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Ello : je n’ai pas pu m’en empêcher

Capture d’écran 2014-10-04 à 18.50.12C’est plus fort que moi. Je ne me peux pas m’en empêcher. Dès qu’apparaît un nouveau réseau social, il faut que je dégote une invitation, et que j’aille m’y promener. Les plâtres sont encore frais, la peinture n’a pas fini de sécher, mais c’est cela que je préfère, un lieu sur le web encore peu fréquenté, où on crie «  ouh ouh  » dans les couloirs pour essayer de trouver quelqu’un à qui parler. En fait, cette fois-ci, on ne crie pas «  ouh ouh  », on crie «  Ello  »  (sans H).

Grâce à Sebastian Posth, qui m’a gentiment envoyé une invite, je me suis retrouvée un soir en train d’accomplir les incontournables petits gestes que l’on fait lorsque l’on débarque sur un nouveau réseau : charger une photo, écrire les quelques mots qui disent ce que vous voulez que les autres sachent de vous au premier regard, choisir un mot de passe difficile à deviner et pas trop facile à oublier.

Et puis on plonge. Tiens, Christine Génin est là, et Olivier Ertzscheid, et Daniel Bourrion. Autrefois j’aurais dit y avoir retrouvé    »tout mon agrégateur  », du temps de la blogosphère du livre. Aujourd’hui, je dirais plutôt que je croise des habitants de ma Twitt Line. Que font les gens ici ? Que racontent-ils ? En quoi c’est différent de Facebook, à part le fait qu’il n’y a pas de pub ?

Difficile de choisir qui suivre, un peu comme il n’est pas toujours simple de choisir à qui parler lorsqu’on arrive dans une soirée où on ne connaît personne. Commencer par écouter. Attraper un fil et le suivre. Reconnaître un nom, lire ce qu’il a posté, voir qui sont ses followers, et qui il suit.

Ceux qui ont à leur actif le plus grand nombre de posts forment le premier cercle de ceux qui, proches des fondateurs du site, l’ont utilisé en mode privé, avant même l’ouverture en version beta en avril dernier.  Curieuse (oui, je sais), je cherche à en savoir plus sur les fondateurs. Je trouve le site de Paul Budnitz, et sa page de présentation. Je lis une interview dans laquelle il explique ainsi le brutal succès d’Ello, qui intervient avant même que le site soit ouvert à tous :

Pourquoi Ello s’est mis à faire sensation ainsi, pratiquement d’un jour à l’autre ?

Paul Budnitz : Il y a eu un bon design, de la chance, et le fait d’arriver au bon moment. L’expérience sur tous les réseaux sociaux est devenue pénible, pour de nombreuses raisons, l’une d’entre elle étant bien sûr la pub. Et c’est clairement une préoccupation forte pour nous. Mais quand tu te débarrasses de la pub et de la fouille de données, tu es libre de te concentrer uniquement sur la qualité du design. Et donc je pense que c’est une combinaison de choses qui sont arrivées au même moment. Nous avons eu quelques bons articles dans la presse geek, et quelques fuites dans la presse allemande. Et ensuite Facebook a commencé à exclure de son réseau agressivement ceux qui n’utilisaient pas leur vrai nom. Et il y a eu une forte réaction à cela.

Mais Budnitz n’est pas l’unique fondateur. Il s’est associé à deux petites structures installées dans le Colorado, l’une à Boulder, centrée sur le design, Berger & Föhr, et l’autre à Denver, axée sur le développement, Mode Set. En me promenant de site en site, j’ai trouvé une interview de Berger & Föhr réalisée avant qu’ils aient commencé à travailler sur Ello. La société de Paul Budnitz était alors encore basée dans le Colorado également (avant de s’implanter dans le Vermont) et Paul était l’un de leurs clients. Le même site comporte une interview du directeur de Mode Set, Justin Gitlin.

Je lis aussi les réponses d’Antonio Casilli à Télérama, qui l’interroge sur la posture «  anti-Facebook  » de Ello, et la sincérité de ses fondateurs lorsqu’ils affirment ne pas être intéressés par les données de leurs utilisateurs.

Antonio ferait-il partie de ceux que Jay Rosen désigne comme des «  pré-mystificateurs  » (soit des «  démystificateurs agissant préventivement  ») ? Jay crée ce néologisme «  prebunking  » dans un post sur Ello que je traduis ainsi :

«  Pré-mystifier. C’est comme démystifier, mais sans avoir besoin d’attendre. Vous savez déjà que cela ne va pas marcher avant que cela ait vraiment démarré :  “Dites simplement non à Ello” 

Le pré-mystificateur fait partie de l’espèce journalistique connue sous le nom de “hype”, mais se présente comme son opposé : le “anti-hype”. Je dis qu’il relève du “hype”, parce qu’il éxagère le bruit fait par le phénomène nouveau de manière à montrer à quel point ce bruit est ridiculement gonflé. Comme par exemple ceci : “le réseau social le plus hot du moment va complètemnet mettre à terre ce cloaque capitaliste qu’est devenu Facebook”.
La pré-mystification, c’est du réalisme à bas prix.C’est un raccourci facile pour apparaître intelligent et mesuré, le seul adulte dans la pièce. Vous coupez court à l’excitation des gens en un soupir, et faites en sorte qu’ils s’agacent ensuite au moindre ballon gonflé. Un bon pré-mystificateur va glisser à la surface du phénomène en gémissant : “inutile de creuser plus, il n’y a rien à voir ici”.

J’ai toujours préféré creuser, quant à moi. M’inscrire. Fureter. Suivre des gens que je connais, d’autres que je ne connais pas. Commenter ici. Poster là. Laisser un peu de temps au temps, et voir de quelle manière une plateforme va évoluer. Peut-être suis-je imprudente ou naïve, mais je ne me fais pas un souci énorme pour mes données, depuis le temps, convaincue que c’est en exerçant son identité numérique que l’on apprend à la maîtriser, et que le web est un espace public, qu’il faut apprendre à habiter avec prudence mais sans crainte excessive. L’utilisation de mes données pour améliorer le ciblage publicitaire, pour le moment, me semble encore plutôt rudimentaire, et je me demande ce que font les data-scientists surpayés qui me valent de subir, depuis deux mois que j’ai acheté ma paire de Bensimon bleu marine, des propositions de paires de Bensimon bleu marine sur chaque page avec pub que je consulte. J’ai envie de lui dire, au data-scientist qui a bâclé son algorithme : «  bravo mon gars, t’as détecté que je m’étais acheté une paire de tennis. Trop fort. Maintenant, creuse-toi un peu la tête et essaye de me proposer autre chose. Je n’ai pas l’intention de me trimballer tout 2014-2015 en Bensimon bleu marine.  »

Retour sur Ello.

Les petits détails de design que j’aime :

- utiliser les flèches du clavier pour faire apparaitre et disparaitre les éléments de navigation situés à gauche de l’écran

- utiliser les touches F et N pour passer du flux «  Friends  » au flux «  Noise  ».

- les trois éléments d’édition de texte (gras, italique, ajout d’un lien) qui suffisent à mon bonheur sur un réseau social

Et aussi, l’absence de chats, de bébés chanteurs, et la sur-représentation en créateurs, artistes, musiciens, graphistes, designers de toutes sortes. Incontestablement, il souffle sur le Ello que je visite un esprit particulier, et qui me plaît.

Et en fait, c’est aussi plutôt agréable l’absence de publicité, finalement.

