Archives mensuelles : janvier 2011

Que se passe-t-il quand…

Que se passe-t-il lorsque (environ) 10% des livres vendus sont des livres numériques ? C’est la question que je me posais en arrivant à la conférence Digital Book World en début de semaine dernière. Car c’est bien ce qui se passe aujourd’hui aux USA, où les ventes d’ebooks ont connu une croissance très rapide depuis deux ans.

La première chose à laquelle pensent les professionnels du livre, avec la perspective d’un prochain décollage du marché du livre numérique, c’est à la possibilité d’une mise en difficulté des librairies. Celles-ci n’ont pas attendu le livre numérique aux USA, l’arrivée des chaînes de librairie puis celle d’Amazon avaient déjà fait chuter dramatiquement  leur nombre. Le basculement d’un nombre de plus en plus important de lecteurs vers la lecture numérique va-t-il venir à bout de celles qui ont survécu ? C’est l’avis de Mike Shatzkin, qui annonce une réduction de 90% des rayonnages en librairie dans les dix prochaines années. Jane Friedman, ex CEO d’Harper Collins et fondatrice d’Open Road Media n’est pas d’accord : il y a, dit-elle, un avenir pour les libraires : au contact direct des lecteurs, ils ont l’opportunité de jouer un rôle de médiation au niveau local, et alors qu’il est sans arrêt question d’écouter ses clients, d’animer des communautés, de se rapprocher des lecteurs, ils sont très bien placés pour ce faire, en sachant prolonger en ligne l’activité de leur magasin. L’enquête Verso révèle par ailleurs que «  80.7% des participants ont déclaré qu’ils préfèreraient acheter des livres numériques en ligne chez leur libraire local indépendant si les livres y étaient vendus à un prix compétitif.  »

Quid des bibliothèques ? Le président de Macmillan s’est fait interpeller, dès le débat d’ouverture de la conférence, par la blogueuse Sarah Wendell (du blog dédié au roman sentimental Smart Bitches ), qui lui a demandé pourquoi, alors qu’il semblait si désireux d’atteindre tous les lecteurs, ses livres numériques n’étaient pas disponibles en bibliothèque. La réponse de Brian Napack (avant de mettre en circulation des versions numériques de nos livres en bibliothèques, nous recherchons le business model  qui conviendra ) n’a pas satisfait  Jane Friedman, qui considère qu’il est temps de prendre au sérieux le public des bibliothèques, et que celui qui emprunte un livre numérique est tout près de l’acte d’achat. Pas de business model ? Steve Potash, le CEO d’OverDrive, n’est pas d’accord : plus de 13000 clients, bibliothèques, collèges, universités utilisent ses services pour le prêt de livres numériques, selon un modèle qui, dit-il, a fait ses preuves.  A la bibliothèque publique de New York, un bouton «  acheter  » est présent depuis quelques semaines dans l’application, mais il est encore trop tôt pour savoir dans quelles proportions ce bouton est utilisé. La simple présence des livres numériques dans les catalogues des bibliothèques leur donne de la visibilité, ce dont les livres ont le plus grand besoin. Ruth Liebmann, directrice du marketing direct chez Random House, s’intéresse de très près aux bibliothèques. Elle y effectue ce qu’elle appelle un «  Library Listening Tour  », afin de recueillir l’avis et les attentes des lecteurs de livres numériques.

