Encore le Cloud…

bleuQuel dommage de parler de « clouds » en ce beau premier week-end vraiment printanier… Mais je n’ai pas le choix. suite à une intervention que j’avais faite au TOC de Francfort en octobre dernier, on m’a demandé de participer, lors de la prochaine foire du livre de Londres, à une table ronde sur le thème « Clouds : What are They Really About, and What is Their Impact on Publishers? »

Bonne occasion pour sortir mon blog de sa léthargie, et essayer de faire ce à quoi sert un blog : réfléchir tout haut, réfléchir avec vous, ouvrir la boîte, et m’aider de votre possible lecture pour avancer dans la préparation de cette table ronde.

Je suis loin d’être une spécialiste de la question, et c’est pour ça que ça m’intéresse… Les premières explications concernant le cloud computing, c’est au théâtre de la Colline, lors d’une conférence donnée dans le cadre d’Ars Industrialis que je les ai trouvées. J’ai approfondi cette affaire en lisant le livre co-écrit par Christian , Alain Giffard et Bernard Stiegler, intitulé « Pour en finir avec la mécroissance« .

A Francfort, je me suis demandé ce que pourrait bien devenir l’industrie du livre, si on se mettait à la définir non plus comme « produisant » des livres, mais comme proposant des services, en détournant l’un des sigles qui déclinent ceux que le cloud computing propose : « PAAS = Publishing As A Service ».

J’avais bien conscience, dans cette présentation, de jouer un peu sur les mots, en considérant comme « dans les nuages », toute l’activité qui entoure le livre et qui se situe en ligne. En effet, il ne suffit pas qu’un service soit proposé en ligne pour qu’il relève précisément  du « cloud computing », ou alors, on enlève à ce concept sa véritable substance, considérant chaque serveur comme un petit nuage…  Non, lorsque l’on parle de « cloud computing », on parle non pas de serveurs dispersés et gérés de façon autonome, tous reliés par internet. On parle de gigantesque installations industrielles, contenant des centaines de milliers de serveurs, offrant d’énormes capacités de stockage et de calcul. On parle aussi « virtualisation », et là, je cite Christian Fauré :

La virtualisation est un procédé qui consiste à dé-corréler la vision physique de la vision logique des infrastructures de machines. On peut ainsi avoir une seule machine physique qui est considérée comme étant une multiplicité de machines logiques. Bien que la technologie de virtualisation ne soit pas toute récente,  Amazon a relevé le défi non seulement de la mettre en place sur de très grandes quantités de machines, mais en plus d’automatiser l’allocation
de ses ressources logiques, permettant ainsi à tout internaute de mettre en place un serveur virtuel, en ligne et sans intermédiaire. Nombre de jeunes sociétés web s’appuient aujourd’hui sur les infrastructures d’Amazon pour disposer d’une puissance de calcul et de stockage « à la demande » et élastique, précisément pour ne pas s’effondrer en cas d’augmentation des consultations sur leur site. »

La complexité et le gigantisme de ces installations industrielles, mises en place par des acteurs dont on imagine que, parce qu’ils opèrent sur le web, ils ne brassent que du virtuel, de l’immatériel, a été un réelle découverte. D’ailleurs, l’idée très bien implantée qui consiste à considérer que « du moment que ça passe par Internet, cela ne coûte rien, c’est virtuel, ce sont des « bits », pas des atomes, alors n’allez pas nous faire croire que cela coûte cher » s’appuie sur cette vision naïve d’une société de la connaissance qui serait post-industrielle, brassant uniquement de la matière grise à l’aide d’impulsions électroniques sans presque aucune inscription dans la matière. Amazon, Google, Microsoft, IBM, Apple, possèdent de telles installations, et continuent d’en construire. Où croyez-vous que sont stockés vos photos sur Flickr, vos vidéos sur YouTube, vos messages sur Twitter, vos publications sur Facebook, et vos billets de blog ?

Alors, l’édition dans les nuages ? Ce que j’avais eu envie de mettre en avant à Francfort, c’est le fait que le livre n’avait pas besoin d’être numérique pour avoir quelque chose à voir avec le cloud. Que déjà, alors que le livre numérique en France en est encore à ses balbutiements, le monde des livres avait déjà en partie migré sur le web, et probablement « dans les nuages » aussi. Que déjà, le concept de « chaîne du livre » était devenu inopérant, et cédait la place à quelque chose qui ressemblait bien plus à un réseau, dont bien des nœuds, déjà, étaient dépendants du cloud computing. Notre bouquinosphère, par exemple, mais aussi le web littéraire, avec lequel elle a des intersections. Auteurs-blogueurs, pro-am de la critique littéraire, certains libraires et éditeurs, tous utilisent des services et des plateformes qui bien souvent s’appuient sur ces infrastructures « dans le nuage ».