 

 

Nana, Clélia, NiNe et les autres

L’annonce du rachat de Twitch par Amazon a été l’occasion pour un grand nombre de «  non-gamers  » de découvrir une pratique qu’ils n’imaginaient pas. Nous autres «  gens-de-la-chaîne-du-livre  », comme nos amis aiment nous appeler, ne devrions-nous pas nous intéresser de près à ce qui se passe du côté de Twitch ?  Mike Shatzkin pose la question dans un billet dont je traduis un extrait :

«  Il y a longtemps que quelques visionnaires du monde de l’édition comme Bob Stein pensent que la révolution numérique pour les livres va, à long terme, ne pas se limiter à livraison et à la consommation des bon vieux textes tels qu’ils figurent depuis toujours dans les livres (ce à quoi la révolution du livre numérique s’est pratiquement limitée jusqu’à présent), mais que progressivement, ce que nous appelons un «  livre  » allait devenir quelque chose de complètement différent. Stein porte un intérêt tout particulier au livre en temps que production contributive, dans laquelle les commentaires et les annotations de nombreux lecteurs peuvent s’ajouter à la propriété intellectuelle initiale pour les lecteurs qui suivent. Stein m’a dit qu’il voyait cela (l’acquisition de Twitch) comme un «  game-changer  » (probablement un jeu de mot intentionnel), qui positionnait Amazon en chef de file dans le monde du jeu. Il considère également le phénomène du second écran tel qu’il existe dans Twitch comme extensible à d’autres événements en direct, comme les concerts et les lectures et même la télévision. Il a véritablement suivi les jeux vidéo depuis très longtemps.

Richard Nash exprime une idée similaire dans une récente intervention  : celle qui dit que les livres numériques impliquent que les livres ne sont plus des objets, mais des «  services de lecture  ». Est-ce que Twitch montre le chemin aussi pour cela ? Sommes-nous sur le point de «  regarder des gens lire  » en nombre significatif ?  »

Regarder des gens lire ? Je vous vois sursauter, incrédules. Qui, mais qui donc ferait ça ? Quel intérêt ? Direction Youtube. Je recherche successivement avec les expressions «  critique littéraire  », «  dans ma PAL  » et «  booktubeuse  ». Parmi les nombreuses vidéos de Booktubeuses, (oui, un nom qui est au féminin, parce que comme les blogueuses du livre, l’immense majorité de ceux qui chroniquent leurs lectures sur YouTube sont des femmes) je tombe sur une vidéo d’une jeune femme prénommée Nana, qui a créé sa chaîne sur YouTube à laquelle 1253 personnes sont abonnées. Cette vidéo, elle l’a publiée il y a un an, pour fêter le deuxième anniversaire de sa chaîne. Nana a réalisé un clip d’une durée  d’un peu plus de 6 minutes, sur un fond musical, dans lequel il y a trois parties : la préparation à la lecture, la lecture, la chronique de la lecture. On voit successivement   : Nana parcourir sa bibliothèque, choisir un livre, se faire du thé, allumer une bougie, s’installer à plat ventre sur son lit, lire, puis lire sur le dos, on la voit feuilleter le livre. Plus tard, elle pose son livre près de l’ordinateur, allume celui-ci, se connecte sur son  blog et commence à le chroniquer.

Avant la lecture, Nana se prépare une tasse de thé, et filme toutes les étapes de l’opération.
Bouilloire préparation thé de NanaTasse de thé de Nana

Plusieurs plans ensuite montrent Nana en train de lire sur son lit, dans différentes positions.

Nana lit à plat ventre sur son lit Nana lit allongée sur le dos Nana lit à plat ventre
Enfin Nana se filme en train de chroniquer son livre sur son blog :
Ordinateur de Nana

La réponse est donnée à la question posée dans l’article de Mike. Oui, il y a des gens qui aiment en regarder d’autres lire, tout comme il y a (certes, en bien plus grand nombre) des gens pour aimer en regarder d’autres jouer à Dota 2 sur Twitch. Et le clip est plutôt bien apprécié, les commentaires sont positifs :  Capture d'écran 2014-09-07 12.40.10

Malgré une allusion à la liseuse Kobo dans les commentaires, c’est le livre imprimé qui est mis en scène  dans les vidéos de Booktubeuses   : elles se filment souvent devant leur bibliothèque, saisissent les volumes, les brandissent, les rapprochent de la caméra, les lui présentent recto puis verso, les feuillettent. La PAL (Pile A Lire) tient une place importante, et  sa représentation sert même d’illustration d’ouverture sur certaines vidéos. L’autre ingrédient essentiel des vidéos est la parole. Une parole rapide, vive, énergique. Les jeunes femmes se saisissent des livres, et en parlent à la caméra comme elles en parleraient à leur meilleure amie. Simplement, le discours est souvent émaillé de formules qui elles, ne pourraient figurer dans une conversation amicale, des formules qui soulignent l’exercice qui s’accomplit : les Booktubeuses s’adressent à leur audience, soulignent des évolutions dans leur choix de mise en scène, communiquent au sujet de leur propre chaîne comme cela se fait à la télévision. Cela pourrait agacer, bien au contraire, cela aide à définir le genre, cela les inscrit dans une pratique que ces formules aident à identifier, tout comme d’autres habitudes spécifiques à cette communauté. Certaines existaient déjà chez les blogueuses du livre, comme le swap, qui consiste à s’échanger des colis de livres, dont la présentation doit être soignée et importe autant que le contenu du colis, qui contient généralement des petits cadeaux, des douceurs, des friandises en plus des livres. Un swap de livres numériques serait difficilement aussi photogénique, sans parler (s’il vous plaît, pas cette fois) des DRM qui le rendent – théoriquement – infaisable.  Les swaps sont l’occasion de tourner des vidéos, le déballage du colis étant mis en scène à l’écran, et certaines vidéos intègrent des inserts de texte donnant des précisions sur un titre au moment ou le livre est déballé, comme ici :

Capture d’écran 2014-09-07 à 17.29.256 416 personnes sont venues voir NiNe ouvrir son colis. Mais NiNe, qui a publié plusieurs vidéos à propos de liseuses, dont j’ai l’impression que certaines sont sponsorisées, indique en commentaire de l’une de ces vidéos qu’elle préfère lire sur liseuse, et ne lit sur papier que lorsqu’elle ne peut pas faire autrement.

Une autre rubrique récurrente pour les Youtubeurs en général et pour les Booktubeuses en particulier : «  In my mailbox  » : il s’agit de mentionner plus ou moins en détail les livres que l’on a reçu par la poste, ceux  que l’on a acheté ou dont on vous a fait cadeau.

Le Courrier International a traduit cet été de larges extraits d’un article de Cintia Perazo publié le 27 juillet 2014 dans La Nación, à Buenos Aires. L’Express s’est basé sur cet article pour publier le sien, fin août.

Je laisse Clélia conclure ce billet, elle répond avec beaucoup de simplicité et de gentillesse à des questions que vous vous posez peut-être sur les Booktubeurs, en se livrant à un autre des exercices de style de la communauté, la réponse à un Tag, ( le fait de devoir répondre à une liste de questions, et de faire ensuite parvenir cette liste à d’autres Booktubeurs). Elle s’étonne, vers la fin de la vidéo, du fait que les Booktubeurs français demeurent encore un mouvement relativement confidentiel, les chaînes les plus populaires n’atteignant pas les 10 000 abonnés, alors que dans le monde anglo-saxon et hispanophone il a déjà pris une ampleur beaucoup plus importante.

Le Tag, cette fois-ci, était nommé «  confessions d’un booktubeur  » :

Et voici les Booktubeurs cités dans cette vidéo :

Claudia : http://www.youtube.com/channel/UCK-1i…
Nine : http://www.youtube.com/channel/UCvpC3…
Manon : http://www.youtube.com/channel/UCqdvd…  : http://www.youtube.com/channel/UCv4do…
Matilda : http://www.youtube.com/channel/UCLCvK…
Angélique : http://livroscope.blogspot.fr
Mathieu  (oui, un garçon !) : http://www.youtube.com/channel/UCyUUO…
OhlalaChick : http://www.youtube.com/channel/UCuYJh…
LeBaldesLivres : http://www.youtube.com/channel/UC3sf3…
TheArwette : http://www.youtube.com/channel/UC22Vp…

Je ne suis pas certaine que Bob Stein a cela en tête, lorsqu’il parle de lecture sociale. Les différents dispositifs qu’il a mis en place successivement étaient bien plus centrés sur l’écrit, et sur le moyen de mettre en regard du texte initial les commentaires produits par des lecteurs. Il sera intéressant de voir si les dispositifs de lecture sociale intégreront à plus ou moins brève échéance des fonctionnalités de commentaire audio ou vidéo. Si l’on voulait pousser l’analogie avec Twitch, il faudrait qu’en plus de parler de leurs livres en les montrant, les booktubeuses puissent réellement lire en direct, tout en commentant leur lecture… Ce que j’ai vu jusqu’à présent, ce sont des expériences d’écriture en direct, ou parfois de lectures synchronisées.