La grande vedette de cette édition de DBW, ce sont les métadonnées. Il semble bien que plus les éditeurs voient grandir la part numérique de leur activité, plus ils prennent au sérieux les métadonnées.  Deux sessions leur sont entièrement consacrées, mais on en parle dans de nombreuses autres, et c’est bien. Les métadonnées ne sont pas nées avec le livre numérique, bien évidemment. Il était déjà indispensable de fournir des informations détaillées concernant les livres imprimés, pour rendre possible la commercialisation d’objets qu’il était nécessaire d’identifier convenablement et de décrire, d’une part, et aussi pour constituer des catalogues utilisables en bibliothèque. Cependant les  métadonnées demeuraient l’affaire des spécialistes de la distribution, de la diffusion, de la vente, ou du catalogage en bibliothèque : le livre un fois posé sur l’étagère d’une librairie expose lui même aux yeux des clients ses propres métadonnées. Sa localisation dans tel ou tel rayon,  informe le lecteur potentiel de la catégorie à laquelle il appartient, de la thématique qu’il aborde, sa tranche donne le titre, l’auteur, l’éditeur, et il suffit à quiconque de se saisir du livre pour découvrir sa couverture, de le retourner pour lire un résumé, de le feuilleter pour lire un extrait et se faire une idée de son contenu. Lorsque le livre est un livre numérique, cette expérience de manipulation est exclue. L’œuvre doit être présentée au lecteur sur un écran, celui d’un PC, d’une liseuse, d’un smartphone ou d’une tablette, et pour que cette présentation permette au lecteur de découvrir le livre, chacune des informations affichées doit avoir été saisie et transmise : titre, auteur(s), éditeur, ISBN, prix, type de fichier, indication de la présence ou non d’une protection (DRM), et nature de celle-ci,  argumentaire descriptif…

Et là, on est dans le cas où le livre numérique a déjà été trouvé… Mais comment a-t-il été trouvé ?
Comment en arrive-t-on à ce stade où la description d’un livre numérique se trouve affichée sur notre écran, accompagnée du bouton qui va nous permettre de l’acheter ? De bien des manières, selon que l’on est à la recherche d’un titre précis ou que l’on souhaite parcourir les rayons d’une librairie en ligne à la recherche d’une lecture, sans savoir encore laquelle,  ou bien que l’on cherche la réponse à une question ou un problème que l’on se pose, les possibilités sont nombreuses. Selon le cas, on utilisera un moteur de recherche générique, on naviguera parmi les rayons virtuels de la e-librairie que l’on préfère ou on se servira de son moteur de recherche interne, on aura suivi un lien présent sur un site, blog, réseau social. Quelles que soient les actions qui auront précédé l’affichage des informations concernant un livre particulier, ces actions, pour nous conduire vers ce livre, mettent en jeu les métadonnées. De leur qualité, de leur richesse, de la manière dont elles sont exprimées, dépend en grande partie la probabilité que le lien vers le livre en question apparaisse dans la liste des résultats générée par une requête sur un moteur, que le livre soit classé de manière pertinente dans la rubrique qui lui convient sur le site d’une librairie.

Un exemple tout simple donné par un éditeur : en passant un livre de la catégorie «  fiction  » à la catégorie «  policier  », et en lui affectant un ISBN (ce qui n’est pas toujours le cas aux USA où les ISBN sont payants et où nombre de revendeurs disposent de leur propre code d’identificaiton), les ventes de celui-ci ont augmenté aussitôt de 300%. Pour obtenir ce résultat, il a simplement fallu que quelqu’un se préoccupe de renseigner convenablement un champ de description, et pour que cela soit fait systématiquement, il faut que chacun comprenne l’importance des métadonnées, l’enjeu essentiel qu’elles représentent aujourd’hui, et leur impact direct sur le «  découverabilité  » d’un livre, et donc sur les ventes de celui-ci.

J’ai parlé de deux panels consacrés aux métadonnées : l’un concernait les «  core metadata  » – les métadonnées essentielles, indispensables à la commercialisation d’un livre, et le second les «  enhanced metada  », ou métadonnées enrichies, qui visent à augmenter encore la possibilité pour un livre de rencontrer son public, en donnant plus d’informations à son sujet : biographie de l’auteur, interviews (texte, audio ou vidéo), critiques et recensions parues dans la presse,  possibilité de feuilleter un extrait, indications géographiques lorsque cela est pertinent, et permet de cibler des clients géolocalisés, liens vers d’autres ouvrages ou vers des sites web, mots clé, tags… Ainsi les métadonnées deviennent un véritable outil de marketing, et non plus seulement des informations destinées à la «  chaîne du livre  » ou aux catalogues bibliographiques. Elles sont ce que les lecteurs potentiels verront des livres avant de se décider ou non à les acquérir, elles sont ce qui permettra à ses clients de savoir que ce livre existe. Et on sait comme il est difficile pour un livre d’arriver à simplement faire connaître son existence à ses lecteurs potentiels. Fran Toolan, CEO de Firebrand technologies, ajoute que la manière dont les jeunes générations cherchent et trouvent leurs lectures est différente de celle de leurs aînées, et qu’il est nécessaire, lorsque l’on travaille sur ses métadonnées, de s’entourer de jeunes pour intégrer les métadonnées qui répondront à leurs attentes. Cette réflexion démontre à quel point la création des métadonnées ne peut être un geste machinal, d’ordre administratif, mais bien un processus réfléchi, fruit d’une décision, reflet d’une stratégie.

