteurs du monde du livre et du numérique — certains du côté de la création, d’autres de la sphère politique, mais surtout des intervenants immédiats du monde éditorial. Les échanges bénéficieront de ces complémentarités.

En raison de l’affluence des participants et de l’heureuse diversité des profils, nous tiendrons plusieurs ateliers parallèles. Les thématiques tenteront de rejoindre les intérêts des participants, ce que notre premier effort de balisage des thèmes possibles a essayé de concrétiser.

Planifier l’animation de cette journée, c’est s’engager dans la définition de ces pistes. Nous ne jugeons pas possible ni souhaitable de le faire sans votre aide. C’est l’occasion pour chacun-e d’entre vous de préciser vos souhaits, vos attentes et vos motivations à partager des expériences le 26 février prochain.  »

Plutôt inspirante, la liste des thèmes :

Thème 1. L’édition sans éditeur ? Quelle appropriation des outils par les créateurs, par les acteurs du numérique ?
Thème 2. Le numérique comme agora : édition de la science citoyenne
Thème 3. Le numérique, une ouverture pour l’émergence de nouvelles formes de création et de diffusion du savoir  : sciences interdisciplinaires
Thème 4. Le livre long en mode nomade (roman, monographie) : quelles incidences de le consulter sur des liseuses ou des tablettes ?
Thème 5. La lecture active : quels outils, quels dialogues des lecteurs avec le texte  ?
Thème 6. Hors des mains du créateur, du rédacteur : qui sont les passeurs du livre numérique ?
Thème 7. Nouvelles répartitions des « pouvoirs », des rôles et de la structure du système de publication : comment le système réagit et se redéfinit avec l’arrivée du numérique
Thème 8. Formats de livres numériques : quel avenir pour le pdf (smartphones, tablettes), quel développement pour le epub  ?
Thème 9. Texte, image, espace : quelle dynamique, quelle collaboration entre rédacteurs, graphistes, programmeurs ?
Thème 10. Pages, textes, livres : sur quoi repose l’identité du contenu numérique ?
Thème 11. Raconter, en contexte numérique : blogs, médias sociaux, hypermédialité et interaction
Thème 12. Entre diffuser et archiver : pérennité des oeuvres numériques, rôle des bibliothèques et consortiums, ouverture maximale ou sécurité du patrimoine ?
Thème 13. Modèles économiques du livre : contenus numériques vs contenus web (DRM, barrières mobiles)
Thème 14. Modèles économiques du livre : éditer en numérique et en papier, processus complémentaires et en synergie  ?
Thème 15. Numérique, nouvelles interfaces  : quels changements sur l’écriture (littéraire, documentaire, scientifique) ?
Thème 16. Outils, logiciels, codes libres : avantages des solutions open source et priorités à investir ?
Thème 17. Perdus dans une mer numérique : s’assurer de bien renseigner les documents

Bonne réussite à la Fabrique, on attend les traces, les échos, les tweets, (hashtag #fn10) et surtout : des idées et des pistes…

Un livre est un lieu, c’est Bob Stein qui l’a dit.

marionbobBien sûr, je ne vais pas raconter par le menu dans l’ordre chronologique l’ensemble des rendez-vous prévus dans le cadre de ce voyage d’étude. Tous sont intéressants, chacun pour des raisons différentes. Celui que j’ai envie de partager avec vous ce soir, c’est plus qu’un rendez-vous, c’est une vraie rencontre, deux heures exceptionnelles chez Bob Stein, dans sa maison de Brooklyn, où il nous a merveilleusement accueillis. Je croyais bien connaître son parcours, et je l’avais déjà entendu à Paris il y a quelques mois. Mais Bob Stein n’est pas de ceux qui vont d’une table ronde à une conférence en répétant en boucle un message qui varie à peine d’une fois sur l’autre. Il expose avec une telle conviction, et une telle précision, une vision de l’avenir du livre construite sur un travail de recherche, d’expérimentations, d’écoute, et de réflexion, que chaque rencontre est un moment de grande qualité. Il nous a raconté la manière dont il est passé des recherches centrées sur les œuvres et les nouveaux moyens d’expression mis à la disposition des auteurs (l’époque du multimédia où il fut l’un des grands innovateurs), à une approche centrée sur le passage d’une lecture individuelle à des lectures collectives, collaboratives, illustré par les développements autour de CommentPress, et l’ensemble des expérimentations menées autour de cette idée : «  A book is a place  ».