Je crois qu’en réalité on n’a encore rien vu. Je crois aussi que de cette familiarité avec le langage audio-visuel, de cette aisance avec l’écran, la caméra, le maniement de sa propre image et l’usage de sa propre voix, vont surgir progressivement des formes d’expression dont nous n’avons pas encore idée. Pour l’instant, le livre tient une place centrale dans les vidéos présentées, et le phénomène n’a pas échappé aux éditeurs, qui adressent les leurs aux Booktubeurs comme ils en adressent depuis longtemps maintenant aux blogueurs du livre. 

On ne se refait pas.

w3c
Un groupe de travail sur l’annotation vient d’être créé au sein du W3C. Pour une introduction à quelques uns des problèmes posés par l’annotation des textes électroniques, je renvoie à ce billet de Marc Jahjah, qui date (déjà !) de 2011 (et fait, à la fin, allusion au défunt et magnifique site Small Demons…). Bon, si vous n’êtes pas complètement épuisé après la lecture du billet de Marc… je reprends.

Le but de ce groupe de travail est (je traduis),

… de fournir une approche ouverte pour l’annotation, la rendant possible dans les navigateurs et les systèmes de lecture, les librairies JavaScript et d’autres outils, de développer un écosystème d’annotation permettant aux utilisateurs d’avoir accès à leurs annotations depuis des environnement variés, d’être en mesure de les partager, de les archiver, et de les utiliser comme ils l’entendent.

Concrètement, cela signifie que le groupe de travail se donne pour objectif la fourniture d’ici  juillet 2016 des éléments suivants (je traduis encore)   :

1- Un modèle de données abstrait
2- Un vocabulaire : un vocabulaire précis décrivant/définissant le modèle de données
3- Des sérialisations : un ou deux formats de sérialisation du modèle de données abstrait, tels que JSON/JSON/-LD ou HTML
4- Une API HTML : Une spécification API pour  créer, éditer, accéder, rechercher, gérer et par ailleurs de manipuler les annotations via HTTP.
5 – Une API côté client : une interface de scripts et des événements pour faciliter la création de systèmes d’annotations dans un navigateur, un système de lecture, un plugin Javascript.
6 – Un système d’ancrage pour les liens : un ou plusieurs mécanismes pour déterminer une série d’éléments de texte ou d’extraits d’autres média, qui pourront servir de cible pour une annotation, d’une manière prédictible et interopérable, avec une persistance lorsque le document subit certains changements ; ces mécanismes doivent fonctionner en HTML5 et doivent pouvoir s’étendre à des types de média et des formats additionnels.

Sans surprise, on trouve parmi les fondateurs de ce groupe de travail Ivan Hermann, du W3C, qui anime déjà, avec Liza Daily ( Safari Books Online ) et Markus Gylling (IDPF et consortium Daisy) le Digital Publishing Interest Group , un groupe qui n’a pas vocation à publier des recommandations, mais à s’assurer que les exigences liées à l’édition électronique soient prises en compte, lorsque cela est pertinent, par les recommandations publiées par le W3C. Le Digital Publishing Interest Group a déjà un projet qui cherche des manières d’adapter le draft du Groupe Open Annotation pour un usage en EPUB3. Ce travail, indique le communiqué,

   » pourrait mettre en évidence des besoins nouveaux en ce qui concerne la conception techniques des annotations que le Web Annotation Working Group  pourrait prendre en compte. De même, les résultats produits par le Web Annotation Working Group (par exemple concernant l’API côté client) pourraient être pris en compte dans l’évolution future de l’EPUB, et pourrait conduire à des exigences supplémentaires.  »

 En attendant de suivre en vidéo (prévoir du café à cause du décalage horaire car elle a lieu à San Francisco) la cinquième édition de la conférence Books in Browsers. 

Moi, j’aime bien quand l’IDPF discute avec le W3C. Et j’aime bien quand on parle à la fois de «  Books  » et de «  Browsers  ». On ne se refait pas.

 

Est-ce que quelque chose a changé ?

fourmis-rougesPour commencer l’année, un billet dont le titre est emprunté à une chanson de Michel Jonasz dont le refrain dit :  «  Est-ce que quelque-chose à changé / Couchons-nous sur les fourmis rouges / Pour voir si l’amour est resté/ Pour voir si l’un de nous deux bouge…  »

Dans le vaste mouvement des choses qui changent, auxquelles faut-il prêter une attention particulière ? La Grande Conversion Numérique des livres tarde à se produire en France et semble déjà s’essouffler aux États-Unis. Eric Hellman a écrit à ce sujet un billet qui connaît un joli buzz, intitulé «  In 2013, eBook Sales Collapsed… in My Household.  »   ? Cherchant une explication au net ralentissement observé en 2013 dans la progression des ventes de livres numériques aux USA, et aux commandes de livres numériques en chute libre dans son foyer, il écarte un certain nombre d’hypothèses pour conclure, se basant sur l’évolution des usages de ses proches : les responsables, ce sont les sites de fanfiction…  (Le Kindle familial en panne a été remplacé par un iPad, les limitations imposées par Apple à l’in-app purchase rendent difficile l’achat d’ebooks sur Amazon, l’iBook store n’a pas séduit son panel (sa famille), et donc, les voilà qui passent maintenant leur temps de lecture à lire des fanfictions…) Par un tour de passe passe qui met dans le même sac    »tech-startups, tech-monsters, et tech-non profit  », il annonce une année 2014 qui devrait donner toute satisfaction à celui qui a écrit les lignes suivantes : «  Nous aimons investir dans des technologies et des modèles d’affaires qui sont en mesure de rétrécir les marchés existants. Si votre entreprise peut prendre 5 $ de revenus à un concurrent pour chaque dollar qu’elle gagne, alors parlons !  ». Une année qui verrait le marché du livre numérique s’effondrer sous les attaques des  » tech-quelque chose  » citées plus haut. Cinq dollars perdus pour les éditeurs traditionnels pour chaque dollar gagné par Wattpad, Manybooks, Readmills, Leanpub, Smashword ou même Unglue.it ?

AInsi, aux USA, de jeunes sociétés innovantes s’en prennent, nous dit Eric Hellmann, aux éditeurs et voudraient les faire vaciller, tout comme AirBnB inquiète l’hôtellerie, tout comme Uber concurrence les taxis et Netflix les chaînes de télé.  Wattpad et Smashwords sont des plateformes d’auto-édition, le Projet Gutenberg est le plus ancien projet de numérisation de livres, Manybooks diffuse des livres gratuits, principalement du domaine public, Leanpub est un outil de publication, et Unglue.it un site de crowd-funding dédié à la réédition numérique. Aucune parmi ces structures ne fait le lent et patient métier de l’éditeur, ce travail de défrichage à la recherche d’un prochain texte, d’un nouvel auteur, ce travail sur le texte une fois trouvé, et autour du livre publié. Aucun ne s’attache à construire, au fil des années, des collections qui sont pour certains auteurs des maisons communes, et pour leurs lecteurs des repères indispensables. Préférer la vitesse, expérimenter de nouvelles manières de faire surgir le talent, inaugurer des outils de publication, c’est très bien, et les maisons d’édition ont tout intérêt à suivre de très près l’activité de ces start-ups, et les plus avisées travaillent déjà avec elles. Mais pourquoi se réjouir à l’idée que tout ceci pourrait se substituer à ce qui existe déjà ? Pourquoi m’inviter à m’en réjouir, si au final, mon choix de lecteur s’en trouve amoindri ? S’il devient plus difficile de trouver de bons textes ? Pour qu’il y ait des fanfictions, ne faut il pas qu’il y ait des fans, des fans d’un auteur, et cet auteur-là, qui prendra le risque de le publier ?