Enfin, je terminerai par le début, la remise des prix de l’innovation du livre numérique :

Dans la catégorie fiction :  DRACULA : The Official Stoker Family Edition (PadWorx Digital Media)
Finalistes :  Letters From Father Christmas (HarperCollins) ; War of the Worlds (Smashing Ideas)

Dans la catégorie Non fiction : Logos Bible Software (Logos Bible Software, Inc.)
Finalistes :  10 Greatest Card Tricks of All Time (Vook & Workman Publishing) ; Ansel Adams (Hachette Book Group, Inc.)

Dans la catégorie Jeunesse :  A Story Before Bed (Jackson Fish Market)
Finalistes : Cozmo’s Day Off (Ayars Animation, Inc.) ; The Pedlar Lady of Gushing Cross (Moving Tales)

Dans la catégorie Référence :  Star Walk for iPad (Vito Technology Inc.)
Finalistes : Let’s Eat Out with Celiac / Coeliac and Food Allergies ! (R & R Publishing) ; The Solar System (Touch Press)

Dans la catégorie BD : Robot 13 (Robot Comics)
Finalistes : Operation Ajax (Tall Chair, Inc.) ; Tumor (Archaia Studios Press)

Concernant les «  enhanced books  », dont je ne sais toujours comment les désigner en français, livres enrichis, augmentés ou bien prolongés (?), plusieurs sessions leur ont été consacré, et il a été question également de la prochaine version d’EPUB, toujours en développement, EPUB 3, qui autorisera l’ajout d’éléments multmédia et d’éléments d’interactivité dans des livres numériques.

Je reviendrai plus tard sur cette question, ce billet est déjà d’une longueur épouvantable, non ?

le reste du monde

Pas de live-blogging de la conférence Digital Book World 2011, ni beaucoup de tweets : le wifi était très souvent saturé, et plutôt que de me précipiter sur mon mac pour bloguer le plus vite possible après les conférences, j’ai privilégié les rencontres et les discussions informelles. J’essaierai, une fois de retour à Paris, de faire une synthèse de ce que j’ai pu apprendre ici.

Rencontré ainsi hier soir Nick Ruffilo, qui vient de lancer EbookFling, un service de prêt de livres numériques entre particuliers, un jeune homme qui me fait sursauter quand il me parle de ses 10 ans d’expérience : il a monté sa première société à 14 ans. Dominique Raccah, CEO de SourceBooks, est là aussi, et la discussion roule rapidement sur les applications, Nick étant un farouche partisan du système d’exploitation Androïd, et Dominique expliquant qu’elle préfère l’environnement iOS 4 et l’écosystème Apple. Tout feu tout flammes, venant de l’univers de la technologie, Nick est passionné par l’édition et brûle de proposer ses idées aux maisons d’édition, concernant les livres enrichis. Je suis sûre qu’il y parviendra rapidement, avec l’énergie et l’enthousiasme qu’il déploie.

Echangé aussi avec Guy LeCharles Gonzalez, CEO (Chief Executive Optimist, comme il l’écrit ) de DBW, mais aussi slammeur (loudpoet), ainsi qu’avec deux autres personnes dont j’ignore le nom mais qui travaillent dans le domaine du transmedia, et en expliquaient les principes à Dominique Raccah.