Il était particulièrement intéressant de l’entendre évoquer ces expériences de lectures collectives asynchrones que permet le livre situé «  dans le nuage  », et évoquer également le fait que la réussite de ces expérimentations dépend en grande partie de l’engagement des auteurs, de ceux des auteurs qui acceptent d’être lus non seulement comme il est de coutume une fois que leur travail d’écriture est terminé, mais aussi pendant que le travail est en cours, écrivant en quelque sorte à ciel ouvert, partageant avec leurs lecteurs le moment de l’élaboration, ses lectures, ses échanges, ses tâtonnements. Pour lui, il faudra du temps pour que ces pratiques deviennent courantes, comme il a fallu du temps, après l’invention de l’imprimerie pour que se stabilisent les formes littéraires et les formes de publication qui ont cours aujourd’hui. Son credo : redéfinir le «  contenu  », pour qu’il puisse inclure les conversations qui se développent autour. Les maisons d’édition qui réussiront dans un monde numérique seront celles, nous dit-il, qui auront su développer leur capacité à animer des communautés de lecteurs. Bob Stein voit l’iPad d’un très bon œil, trouvant à ce terminal de lecture les qualités nécessaires à ce développement de la lecture sociale. Il rappelle comment, il y a 18 ans, il passait pour un grand original lorsqu’il expliquait qu’il était possible de lire sur un écran, en cliquant pour tourner la page, et s’attend à ce qu’il soit nécessaire qu’un certain temps, peut-être moins long que ces 18 ans, se déroule avant que les idées qu’il expose aujourd’hui sur l’évolution de la lecture s’inscrivent dans une réalité qui dépasse le stade expérimental.

Cette idée des auteurs développant une activité de création en ligne, et cessant petit à petit de considérer le livre imprimé comme la forme suprême de consécration de leur travail est déjà présente, me semble-t-il, au sein de la blogosphère littéraire en France, ce dont j’ai souhaité lui faire part. Il n’y pas d’équivalent exact de ce mouvement aux Etats-Unis,  même si certains auteurs ont une fort «  présence web  », mais qui continue d’être essentiellement au service de la promotion de leurs œuvres imprimées. Toutefois, le web ici aussi a changé les choses, offrant le possibilité aux lecteurs d’entrer directement et plus facilement en contact avec les auteurs.

À ma question concernant l’accueil que les éditeurs américains faisaient à ses idées, Bob a répondu simplement : aucun. Pour la plupart d’entre eux, a-t-il dit, je n’existe pas. Mais il dit aussi comprendre leur façon d’agir actuelle, pris comme ils le sont dans des logiques de rentabilité et des contraintes de marché, et de définition de modèles soutenables leur permettant de vivre sans trop de fracas la période de transition que nous connaissons aujourd’hui. Voilà un homme qui a une vision extrêmement forte de l’avenir du livre et de la lecture, mais qui ne tombe à aucun moment dans la position du prophète marginalisé, ni dans un discours polémique et stérilement agressif envers les éditeurs. Très attentif, à l’écoute de nos questions, se concentrant visiblement pour y apporter une réponse qui ne laisse aucune place à la formule toute faite ou à la langue de bois, mais soit bien l’expression de sa pensée profonde. Penser avec, penser ensemble, la vision de Bob Stein a été mise en pratique pendant cette rencontre, dont nous sommes tous sortis avec cette certitude : nous avions, un moment, réfléchi ensemble à ces questions, formant une petite communauté, animée par les propos d’un visionnaire.

(photo : après cet échange, Bob et sa femme nous ont offert un excellent vin et des fromages délicieux, et la discussion s’est poursuivie de façon informelle. Marion a bien sûr invité Bob à Vauvert…)

Première messe

messeJ’en ai croisé qui disaient : c’est ma 42ème, l’un en est même à sa 53ème. Moi, c’était ma première Foire de Francfort, ma première « messe » disent les allemands.
Je n’aime pas beaucoup les foires et les salons, lumières artificielles, bruit de fond, kilomètres de moquette et de mobilier de stand. Mais à Francfort, étrangement, alors que tout est multiplié par dix  (plusieurs halls immenses, chacun sur plusieurs étages, et des kilomètres de couloirs que des tapis roulants tentent de raccourcir), je passe plusieurs jours passionnants, où s’enchainent les rencontres.

Entre les rendez-vous, je m’aventure :

- au pavillon de l’invité d’honneur, cette année la Chine, ou une belle expo nous rappelle l’histoire de l’écriture, et que les Chinois avaient inventé l’imprimerie bien avant notre Gutenberg. Je suis toujours émue d’une manière assez inexplicable devant les témoignages des premiers temps de l’écriture : signes gravés sur une carapace de tortue, un os, une pierre.

tortue

chinoisliseuses

Il suffit de tourner la tête, et on tombe sur une série de liseuses suspendues au dessus d’une rangée d’ordinateurs, toujours des signes, des mots, toujours du sens qui circule entre les gens.