Est-il devenu utopique, en 2014, de ne pas vouloir renoncer au meilleur de ce que nous proposent les deux mondes que nous aimons : celui des livres, et celui du web, et de continuer d’essayer de contribuer à les faire cohabiter, se compléter, se sublimer l’un l’autre  ?

 

 

EPUB : commenter la leçon

Capture d’écran 2013-12-03 à 19.51.22Nicolas Morin, dans un billet sur IDBOOX, oppose curieusement le format EPUB aux apps et au web, raillant (gentiment) les éditeurs qui fétichiseraient l’EPUB, et leur faisant (un peu) la leçon. Alors je monte au tableau, voilà, et je commente…

Si nombre d’éditeurs défendent aussi ardemment le format EPUB, ce n’est pourtant pas en l’opposant aux apps ou au web, c’est vis à vis de formats proches de l’EPUB, mais propriétaires, notamment le format .mobi, lisible sur les terminaux ou via les applications de lecture d’un seul revendeur.

Les éditeurs ne se contentent pas de défendre le format EPUB, beaucoup contribuent activement  à le développer, à travers l’IDPF et à en fortifier l’environnement de lecture, via la fondation Readium. Cet engagement se traduit par des actions concrètes, en vue d’inventer et d’améliorer sans cesse un écosystème du livre numérique ouvert, interopérable, et accessible.

La tenue prochaine à New-York d’un hackathon co-organisé par la New-York Public Library et la fondation Readium témoigne de cette vitalité et de cette ouverture.

Dans ce format EPUB sont aujourd’hui proposés des centaines de milliers de titres, autrefois disponibles uniquement au format imprimé, aux lecteurs qui, de plus en plus nombreux, souhaitent lire en numérique. La question n’est pas tant de «  répliquer la chaîne du livre  » que de mettre à disposition des lecteurs, en version numérique, les livres. Qu’attend un lecteur qui s’est équipé d’une liseuse ou d’une tablette ? Ou celui qui aime lire sur son smartphone ?  Dans la plupart des cas il compte fermement sur la disponibilité en version numérique des livres qui paraissent également en version imprimée, ou sont déjà parus, le mois dernier, l’an dernier ou il y a dix, quinze ou cent cinquante ans, il s’attend à pouvoir choisir dans un catalogue numérique qui ne doit rien avoir à envier au catalogue de livres imprimés.

Même si de nouvelles expériences de lecture sont bien évidemment possibles, même si des catalogues 100% numériques se créent progressivement, qu’il s’agisse d’œuvres nativement numériques, ou du passage en numérique de textes qui revisitent cette expérience, le défi initial pour les éditeurs traditionnels en ce qui concerne les livres numériques est donc plutôt modeste : il s’agit de faire exister les livres sur le web, et que ceux-ci demeurent des livres, avec bien sûr un écart vis à vis de la version imprimée qui provient de ce passage au numérique. Ce passage n’est pas indifférent, il n’est pas neutre, il n’est pas sans incidence. Mais la construction d’un espace des livres spécifique sur le web passe par le fait de veiller plutôt à la proximité avec les livres imprimés qu’à l’écart avec ceux-ci. Ce n’est pas «  anti-innovation  », c’est simplement la volonté de faire exister aussi en numérique ce que les lecteurs aiment des livres. Cela implique d’ailleurs beaucoup d’innovation, et ne convoque pas nécessairement le skeuomorphisme.  Nul ne peut prédire à coup sûr la solidité ni la durée de cet espace spécifique des livres numériques en construction, mais pourquoi reprocher aux éditeurs de s’être concentrés en premier lieu sur ce défi ?

Que n’a-t-on entendu à propos des majors de la musique qui ont tant tardé à numériser leurs catalogues !  Et maintenant, on va reprocher aux éditeurs de numériser les leurs ? Une double injonction, en forme de double contrainte : «  Numérise, éditeur, mais surtout, ne numérise pas !  ». Numériser, quel manque d’inspiration, c’est faire juste un simple et bête livre numérique qui ressemble au livre papier qu’on lit du début jusqu’à la fin avec même pas de vidéo et d’animations et de sons et d’interactivité dedans, trop bêtes ces éditeurs, ils ne voient pas, alors que les jeunes (les digitalnativzz) le voient,  que les bibliothécaires, les enseignants, les touristes, les pompistes, les dentistes le voient (même ma maman le voit), qu’avec le numérique on peut faire tellement tellement plus de choses oh là là…

Il n’y a pas lieu de s’étonner que le format EPUB, et la référence au livre imprimé, ne soulèvent généralement que peu d’enthousiasme chez un éditeur pure-player. Il n’a pas de fonds à numériser, il n’est pas tenu de publier (ni de promouvoir) simultanément deux versions de toutes ses nouveautés, l’une imprimée, l’autre numérique. Que lui importe (sur le plan économique) que les ventes de livres numériques se concentrent in fine chez deux ou trois acteurs mondiaux, et que les libraires en viennent à fermer les uns après les autres ? Cela préoccupe énormément les éditeurs traditionnels qui, eux,  publient dans les deux formats, imprimé et numérique, travaillent et veulent continuer de travailler avec un grand nombre de libraires de toutes sortes et de toutes tailles, pour leurs livres imprimés comme pour leurs versions numériques.

Tous les livres n’ont pas le même destin numérique, et le format EPUB sert convenablement la plus grande partie des objets éditoriaux que les lecteurs numériques achètent aujourd’hui. EPUB3 permet déjà, et permettra bientôt sur un plus grand nombre de terminaux, d’ajouter des types de livres à la mise en page plus complexe, avec éventuellement des éléments multimédia ou de l’interactivité,  et d’améliorer l’accessibilité.  Partout dans le monde se développe la lecture de livres numériques, à des rythmes variables selon les contextes locaux.  Ce développement ne se construit pas principalement pour le moment autour des livres-applications, ni autour des livres-sur-le-web. Il se construit autour d’artefacts du livre imprimé. Ce n’est ni bien, ni mal. C’est ainsi.

En tant que pure-player, vous pouvez choisir très librement la proximité avec le modèle du livre imprimé que vous souhaitez donner aux objets que vous allez publier. Vous pouvez l’oublier. Vous pouvez aussi devenir des experts de l’EPUB, et choisir de proposer aussi vos livres numériques en impression à la demande, (et dans ce cas le libraire deviendra votre ami…) ou bien explorer des territoires différents, à la frontière avec le jeu vidéo, l’art numérique ou l’audio-visuel. Vous pouvez pousser le web dans ses retranchements, subvertir les réseaux sociaux, détecter des  auteurs-codeurs,  pratiquer le crowd-funding, et même essayer de livrer vos exemplaires en POD par drone. Vous pouvez innover, foncer, hacker, inventer. Vous avez de meilleures idées que les éditeurs ? Bravo.  Réalisez-les. Ne demandez pas la permission. Si une forme réellement nouvelle et pertinente apparaît, si un meilleur dispositif surgit, ils finiront par l’emporter.

Mais pourquoi vous étonner que des maisons d’édition qui ont publié déjà des centaines, des milliers et parfois plusieurs dizaines de milliers de livres, et vont continuer d’en publier encore longtemps sous forme imprimée, agissent différemment, connaissent d’autres contraintes, suivent une autre logique que la vôtre Faire la leçon aux éditeurs dits traditionnels lorsque l’on est un pure-player, c’est de bonne guerre :  à la fois payant – on a droit à  un billet sur teXtes, ce qui devient rarissime :) –  et sans grand danger : on ne risque guère de rencontrer une vive opposition, de voir se lever des foules criant «  Comment pouvez-vous dire une chose pareille ?  ». Cela fait partie du jeu. Cela fait partie aussi du jeu de ne pas toujours laisser la leçon sans réponse.