Ces rencontres, ces discussions sont aussi importantes que les «  panels  » dans ces conférences. Mettre des visages sur des noms, partager des impressions, réagir à ce qui s’est dit, essayer d’expliquer aussi à mes interlocuteurs américains la situation de pays qui appartiennent au «  reste du monde  » comme ils disent, et cette expression est assez significative, alors que les débats s’intensifient sur le «  marché global  » et les droits mondiaux,  et le business que représente pour les éditeurs américains ce reste du monde où la seconde langue est partout l’anglais, et où de plus en plus de monde lit en anglais. Mike Shatzkin a d’ailleurs indiqué que cette question serait probablement au centre de la prochaine édition de DBW…

Bon, il est l’heure pour moi de retourner dans le reste du monde, si les 30 cm de neige tombés cette nuit me le permettent…

Futur du livre, et passé du web

Blogueurs, n’arrêtez jamais ! Moins vous publiez, plus il est difficile de le faire. Après plusieurs semaines d’interruption, me voici bêtement intimidée devant mon interface WordPress, comme quelqu’un qui, dans un dîner, aimerait prendre part à la conversation sans y parvenir : plus il tarde à s’y lancer, plus cette participation acquiert de l’importance à ses yeux, et tandis que les autres convives bavardent joyeusement sans arrières-pensées, il paufine mentalement son propos à l’infini, cherche désespérément le meilleur moment pour se lancer, et plus le temps passe, plus son inhibition augmente. Il est donc temps de se tourner vers ce malheureux, de remplir son verre, et de lui poser la question : alors, et toi, quoi de neuf ?

Quoi de neuf ?

Retour à New York, malheureusement sans la Dream Team, la valeureuse équipe avec laquelle j’avais participé l’an dernier à un voyage d’études du programme Courants, voyage blogué pratiquement au jour le jour (comme j’aimerais retrouver ce rythme !).

Séjour plus court cette fois-ci, à l’occasion de la conférence Digital Book World, qui commence demain soir. Pourquoi cette conférence et pas le TOC d’O'Reilly en février ? Mike Shatzkin, l’un des co-organisateurs de la conférence DBW explique comment il voit la différence entre les deux événements :

«  Tools of Change explore les développements technologiques qui ont un impact ou pourront en avoir un sur l’édition (en général) et aide les éditeurs (de toutes sortes) à les comprendre et à les appliquer. Digital Book World explore les défis économiques que le numérique adresse aux éditeurs «  trade  » (les éditeurs qui travaillent en priorité avec le réseau des revendeurs ) et les aide à les relever. Si j’organisais Tools of Change je scruterais l’horizon pour détecter les technologies susceptibles d’avoir un impact sur l’édition et poserais la question «  comment ?  ». Mais comme j’organise Digital Book World j’observe l’impact de la technologie sur l’environnement et les opérations commerciales de l’édition , et je me demande «  que devrions-nous faire  » ?  »

Bien sûr, j’aimerais bien assister aux deux conférences, mais il a fallu choisir, et cette année c’est DBW qui l’a emporté.

Je n’ai aucune chance de croiser là ni Evan Schnittman, ni Bob Stein rencontrés l’an dernier : ils participent  à l’édition 2011 de l’échange Franco-Américain qui nous avait permis de les rencontrer l’an dernier, et seront à Paris cette semaine.

Quoi de neuf par ailleurs ?

Une nouvelle version de l’Internet Wayback Machine, ce formidable service proposé par l’Internet Archive, qui permet de remonter dans le temps du web. Tapez l’adresse d’un site, et vous pourrez accéder à l’ensemble des versions qui en ont été archivées au fil des années. C’est intéressant pour observer l’évolution des sites en matière de design, mais c’est aussi un moyen, en recherchant des URL de titres de presse par exemple, de remonter le temps de l’actualité… mais pas beaucoup plus loin que 1995 ou 96 pour la plupart des titres… Un axe supplémentaire ajoutée à la sérendipité, et aussi un travail de préservation indispensable. La nouvelle version est très ergonomique ? J’ai toujours été fascinée par les trouvailles de design fonctionnel en matière d’exposition de données chronologiques, les «  time line  »..

Conférence autour du futur du livre, et voyage dans le passé du web, voilà qui va bien accompagner la lecture que je viens de commencer du dernier livre de Robert Darnton ; «  Apologie du livre, demain, aujourd’hui, hier  ». Je lui laisse la parole pour terminer, avec cet extrait d’une intervention sur France Culture au début du mois.


Les Matins – Robert Darnton