Du côté des éditeurs, les exemples de nouvelles offres éditoriales tout à fait susceptibles d’utiliser le cloud computing se multiplient également. Les sites proposant du « pick and mix », offrant la possibilité aux utilisateurs de composer eux-mêmes le livre qu’ils pourront ensuite consulter en ligne, télécharger ou imprimer à la demande se sont multipliés. Construits autour de thématiques comme la cuisine, ou bien édition scolaire et universitaire, ces sites s’appuient sur des plateformes permettant d’identifier et de sélectionner des éléments de contenu, textes et images, de les choisir et des les assembler. La plupart proposent aux utilisateurs de créer des ouvrages qui pourront mixer des contenus éditoriaux prééxistants et des contenus créés par l’utilisateur.

La vision de Bob Stein, celle d’une lecture connectée, communautaire, collective, de textes disponibles en ligne et accompagnés de dispositifs permettant annotation et échanges entre lecteurs, s’appuie également sur un concept de plateforme en ligne, offrant à la fois l’accès à un contenu et l’accès à des services qui vont au-delà du simple affichage du texte.

En vérité, chacun des services cités n’était pas nécessairement situé dans les nuages, au sens strict du terme. Susan Danzinger, la fondatrice de Daily-Lit, que j’avais questionnée à ce sujet m’avait répondu que l’offre qu’elle propose n’utilise pas le cloud computing, pour la raison simple que ces solutions ne permettaient pas de gérer comme elle le souhaitait les envois de mail, et que le service qu’elle propose (envoi à la demande d’un livre numérique sous forme d’extraits successifs, adressés soit par mail,  soit vers un agrégateur de fils RSS)  exigeait cela.

La grande idée du cloud, pour la résumer très sommairement,  c’est de demander aux dirigeants d’entreprise : de quoi avez-vous besoin ? de salles informatiques bourrées de serveurs pour héberger les applications que les salariés de votre entreprise utilisent ? ou bien que ceux-ci accèdent simplement à ces applications pour les utiliser ? Pourquoi vous embêter avec le stockage, l’installation, la maintenance, la mise à jour, le dimensionnement ? Nous pouvons faire tout cela pour vous. Vous n’avez pas besoin d’acquérir des licences et d’installer des logiciels. Vous avez besoin des services que ces logiciels  vous rendent.

À quoi bon être propriétaire ? À quoi bon vous embêter à entretenir votre bien, à réparer la toiture, à changer la plomberie, à refaire les peintures ? Avez-vous vraiment besoin de cela ? Ou bien plutôt d’un toit pour vous abriter, et que quelqu’un s’occupe pour vous de faire en sorte que ce toit ne prenne pas l’eau, ou vous propose une pièce supplémentaire le jour où la famille s’agrandit…

L’édition dans les nuages, selon Google, c’est Google Recherche de Livres, mais aussi Google Editions :  à quoi bon télécharger vos livres ? Laissez-les sur le nuage. A quoi bon les stocker sur votre disque dur, à la merci d’un plantage ? Votre bibliothèque entière sera dans le nuage, disponible en quelques clics (ou en quelques caresses sur l’écran de votre iPad…). Vous vous y faites très bien en ce qui concerne vos mails, utilisateurs de Gmail, Yahoo ou Hotmail… Est-ce que cela vous dérange vraiment de ne pas stocker vos mails sur votre disque dur ?

L’édition dans les nuages, selon Amazon, c’est ce livre que vous commencez à lire sur votre Kindle, et dont vous poursuivez la lecture sur votre iPhone, où il s’ouvre directement à la bonne page… La synchronisation se fait via le nuage d’Amazon, qui stocke et traque vos lectures. Mais c’est aussi ce livre que vous aviez acheté, et qu’Amazon efface de la mémoire de votre Kindle sans vous demander votre avis…

Olivier Ertzscheid, nous met en garde :

« Pourtant, et maintenant que les grands acteurs du web sont bien positionnés dans les nuages, maintenant que chacun d’entre nous, particulier ou institution/entreprise dispose quotidiennement de ces services le plus souvent dans la plus parfaite transparence/ignorance, maintenant qu’au-delà des seuls accès ce sont également nos pratiques, nos médiations, qui prennent place dans la distance offerte par ces nuages, il est temps de sortir de l’imaginaire cotonneux dans lequel nous entraîne et que co-construit le vocable même « d’informatique dans les nuages ».