 

 

 

Books in Browsers – pendant la pause

Capture d’écran 2013-10-24 à 23.04.51Pendant la pause déjeuner de la conférence Books in Browsers, qui se tient comme chaque année depuis maintenant 3 ans à San Francisco, et que je suis, comme chaque année depuis mon canapé à Paris, j’ai envie de publier ici la traduction du résumé de l’intervention de Justo Hidalgo,(24 symbols), qui est le prochain intervenant de la conférence. En développant l’architecture technique nécessaire à l’activité de sa société, Justo s’aperçoit progressivement que ses outils, tous dans le cloud, pourraient servir à d’autres qu’à lui. Ce court texte est une définition simplifiée de ce que peut être une approche de type «  plateforme  », très bien décrite dans le fameux billet de Steve Yegge, un ancien d’Amazon passé chez Google – le lien pointe vers la traduction du billet en français par Nicolas Colin.

Voici comment Justo annonce son intervention :

«  L’idée de construire une plateforme permettant à différents acteurs de produire des services et des applications liés au livre de manière plus rapide et plus efficace n’est pas nouvelle, dans le monde académique et parmi d’autres experts du numérique s’est développée toute une réflexion à ce sujet.

Mais, selon un chemin auquel on ne s’attendait pas au démarrage de notre projet 24 symbols, nous pourrions bien être plus près de cette vision que ce que nous pensions, en construisant une machine du type “Book as a Service”.

Pour développer notre société en offrant des livres numériques en abonnement, accessibles notamment aux possesseurs de terminaux mobiles,  nous avons dû faire évoluer notre architecture technique de manière que les nouvelles applications de lecture et les nouveaux services puissent se construire rapidement.

Bien qu’à court terme ce jeu de fonctionnalités n’ait été destiné qu’à nos propres besoins et requêtes, il apparaît de plus en plus clairement que cette couche pourrait potentiellement être utilisée par d’autres développeurs, éditeurs, associations d’éditeurs, chercheurs et même auteurs.

La vision et la promesse seront expliquées durant mon intervention, et les principales questions juridiques, techniques, politiques liées au projet seront posées à l’audience afin de comprendre pleinement les implications, le potentiel et les défis d’une plateforme Book as a Service totalement accessible.  »

Dès qu’il sera disponible, je posterai ici le lien vers l’enregistrement vidéo de l’intervention de Justo Hidalgo.

De la poussière sur les livres numériques

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C’était pénible, aussi. Votre attachement, votre addiction à ces objets lourds qui prenaient la poussière, s’entassaient sur des étagères, petits ou grands, épais ou minces, blancs ou jaunis, colorés parfois, et le plus souvent décolorés.

C’était terrible, votre folie d’aimer savoir qui avait écrit quoi, cette manie de chercher sur la couverture le nom de l’auteur. Le pire, c’est que certains auteurs indiquaient également le nom d’autres auteurs dans les pages intérieures, vous conduisant à des découvertes, vous enfonçant toujours plus dans la dépendance, tissant des liens entre la couverture jaune et la verte, le gros livre penché et le petit à peine visible.

C’était affreux, d’être obligé en regardant les objets posés sur les étagères, de se souvenir des gens qui vous les avaient offerts, de votre plaisir lorsque vous les aviez achetés, des heures passées sous le tilleul à plat ventre sur une couverture, la première fois que vous aviez lu celui-là, et dans ce train qui n’en finissait plus d’arriver, la fois où vous aviez relu cet autre. Oui, vraiment horrible. Il allait bien falloir un jour se débarrasser de tout ça. Il faudrait bien un jour inventer autre chose.

Vous aviez bien essayé ces succédanés, ces objets qui portaient un absurde nom féminin, et qui commençaient à se répandre doucement, très doucement chez nous, plus vite ailleurs, ces petites machines qui, une fois apprivoisées, vous procuraient, disiez-vous, une expérience de lecture somme toute assez proche de celle des objets posés sur vos étagères. Peut-être étiez-vous assez nombreux à être, au final, plutôt indifférents à la matérialité de ces choses. Elle était là, simplement, cette matérialité, papier, colle, encre, pour permettre ce moment magique, disiez-vous, ce coup de talon sur le sol qui vous permettait l’envol. Les pages se tournaient, remontant le ressort qui bientôt vous enverrait très loin. D’autres attachaient bien plus d’importance aux objets, à leur forme, à leur aspect. Parlaient même parfois de la délicieuse odeur-de-l’encre-et-du-papier. Pas vous. Seul importait le texte, s’y engouffrer, à en oublier de respirer et bouger, à attraper des fourmis dans les jambes, des torticolis, pour être resté si longtemps suspendu aux pages. Parfois, donc, vous lisiez aussi à l’aide d’un objet électronique, à l’écran mat ou brillant. Souvent, c’était parce que vous voyagiez, et que vous ne souhaitiez pas porter de trop lourds bagages. Ou bien, vous tombiez – horreur – en panne de lecture à des kilomètres d’un lieu habité, et il vous suffisait de trouver un peu de réseau pour vous approvisionner, sans devoir attendre la prochaine virée en ville. C’est dire l’état d’intoxication où vous vous trouviez. Vous développiez ce faisant de nouvelles et détestables habitudes. Celle de quitter l’enclos du fichier pour vérifier en ligne l’origine ou le sens d’un mot, situer une ville sur une carte, et même poster une citation sur Twitter, avant de reprendre votre lecture.

Mais ce n’était pas la solution. Demeurait cette sale manie d’en revenir, toujours, à des objets horriblement figés. Cette obsession de vous enfermer dans ces espaces clos. Ce plaisir malsain de savoir que d’autres avant vous avaient lu ce texte, celui-là exactement, et que, peut-être, d’autres le liraient après. Cette erreur que vous aviez faite en entrant dans cette confrérie des lecteurs, mais vous étiez petit encore, à l’âge de vos premiers Club des Cinq, et personne ne vous avait mis en garde. Les liens que vous continuiez de tisser entre vos lectures, et, horreur, avec d’autres lecteurs. La confiance que vous faisiez, pauvre innocent, naïf lecteur, au bout de quelques titres, à cet éditeur – un éditeur ! – qui vous avait, disiez-vous, pour votre grand plaisir, emmené vers une contrée littéraire jusqu’alors inconnue de vous.

Non, il faudrait quelque chose de vraiment différent. Oui. Mettre un terme à tout cela. Ce repli sur soi. Ce temps passé, immobile, coupé des autres. Cette fréquentation de complets inconnus. Dont certains étaient morts, cela me fait peine de l’écrire. Il faudrait passer à tout autre chose. Quelque chose d’ouvert. Quelque chose qui permette la circulation, la rencontre, et l’oubli. Quelque chose d’anonyme. Quelque chose de mélangé à d’autres choses. Quelque chose de plus intelligent. Quelque chose qui vous connaisse. Quelque chose qui vous devine, qui vienne à votre rencontre. Qui ne se contente pas de singer les choses poussiéreuses posées absurdement sur l’étagère entre deux autres choses. Qui ne soit pas bêtement homothétique, stupidement apparenté au vieux monde en perte de vitesse. Quelque chose avec des algorithmes. Avec de l’intelligence, oui, mais de préférence artificielle. Il faudrait ouvrir ces trucs et gratter l’encre jusqu’à faire des trous dans les pages, il faudrait creuser dans les pages pour trouver le sens, mouliner les débris des pages dans de grandes machines à indexer, fabriquer des bases de données, il faudrait tout de même penser à fabriquer, bon sang, un jour, des bases de données.