- à l’étage des agents, dont quelqu’un m’a dit qu’il fallait que j’aille au moins y jeter un coup d’œil. Ici, pas de stands tape à l’œil, pas de livres exposés. Des rangées de tables étroites, avec des chaises de part et d’autre, et des dizaines de paires de gens en train de discuter.

agents01

- dans la grande cour centrale, entre les halls immenses, pour déjeuner de saucisses et de pain, emmitouflée dans mon manteau. Une éditrice me l’a bien dit ce matin : « Francfort, pour moi, ça veut dire que l’hiver arrive. »

- dans le Hall 8, celui des anglo-saxons, dont l’ambiance est bien différente du 6, où sont regroupés les français avec d’autres. Mais je ne suis pas là tellement pour comparer les stands impressionnants des uns et des autres, je cherche Mike Shatzkin, qui partage un stand avec quelques autres consultants, et après quelques tours de piste, car il est sans arrêt occupé à discuter avec quelqu’un, je finis par le trouver seul, et passe un bon moment à discuter avec lui. Il est si chaleureux que j’en ai oublié mon anglais hésitant. Il me glisse une pub pour un événement qu’il organise à New York en janvier,  j’aimerais bien y aller.

Avant la «  Messe  », il y a eu la journée TOC organisée par O’Reilly. J’ai entendu Sara Lloyd, dont j’avais aidé Hubert et Alain à traduire le « digital manifesto » l’an dernier. Elle est suivie par Cory Doctorow, dont l’intervention qui pourfend les DRM sera pas mal commentée le lendemain sur la foire, tout comme la conférence sur le piratage de Brian O’Leary, qui tend à démontrer, sur un nombre limité de titres d’O’Reilly, que la mise à disposition non autorisée par l’éditeur des fichiers des livres numériques sur des réseaux peer to peer, le piratage,  tendrait plutôt à favoriser les ventes. Certains (essentiellement un article de the Bookseller, qui est distribué sous format imprimé gratuitement partout dans la foire,  laisse entendre que des éditeurs accusent Andrew Savikas, qui a organisé l’événement, d’en avoir fait un événement plus orienté « informaticiens » que « éditeurs », et de mettre en avant les expériences d’O’Reilly qui édite des livres bien particuliers, essentiellement destinés aux développeurs, en laissant entendre abusivement que ses expériences pourraient fonctionner tout aussi bien pour l’édition grand public.

Je ne sais pas bien de quel côté j’aurai fait pencher la balance, avec mon intervention de l’après-midi : je suis bien quelqu’un «  de l’édition  », et je ne suis pas informaticienne. Pourtant, je dis,  entre autres choses, dans cette intervention : « éditeurs, il va vous  falloir être un peu plus proches de la technologie. Les livres vont devenir numériques, vous vivrez dans un univers un peu plus technique, et il faudra bien vous y mettre un peu, si vous voulez maîtriser ce qui s’en vient. »

Les critiques faites à Savikas me semblent bien peu justifiées. Les commentaires de Sara Lloyd ont été, elle le précise en commentaire sur le blog de TOC,  sortis de leur contexte. Je conçois que certains soient agacés par les prises de position de Cory Doctorow. Mais déformer la pensée de Sara et essayer de jeter le doute sur la qualité de l’événement organisé par les équipes d’O’Reilly me semble un procédé assez douteux. C’est tentant de trouver quelqu’un sur qui taper lorsque l’on réalise qu’il va falloir changer, et vite, si on ne veut pas se trouver complètement dépassé par un monde qui change à toute vitesse. C’est tentant de tomber à bras raccourcis sur celui qui essaie de regarder loin devant et dit « préparez-vous, accrochez-vous, ça va remuer ! ».

Les interventions auxquelles j’ai assistées au TOC n’étaient pas spécialement techniques. Même la présentation faite par Peter Brantley de l’OPDS n’était pas technique, ce qui est une prouesse lorsque l’on parle d’un sujet pareil. Et cette façon d’essayer de minorer l’intérêt d’un événement en stigmatisant ses intervenants et son public est vraiment assez désagréable. On dit « c’est un truc de geeks », et on retourne ne rien faire à propos du numérique, en se disant « il n’y a pas de marché ». On pourra ajouter quelques propos nostalgiques sur l’odeur de la colle et le toucher du papier…

Pour plus de détails, voir le blog TOC, avec les commentaires.

Pendant que je projetais des photos de nuages et essayais d’imaginer, en vilaine geek que je suis, ce que pourrait être le « Cloud Publishing », les rois du Cloud Computing faisaient, dans la salle à côté, l’annonce de l’ouverture prochaine de Google Editions. Cela avait été déjà annoncé il y a plusieurs mois, mais cette fois, même si aucune date d’ouverture n’est encore annoncée, cela semble plus proche, courant 2010.

Cela fait des années qu’on savait que cela allait arriver : les géants du web s’approchent à grand pas et font trembler le sol sous leurs bottes de sept lieues. Seront-ils aussi amicaux que les géants de Royal de Luxe qui ont investi Berlin à l’occasion du début des festivités liées à  l’anniversaire de la chute du mur ?