Sortir de l’imaginaire cotonneux, certes, et demeurer vigilant. Remplacer cet imaginaire cotonneux par une connaissance suffisante de ce que recouvre cette terminologie séduisante, une réflexion nourrie sur les conséquences des basculements qui s’effectuent déjà, pour autoriser des prises de décision qui ne se basent ni sur des peurs fantasmatiques ni sur des enthousiasmes naïfs.

Une maison d’édition est susceptible d’avoir affaire au « cloud computing » à plus d’un titre :

– en tant qu’entreprise, elle peut faire le choix d’offres « XAAS » pour son informatique de gestion.

– elle peut également développer de nouvelles offres éditoriales impliquant l’utilisation de services basés sur le « cloud », ce qui l’engage à repenser et transformer ses processus de production, comme l’ont fait les premiers les éditeurs scientifiques comme Elsevier, en partenariat avec MarkLogic.

– elle s’inscrit, je l’évoque déjà plus haut,  dans un écosystème qui utilise déjà largement des services basés sur le cloud computing, qu’il s’agisse de repérer des auteurs ou de promouvoir ses titres : l’usage des réseaux sociaux, tous adossés à des solutions « cloud », se développe considérablement.

Enfin, et c’est peut-être là le point le plus important, l’éditeur,  qui n’existerait pas sans ses lecteurs, se doit de s’interroger sur l’impact du « cloud computing » sur la lecture elle-même, et sur la définition de la lecture numérique à l’ère des lectures industrielles,  objet des recherches d’Alain Giffard, récemment invité des assises professionnelles du livre organisées par la commission numérique du SNE.

J’ai filmé avec ma petite flip caméra, en tremblotant un peu, un petit moment de cette intervention, qui n’est pas sans rapport avec ce dont il est question ici, le voici :

Que ferons-nous des nos livres, en effet, s’ils s’en vont sur les nuages, et que ne parvient pas à s’inventer un art de la lecture numérique ? J’arrête ce billet, plus que je ne le termine,  tant les questions sont loin d’être toutes abordées et traitées,  en citant Alain Giffard :

« Les faiblesses des robots de lecture permettent d’établir ce point que je crois décisif : le dispositif actuel de lecture numérique suppose un lecteur doté à la fois d’une grande responsabilité et d’une grande compétence. Il est responsable non seulement de l’établissement du texte pour la lecture, mais aussi de la technologie, de sa propre formation, et de sa participation au réseau des lecteurs. Il ne confond pas pré-lecture et lecture, «hyper-attention» et attention soutenue, lecture d’information et lecture d’étude, acte de lecture et exercice de lecture. Il sait identifier et rectifier le travail des robots. Même l’industrie de lecture reconnaît que son activité suppose un tel lecteur. Pour se défendre à propos des erreurs relevées dans les moteurs de Google Books, les dirigeants de Google soutiennent que l’ampleur du texte numérique impose l’automatisation avec sa part d’erreur machinique inévitable et donc l’activité de correction des internautes. Autrement dit, à l’inlassable industrie de lecture du robot doit correspondre l’interminable activité de rectification du lecteur compétent. »

Je ne suis pas un robot, mais je fais appel aux lecteurs compétents que vous êtes, pour apporter corrections et rectifications à ce billet…

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8 réponses à Encore le Cloud…

  1. Alain Pierrot dit :

    Écouter Hervé Le Crosnier à Place de la toile (9 avril 2010), Les data center (20′) http://bit.ly/9ytEnw ainsi que le compte-rendu du biller de Clay Shirky, à propos des modèles économiques complexes.

  2. Alain Pierrot dit :

    Douglas Adams about the nature of progress and inventions:

    1) everything that’s already in the world when you’re born is just normal;

    2) anything that gets invented between then and before you turn thirty is incredibly exciting and creative and with any luck you can make a career out of it;

    3) anything that gets invented after you’re thirty is against the natural order of things and the beginning of the end of civilisation as we know it until it’s been around for about ten years when it gradually turns out to be alright really.

    Via Chris Meadows, Is the iPad’s locked-down nature ‘progress’?

    Maintenant, les notions de complexité et de simplicité ne sont pas forcément évidentes : Place de la toile a consacré trois émissions intéressantes à ce sujet, les 15, 22 et 29 janvier 2010.

  3. Christian Fauré dit :

    Je trouve le texte de Shirky sur la complexité un peu *simpliste*.

    Il oppose ainsi la simplicité d’une video d’amateur sur Youtube avec la complexité de production d’une série à TV. De la même manière on pourrait rejouer cette analogie entre la simplicité de l’édition électronique et la complexité de celle de l’édition papier traditionnelle, etc.

    Or je crois qu’il n’en est rien. Pour rejoindre la thématique du billet de Virginie sur le Cloud : Youtube, son infrastructure, est tout sauf simple et pas cher.