Vous lisiez bien d’autres choses, aussi. Vous naviguiez des heures, lisant-écrivant sur le web inépuisable, rebondissant d’un site à l’autre, du français à l’anglais, absorbé parfois longuement. Lire longtemps sur l’écran ne vous dérangeait pas. Vous aimiez la rumeur du web, ses mélanges, ses territoires balisés et inconnus, les tressautements de l’hypertexte, les carambolages qu’il permettait, ses îles, ilôts, archipels, ses atolls et ses icebergs. Et vous aimiez que parmi ces ilôts, auprès des merveilles et des surprises du web, il soit possible d’identifier, de loin, des zones particulières, reconnaissables entre mille.

Vous aimiez vous dire que les livres s’étaient fait une place sur le web. Et que, numériques ou numérisés, bon nombre d’entre eux pouvaient demeurer des livres.

On allait bientôt s’occuper de vous.

 

 

 

 

 

 

 

Le livre : en danger, ou dangereux ?

dressUn peu comme quand je m’achète une nouvelle robe et que j’ai envie de la mettre tout de suite, sans aucune autre raison que le désir de l’étrenner, me voici écrivant un billet simplement parce que je viens de passer quelques heures à faire une mise à jour de ce blog que je retardais depuis des mois. Pour inaugurer la nouvelle robe de teXtes, je me suis livrée à un exercice que j’aime bien, qui consiste à vous traduire un extrait d’un texte qui m’a intéressé. À vous, plus tard, si le cœur vous en dit, d’aller voir l’original en anglais et de lire le texte complet.

Cette fois-ci, il s’agit d’un extrait tiré d’un long texte de Richard Nash, Richard que j’avais déjà traduit du temps où il tentait de lever des fonds pour le site Red Lemonade, avant de décider de continuer à suivre ce projet en mode «  non profit  » et de rejoindre la start-up Small Demons, l’une des réalisations les plus abouties que j’ai vues parmi les nombreux sites qui se proposent de nous aider à découvrir des livres.

Le texte de Richard, intitulé «  On the business of littérature«  , est paru dans la Virginia Quarterly Review, et propose un long voyage dans le temps avec les livres, ainsi qu’un bref rappel de l’histoire du copyright. Mais c’est un passage singulier que j’ai eu envie de traduire, parce qu’il rejoint une idée que je partage, et que l’on pourrait résumer ainsi : «  Non, le livre n’est pas en danger. En réalité, c’est le livre qui est dangereux.  »

«  Il y a quelques années, j’ai rencontré le gourou des jeux vidéos Kevin Slavin, un homme qui pourrait être considéré comme un « ennemi » [des livres]. À la fin de notre rencontre autour d’un café, il est resté silencieux quelques secondes et a dit ensuite que ce que les livres et les jeux avaient en commun, c’était que les uns comme les autres récompensent l’itération. Plus vous jouez, plus vous lisez, plus vous vous perfectionnez, et plus vous prenez de plaisir. Ce qui , une fois intégré dans mon mode de pensée, donne : dans un jeu vous vous demandez quelle porte vous allez traverser ; dans les livres vous vous demandez à quoi pensait tel personnage en franchissant cette porte.. Il vous faut imaginer la couleur de la porte, son matériau, comment est sa poignée, si celle-ci est chaude ou froide au toucher de celui qui l’ouvre.

L’absence de vidéo, le manque de son, l’impossibilité de modifier les rebondissements de l’intrigue ( ce que l’on dénomme assez sommairement « interactivité »), est une caractéristique de la littérature, et non un bug. Et, en réalité, les livres sont interactifs. Ils contiennent des recettes destinées à notre imagination. À l’inverse, la vidéo est restrictive – elle vous montre à quoi ressemblent les choses, vous fait entendre le son qu’elles produisent.

Les livres ont résisté aux changements apportés dans la manière de raconter des histoires, qu’il s’agisse du cinéma ou de la télévision. Et les livres ont eux même été des agents de disruption à de nombreuses reprises, ébranlant l’église de Rome et l’aristocratie française, l’establishment médical du moyen-âge puis celui du dix-neuvième siècle. Et donc, cette croyance bien installée aux confins de la Silicon Valley, que les jours sont comptés pour des formes de narration longues constituées uniquement de texte ( en témoigne le scepticisme de Tim O’Reilly dans son interview avec Charlie Rose, ou les continuelles références aux voitures tirées par des chevaux, ou le nombre de plateformes multimédia développées en vue de remplacer le livre) cette croyance est à la limite du ridicule.  »

La vidéo, pas plus que le cinéma, n’est restrictive : ce que Richard veut dire, et il aime le cinéma, c’est qu’elle ne constitue pas un «  progrès  » par rapport au texte. C’est qu’elle ne vient pas compléter un handicap du pauvre-texte-privé-d’image-animée-et-de-sons. C’est que le texte n’a pas besoin d’images et de sons, parce qu’il les convoque dans notre imagination. Le texte s’étend dans notre esprit, le cinéma y pénètre, les deux, chacun selon des modalités bien différentes, nous emmènent hors de nous, hors du temps, hors du lieu où nous lisons et regardons.

Dans un tout autre registre, on passe d’une parole d’éditeur à la parole d’un auteur, le beau texte de Mahigan Lepage, «  écrire, c’est courir sur un cri  », refuse l’assignation de la littérature à un support, tout en affirmant que, bien sûr, le support n’est pas indifférent. Il faut lire les sept séquences, il faut commencer par le début, par l’enfance en Gaspésie, pour comprendre d’où vient le cri, pour comprendre pourquoi il faut courir.

«  Je dis que le cri n’a pas d’ancrage. Cela ne veut pas dire que le support soit insignifiant. De nouvelles formes naissent de nouveaux supports. Un cri lâché sur Twitter aura certainement une forme plus fragmentée qu’un cri comme On the road de Jack Kerouac, lancé sur un rouleau de papier ininterrompu, sans sauts de paragraphe, avec le son de mitraillette de la machine à écrire. On commence à les voir émerger les nouvelles formes, souvent brèves et non linéraires, mêlées de son et de vidéo, que le numérique suscite.

Et un même texte peut passer du blog, au livre numérique, au livre papier, à une lecture à haute voix, puis revenir au blog sous forme sonore ou vidéo. Il n’y a pas de limite.

Le cri n’est pas assigné. Et cela veut dire aussi, enfin, qu’il n’appartient à personne. Le cri n’est pas le fait d’un sujet, qui pourrait s’en revendiquer. Quand on crie de colère, ne dit-on pas qu’on ne se possède plus ? Le cri défait l’identité de la parole avec un locuteur. Le cri, ce n’est pas nous : c’est la colère qui passe à travers nous.

Qu’est-ce qui fait que certains crieront, et d’autres pas, je ne sais pas. Peut-être que certains en ont besoin, d’autres non. Peut-être que certains le peuvent, et d’autres pas. Qu’est-ce qui fait que ça nous arrive et nous traverse ? C’est un rugissement. Ça nous prend et on n’est plus maître. Et c’est peut-être cela qui fait le plus de bien : on est libéré de son moi-même. Même si on parle de soi, même si on reste proche de l’expérience (et il le faut), il reste que pendant qu’on écrit, on ne pense plus à ses petits problèmes. Les petits problèmes, les pensées, c’est toujours la même chose : comment moi je vais me défendre contre le monde. Soudain, on ne se défend plus. On ne pense plus. On est hors de soi. On court sur un cri.  »

 

Que pouvons-nous apprendre des webdesigners ?

Le livre numérique, c’est «  juste  » un fichier…

À la jonction entre les deux significations du terme “livre” (livre en tant qu’œuvre de l’esprit ou livre en tant qu’objet matériel), se situent des opérations de mise en forme qui sont transformées radicalement dès lors qu’il s’agit de produire un livre numérique : ces opérations à la fois intellectuelles et artistiques qui participent au sens et au propos du livre conditionnent également sa matérialité, son aspect. Contrairement à ce que certains imaginent, la fabrication d’un livre numérique est tout sauf triviale. Comment ça ? L’édition ne s’est elle pas déjà informatisée depuis de longues années ? N’est-ce pas déjà un fichier informatique qui est aujourd’hui adressé à l’imprimeur ? Qu’il n’y aurait plus qu’à mettre à disposition des e-libraires ?  En réalité,  le fichier destiné à l’imprimeur n’est en aucun cas utilisable tel quel pour la lecture numérique. Il a été mis en forme en vue d’une impression, et non d’un affichage sur des terminaux de différentes tailles, disposant de différents moteurs de lecture, supportant différents formats. La production de fichiers numériques susceptibles d’offrir  une expérience de lecture numérique satisfaisante nécessite le recours à des savoir-faire particuliers ainsi que la mise en place d’un process de production itératif (produire, tester sur différents terminaux, corriger, tester etc.) jusqu’à obtention d’un fichier, en réalité de plusieurs fichiers,  de la qualité requise. Que certaines de ces opérations soient ou non sous-traitées à des sociétés extérieures ne change rien à l’affaire : c’est l’éditeur qui est responsable, en particulier devant l’auteur, de la qualité du fichier qui va être mis en circulation. C’est lui qui signe le “bon à publier”.

Ça ressemble au web…

La réalisation d’un livre numérique n’est-elle pas, de ce fait, plus proche dans les compétences qu’elle requiert, de l’activité d’un webdesigner que de celles des maquettistes et des compositeurs du monde de l’imprimé ? Le webdesign est né dans dans un milieu technique très contraint : faible bande passante, performances médiocres et disparité dans l’interprétation des standards des navigateurs, outils frustes, écrans faiblement définis, affichages lents, nombre de polices de caractères limité. Même si les performances des écrans et de la bande passante ont évolué, le talent du webdesigner réside encore aujourd’hui dans sa capacité à intégrer des contraintes qui demeurent fortes pour créer des sites beaux et agréables à consulter, d’une navigation aisée, mais également  faciles à mettre à jour et à faire évoluer. Une séparation radicale a aussi eu lieu en ce qui concerne le webdesign : on a rapidement cessé de mélanger dans un même fichier la description et l’expression du contenu des instructions concernant sa mise en forme. Ce qui permet, en modifiant un fichier, de modifier l’aspect de tout un site web. Ce qui offre aussi la possibilité de faire circuler les éléments de contenu et de les afficher dans des environnements graphiques très différents les uns des autres.

À celui qui réalise des livres numériques, le webdesigner pourra enseigner une certaine humilité  :  ni l’un ni l’autre n’ont sur le résultat final de leur travail le même contrôle absolu que celui dont dispose le maquettiste dans le monde de l’imprimé. Cette philosophie du webdesigner, qui, ayant accepté une certaine perte de contrôle, met tout son talent à proposer cependant la meilleure expérience de lecture et de navigation possible, est très utile au e-book designer. Et les deux métiers ont ceci de commun que pour les pratiquer avec succès, il faut marier une grande sensibilité visuelle avec un intérêt pour la dimension “computationnelle”, le goût de l’image et celui du code.

…mais ce n’est pas le web.

Le webdesign ignore cependant presque tout de ce qu’est un livre, et apporte rarement des solutions satisfaisantes aux problèmes spécifiques posés au ebook designer. Comment  permettre le confort d’une lecture immersive ?  Cela passe par la réponse à une infinité de questions du type : “Comment gérer les notes en bas de pages ?” “ Comment obtenir un affichage convenable des lettrines ?”  “Quel repère dans l’avancement d’un texte si le numéro de page n’est plus attaché, selon la taille de l’écran utilisé pour le lire, à la même portion de texte ?”… Les réponses à ces questions ne sont pas toutes du ressort de celui qui travaille à produire le fichier numérique : certaines sont apportées au niveau du logiciel de lecture, d’autres au niveau du format de fichier. La personne en charge de la production du fichier  doit cependant être consciente de la latitude dont elle dispose, afin de l’exploiter au maximum. Les subtiles différences entre les plateformes de vente de livres numériques dans la manière d’accommoder les formats débouchent sur des différences dans l’affichage d’un même livre selon qu’il est acquis sur une ou l’autre plateforme, consulté sur l’un ou l’autre terminal. Le travail de préparation des fichiers ressemble fort aux tests que les développeurs web doivent accomplir sur les différents navigateurs (internet explorer, safari, firefox etc.) dont la plupart ne respectent qu’imparfaitement les spécifications publiées par le w3c. L’utilisation d’un unique fichier, qui procurerait une expérience de lecture parfaitement satisfaisante sur l’ensemble des plateformes et la totalité des dispositifs de lecture est aujourd’hui illusoire, ou bien oblige à s’aligner sur le moteur de lecture le moins performant. Pour qui reste attaché à la qualité, pour qui ne s’en remet pas au hasard pour décider de la forme d’un texte, plusieurs variantes numériques d’un même titre doivent être produites, chacune prenant en compte les spécificités de chaque plateforme.

Je suis loin d’avoir fait le tour de la question, et les modes d’organisation diffèrent grandement selon la taille des maisons d’édition, le nombre et le type de livres produits. Certains secteurs d’édition (guides de voyage par exemple) se prêtent plus que d’autres à la mise en place de process de production quasi automatisés, la structuration des textes se faisant dès l’amont (XML first), les auteurs appelés à  travailler directement sur des outils effectuant cette structuration de manière transparente.

J’aurai plaisir à lire vos réactions et témoignages sur ces questions dans les commentaires…

À tête reposée

Medium, version alpha

Vous connaissez Branch ? Medium ? App.net ? Svbtle ? Vous êtiez en vacances, c’est ça ? Ne dites pas non, je les ai vues sur Instagram vos photos de Toscane, du Lubéron de la Bretagne, du bassin d’Arcachon, et toi, oui, toi, j’ai vu tes photos de Normandie sous la pluie. Y avait pas de Wifi. Oui. D’accord. Et la 3G alors ? Ah bon, vous avez débranché. Un été sans fil RSS à la patte. Bien : ces types de la Silicon Valley s’arrachent pendant que vous, vous gonflez  des canards en plastique. Et vous n’aurez pas fini d’étaler de l’après-soleil sur les épaules de votre petit dernier qu’ils auront changé le web, comme ça, sans prévenir, en plein mois d’août.

Prenez Evan Williams, l’inventeur de Blogger (racheté par Google en 2003). Il aurait pu faire un break après ça. Non – penses-tu ! – il rencontre Jack Dorsey, le gars qui a eu l’idée de Twitter, et c’est parti. Qu’est-ce qu’on fait, une fois qu’on a lancé Blogger et Twitter ? On réfléchit, on regarde le web tel qu’il est, et on se dit : c’est bien, maintenant, tout le monde peut partager ses idées avec tout le monde. Seulement voilà, c’est une sacré pagaille, un grand brouhaha. Il existe bien sûr de nombreux moyens pour retrouver son chemin, trouver dans les meules de foin les aiguilles qui vont piquer notre curiosité et notre imagination. Mais pourquoi ne pas essayer plutôt de résoudre le problème en amont ? Est-il possible de créer une plateforme de publication qui, par sa conception même, sa structure, les concepts sur lesquels s’appuie son architecture, favorisera la qualité et la pertinence des contenus ?

Cela donne Medium, qu’il est difficile de commenter maintenant, car la plateforme est en version alpha, on ne peut qu’en consulter de toutes petites parties. L’un des premiers textes publiés, c’est l’explication d’Ev Williams concernant le projet soutenu par sa compagnie Obvious Corp. :

«  Il y a 13 ans nous avons contribué à la démocratisation de la publication avec une approche nativement web appelée «  blogging  ». C’était il y a longtemps et tout est différent aujourd’hui, la société, les réseaux, les terminaux mobiles, que sais-je encore ? Nous nous sommes sentis dans l’obligation de construire un réseau de contenus pour l’âge technologique dans lequel nous vivons aujourd’hui, et nous avons une vision de ce que la publication pourrait être.