    La vraie question qu’ignore étrangement Shirky c’est la distinction entre un modèle dissocié (d’un côté ceux qui produisent et de l’autre ceux qui consomment) et un modèle associé (producteur et consommateurs composent grâce à un système technique associé). Cela n’a rien à voir directement avec la complexité.

    De même, dire que les civilisations se sont effondrées parce qu’elles étaient trop sophistiquées et trop complexes est un peu court. C’est sûr que la tribu lambda ne s’est pas effondrée mais faut-il la prendre en exemple sachant qu’elle n’a jamais constituée de civilisation majeure et donc n’a pas souffert de complexité ? J’en doute.

    C’est un thème récurrent de la littérature du management d’insister sur la simplicité (« keep it simple and stupid »). Mais comme le souligne Alain, les notions de complexité et de simplicité sont loin d’être évidentes.

    Là ou il y a un enjeu, c’est quand un système propose une simplicité dans les mécanismes de contribution. Mais le système lui-même n’est pas pour autant « simple ». Dans le cloud computing, la complexité a été centralisé dans les data centers pour offrir un écosystème de contribution le plus simple possible (écrire, publier une vidéo, faire des messages de 140 caractères, etc.) mais le système technique, lui, n’a cessé de ce complexifier.

  4. Hubert Guillaud dit :

    Voire également « la liberté contre les données dans les nuages » d’Eben Moglen : http://www.framablog.org/index.php/post/2010/04/11/moglen-freedom-cloud

    Olivier Ertzcheid, Eben Moglen et tant d’autres ont tout à fait raison de nous rappeler les danger de ces nuages de données – et leurs cris d’alarmes sont primordiaux. Néanmoins, leur puissance est de nous dévorer chaque jour plus avant, car nos récriminations n’y font rien : les avantages demeurent supérieurs aux inconvénients… Le fait de pouvoir reprendre sa lecture sur tout type de terminaux en est un majeur par exemple…

    La bonne question pourrait être comment pourrait-on avoir les avantages du Cloud computing, en-dehors des nuages ? Est-ce possible et comment ? Si on veut répondre aux « dangers » du cloud, il faut regarder ce qu’il est possible de faire autrement…

    PS : Le texte de Shirky en partie traduit : http://www.internetactu.net/2010/04/12/pdlt-leffondrement-des-modeles-economiques-complexes

  5. Hubert Guillaud dit :

    @Virginie : Oui, cette performance que réclame Google, c’est la question de la « crédibilité technique » des autres solutions (voire les modèles de plateformes : http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2010/03/29/les-modeles-de-plateformes-du-livre-numerique/ ) qui pour l’instant est à accomplir. Et pour cela, il faut avancer avec des métriques sur la disponibilité de ses serveurs, de ses applications, de ses contenus… et sur leur capacité à accuser le choc des pics soudains de demandes. De ce côté là, il faut demander le standard que demande Google et se conformer à leur cahier des charges. Pour l’instant, ils préfèrent faire eux-mêmes que déléguer, mais cela ne durera pas… Pour autant, que les interlocuteurs soient capables de répondre techniquement. Et cela : rien d’impossible. J’aurais même tendance à dire que c’est le plus facile.

    Mais encore une fois, observe l’excellente piste lancée par Eben Moglen : qui montre qu’une des réponses possibles réside dans les nuages interpersonnels.

  6. david dauvergne dit :

    Le centralisme est le danger, pour s’en dégager il faut soutenir des applications libres qui être euvent pétendu par la communauté des utilisateurs (comme pour les blogs, les forum, CMS etc;). Ensuite la grande force du cloud c’est l’inter-connexion des services (exemple relation pour google moteur,wave,edition…). Face à cela l’alternative est de construire du web hook pour connecter différents services et ce de façon décentraliser. Bref les nuages sont dans le web lui-même.

  7. Jean-Claude Moissinac dit :

    Oui, Hubert et David, il y a de plus en plus d’équipes dans le monde pour travailler sur un partage de services. Un peu comme dans le modèle P2P actuel, on partage des données, l’idée serait dans le futur de partager des services. De nombreuses machines dans le monde n’utilisent qu’une très petite partie de leur capacité de traitement; le but est d’exploiter cette ressource énorme par une contribution volontaire.

    En gros, passer de ce qui ressemble aux gros centres de calcul informatique centralisés d’autrefois -le cloud actuel: Google, Yahoo…- à ce qui ressemblerait au micro-ordinateur personnel -une vision décentralisée des services rendus par la toile…

  8. Bruno Rives dit :

    Rien à voir, quoique…
    Merci pour le « Alice for the iPad http://bit.ly/9QLYk5« … D’Alice sur les protos de Macintosh en 82 à l’iPad…

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