Partager des idées sur Internet c’est bien, cela les rend disponibles pour plus de gens. Cependant, imprimer des mots sur un écran comme nous le faisons sur du papier ne tire pas avantage du fait que nous sommes tous connectés et que nous utilisons de puissant ordinateurs. Il y a tellement de place pour l’amélioration et l’innovation dans le domaine de la publication maintenant, parce qu’il fonctionne sur des concepts hérités, obsolètes. Tout, depuis la manière dont nous consommons les contenus jusque à la manière dont les contenus sont créés doit être ré-imaginé. L’intention est évidente de construire des systèmes qui aident les gens à travailler ensemble pour faire du monde un endroit meilleur. Tous les systèmes ne sont pas sur le web, quelques-uns de nos projets ne sont pas des sociétés Internet. Quoi qu’il en soit, construire ce que nous voyons comme l’avenir de la publication dans un monde où des milliards de gens sont en réseau nous place d’emblée dans l’idée d’un travail de dissémination.

Faire passer une grande idée de la tête de quelques-uns à celle de millions d’autres personnes de manière qu’elle soit comprise et qu’on puisse fonder une action dessus est pour nous clairement une route vers un monde meilleur.

Une grande part de la vision que nous avons pour Medium est simplement cela  : une vision. Nous ouvrons le peu que nous avons construit parce que nous croyons que nous pouvons apprendre en observant les usages. Notre but, comme toujours, est de bâtir un système qui place les utilisateurs en premier.

Nos idées vont bien plus loin que ce que montre notre produit pour le moment. Medium n’est qu’une esquisse de ce que cela pourra être. Néanmoins, nous espérons que vous accorderez quelque valeur à ce produit et nous attendons vos retours.  »

Cela ne décrit pas réellement la plateforme, dont la principale différence avec une plateforme de blog telle que celles que nous connaissons est un classement thématique des entrées, et non anté-chronologique. Le sujet, le thème semblent également l’emporter sur la mise en avant de l’auteur dans la présentation des contenus. Certains y voient une sorte de Pinterest qui étendrait aux textes le concept de «  board  » utilisé dans Pinterest pour créer des assemblages de photos.

Les grandes déclarations sur la manière de changer le monde de M. Williams me laissent assez indifférente, ce qui me semble intéressant c’est d’observer que semblent se réinventer à très grande vitesse,  transposées sur le web, quelques-unes des fonctions essentielles qui se sont développées lentement dans l’histoire de l’édition.

Il faudrait être  meilleur connaisseur de cette histoire que je ne le suis pour établir des correspondances terme à terme, entre ce que «  font  » les plateformes successivement créées, ce qu’elles automatisent, ce qu’elles autorisent, ce qu’elles provoquent, ce qu’elles simplifient ou compliquent, et toutes les tâches traditionnellement dévolues à différents intermédiaires dans le monde analogique.

Sélection, édition, thématisation, mise en forme, critique, commentaire, mise en circulation, classification, conservation, j’en oublie beaucoup.

Il est passionnant d’observer comment ces fonctions qui structurent le monde de l’édition, autour d’objets, (qui fonctionnent comme des  stocks) se transforment dans le monde du web, autour de plateformes, (qui organisent des flux).

Branch : invitation à la conversation

La plateforme Medium toute seule n’aurait peut-être pas attiré mon attention, mais on a vu aussi (enfin vous, non, vous mangiez des crêpes à St Nic, des croissants chez Frédélian, des chouchous sur la plage de Mimizan), on a vu apparaître Branch, un service de conversation qui fonctionne sur invitation : vous lancez un sujet, vous invitez qui vous voulez sur Twitter, et les personnes invitées peuvent inviter qui elles veulent elles aussi. Chacun peut aussi décider de créer une nouvelle «  branche  » de discussion à n’importe quel moment.

J’en entends grommeler :    » les forum sur le web, c’est pas très nouveau…  » et d’autres qui ajoutent : «  il y a même un protocole pour cela, distinct du web, Usenet  ».

En réalité, je crois qu’il faut être attentif à Branch parce que ce service apporte ce que de nombreux sites web 2.0 ont apporté, un design impeccable et une grande facilité d’usage, tout en rompant, comme l’explique McNamara ici, avec certains des principes qui sous-tendent de nombreuses plateformes de réseaux sociaux :

- l’idée de «  suivre  » des utilisateurs (de manière symétrique – Facebook, ou asymétrique – Twitter, Instagram.

- l’ouverture totale aux contenus publiés par qui vous suivez (vous ne pouvez choisir le type de contenus que vous recevez de quelqu’un que vous suivez, vous ne pouvez pas préciser dans Facebook «  je veux lire les statuts de cette personne mais ses photos de chat ne m’intéressent pas du tout  »)

- la validité permanente de cette relation follower / followed, ou bien «  friended  », qui fait que vous ne pouvez la rompre que par une action volontaire, et qu’il n’est pas besoin d’entretenir cette relation (au moyen de «  likes  », d’étoiles, de j’aime, de +) pour qu’elle perdure.

Sur le site Branch, la relation instaurée entre les utilisateurs qui participent à une discussion dure le temps de cette discussion. Il ne s’agit pas d’une conversation privée, mais d’une sorte de «  table ronde  » virtuelle. Elle diffère de Quora parce que n’importe qui peut s’inscrire dans Quora et répondre à une question, même si l’appréciation par les autres de la qualité de votre réponse lui donnera plus de visibilité qu’aux réponses jugées moins pertinentes. Dans Branch ne peuvent s’exprimer  que ceux qui sont invités à le faire.

A peu près en même temps que Medium et Branch, (deux projet soutenus par Obvious Corp., le fonds d’investissement d’Ev Williams) apparaissent svbtl et app.net.  Ce billet s’allonge démesurément, aussi je reviendrai dans un billet ultérieur sur ces deux autres projets, en attendant vous pouvez lire ceci et ceci (en anglais).

Entre flux et stock, nos va-et-vient.

Nos pratiques mixtes, entre web et livre (numérique ou imprimé, c’est finalement de peu d’importance de ce point de vue), entre lectures connectées et déconnectées,  appellent des manipulations qui sont des va-et-vient permanents entre «  flux  » et «  stock  ». Penser à la petite merveille que représente le service IFTTT qui permet d’automatiser certaines de ces circulations (par exemple, stocker dans un carnet dédié sur Evernote les twitts que l’on marque comme favoris, afin de retrouver ultérieurement le lien qu’ils contiennent).

Les applications comme Instapaper, Pocket, Readability se chargent de stocker pour nous ce que nous voyons passer afin que nous puissions le lire plus tard à tête reposée.  Elles sont un peu différentes des Flipboard, Zite, Pulse, qui prennent nos flux RSS et les mettent en forme d’une manière qui rend leur lecture plus agréable, ou nous proposent des sélections thématiques. Les premières sont disponibles en effet durant nos pérégrinations sur le web, et permettent d’ajouter à un dispositif de lecture des articles que nous avons trouvé via des liens ou des surfs qui nous ont emmenés ailleurs, et pas seulement sur nos «  sites préférés  ».

La notion d’économie de l’attention prend tout son sens, car la profusion d’informations et de moyens d’y accéder ne va pas avec une augmentation de notre temps disponible pour nous adonner à cette fameuse «  lecture à tête reposée  ». Ce n’est d’ailleurs pas toujours le temps qui nous manque, mais la tranquilité d’esprit, la disponibilité, l’apaisement nécessaires à une forme de lecture en passe de devenir un véritable luxe.

Cette notion  prend tout son sens également lorsque l’on se penche sur les modèles économiques sur lesquels reposent les services créées par ces sympathiques start-ups : c’est bien entendu l’attention (à l’exception de app.net, mais j’y reviendrai)  que nous leur consacrons qui en constitue la valeur principale, car cette attention sera certainement monnayée.

Mais vous, là, de retour de vacances, vous êtes prêts, bien sûr, pour de nombreuses lectures à tête reposée…  Il y a de quoi faire en ce moment, on dirait.