Archives mensuelles : février 2010

La tête ailleurs

fdnAujourd’hui, j’aurai la tête ailleurs… Même assez loin, non pas au TOC, c’est fini le TOC, il reste la salve de billets d’Hubert et plein de vidéos, pas si loin de New York, un peu plus au nord… aujourd’hui, j’aurai la tête  à Québec, avec Clément Laberge, René Audet, Eric Duchemin, François Bon, Marin Dacos,  du côté de la Fabrique du Numérique.

«  L’événement du 26 février permettra de réunir de nombreux acteurs du monde du livre et du numérique — certains du côté de la création, d’autres de la sphère politique, mais surtout des intervenants immédiats du monde éditorial. Les échanges bénéficieront de ces complémentarités.

En raison de l’affluence des participants et de l’heureuse diversité des profils, nous tiendrons plusieurs ateliers parallèles. Les thématiques tenteront de rejoindre les intérêts des participants, ce que notre premier effort de balisage des thèmes possibles a essayé de concrétiser.

Planifier l’animation de cette journée, c’est s’engager dans la définition de ces pistes. Nous ne jugeons pas possible ni souhaitable de le faire sans votre aide. C’est l’occasion pour chacun-e d’entre vous de préciser vos souhaits, vos attentes et vos motivations à partager des expériences le 26 février prochain.  »

Plutôt inspirante, la liste des thèmes :

Thème 1. L’édition sans éditeur ? Quelle appropriation des outils par les créateurs, par les acteurs du numérique ?
Thème 2. Le numérique comme agora : édition de la science citoyenne
Thème 3. Le numérique, une ouverture pour l’émergence de nouvelles formes de création et de diffusion du savoir  : sciences interdisciplinaires
Thème 4. Le livre long en mode nomade (roman, monographie) : quelles incidences de le consulter sur des liseuses ou des tablettes ?
Thème 5. La lecture active : quels outils, quels dialogues des lecteurs avec le texte  ?
Thème 6. Hors des mains du créateur, du rédacteur : qui sont les passeurs du livre numérique ?
Thème 7. Nouvelles répartitions des « pouvoirs », des rôles et de la structure du système de publication : comment le système réagit et se redéfinit avec l’arrivée du numérique
Thème 8. Formats de livres numériques : quel avenir pour le pdf (smartphones, tablettes), quel développement pour le epub  ?
Thème 9. Texte, image, espace : quelle dynamique, quelle collaboration entre rédacteurs, graphistes, programmeurs ?
Thème 10. Pages, textes, livres : sur quoi repose l’identité du contenu numérique ?
Thème 11. Raconter, en contexte numérique : blogs, médias sociaux, hypermédialité et interaction
Thème 12. Entre diffuser et archiver : pérennité des oeuvres numériques, rôle des bibliothèques et consortiums, ouverture maximale ou sécurité du patrimoine ?
Thème 13. Modèles économiques du livre : contenus numériques vs contenus web (DRM, barrières mobiles)
Thème 14. Modèles économiques du livre : éditer en numérique et en papier, processus complémentaires et en synergie  ?
Thème 15. Numérique, nouvelles interfaces  : quels changements sur l’écriture (littéraire, documentaire, scientifique) ?
Thème 16. Outils, logiciels, codes libres : avantages des solutions open source et priorités à investir ?
Thème 17. Perdus dans une mer numérique : s’assurer de bien renseigner les documents

Bonne réussite à la Fabrique, on attend les traces, les échos, les tweets, (hashtag #fn10) et surtout : des idées et des pistes…

Bonjour, je m’appelle…

indieDernier jour : rencontre à la French American Fondation, partenaire américain du Ministère de la Culture pour ce programme d’échanges,  avec Len Vlahos, le directeur général de l’American Booksellers Association. Les libraires indépendants, dont le nombre de membres a considérablement fondu en vingt ans, (4200 membres en 1990, 1350 aujourd’hui), ont leur portail des libraires, et utilisent les outils Google pour le feuilletage.

Il est prévu que les sites de leurs membres vont travailler en partenariat avec Google, dans le cadre du programme Google Editions, ce qui leur permettra de vendre des livres numériques «  on the cloud  ».

Parmi les arguments qu’ils mettent en avant pour tenter de convaincre les gens d’acheter en librairie :  le concept de «  shop local  », qui a de plus en plus de succès ici. Acheter local, pour diminuer son empreinte carbone, cela s’applique aussi au livre. La green attitude à la rescousse de la librairie indépendante : et pourquoi pas ?

Brian O’Leary, consultant chez Magellan, sera notre dernier intervenant. La présentation qu’il avait faite au TOC à Francfort, à laquelle j’avais assisté, avait fait pas mal de bruit : des propos de Fionnuala Duggan, de Random House,  concernant son exposé, sortis de leur contexte, avaient été reproduits dans un article d’une newsletter quotidienne distribuée dans la foire, et un début de polémique avait eu lieu, qui reprochait à plusieurs intervenants du TOC Francfort d’adopter des positions partisanes et issues d’une pensée plus axée sur la techno que sur l’industrie du livre.  Brian O’Leary, qui avait présenté, avec beaucoup de précautions, une étude sur l’impact du piratage et des produits gratuits sur les ventes de livres réalisée  sur un petit nombre de titres issus seulement de deux maisons d’édition, mais observés dans la durée, comparait les courbes de vente de titres piratés et des titres non piratés en essayant de trouver des régularités. Il y en avait assez peu, sinon l’observation d’un bref pic dans les ventes après quelques semaines de disponibilité d’un titre également disponible en téléchargement P2P. Jamais Brian n’a dit que cette étude permettait de tirer des conclusions définitives sur l’impact du piratage sur les ventes, et il a réagi en indiquant que les gens qui avaient critiqué son intervention étaient présents, et n’avaient posé aucune question ni émis la moindre critique pendant celle-ci.

Brian n’est pas un défenseur du téléchargement illégal, mais considère qu’il est indispensable d’observer le phénomène sans a priori, et d’en comprendre l’impact sur les ventes de livres. Il affirme qu’il faut dépasser la peur et la condamnation, pour étudier et réfléchir de manière globale sur ces pratiques.

Sa préconisation aux éditeurs «  donnez aux gens ce qu’ils veulent  », écoutez vos clients, et tâchez de les satisfaire. Facilitez l’accès à une offre légale attractive, faites en sorte qu’il soit facile et agréable de choisir et d’acheter un livre.

Brian, en tant que consultant, aide également ses clients à migrer vers une production basée sur XML. Il préfère pour ce faire, privilégier dans bien des cas les outils familiers des éditeurs (Word, InDesign…) plutôt que de les orienter systématiquement vers des outils de workflow chers et souvent difficiles à utiliser. Pour des projets qui impliquent l’intervention sur le même fichier de plus de 5 personnes, il évoque l’outil K4.

Et pour rafraîchir les idées de ceux d’entre vous à qui XML, ça dit quelque chose, mais plutôt vaguement, je propose d’aller visionner ici quelques unes des présentations utilisée dans le cadre d’un atelier de formation nommé «  Start With XML«  , en s’aidant du lexique (lien vers le PDF) réalisé par le groupe de travail normes et standards de la commission numérique du SNE.

Me voici bien sérieuse… pourtant, si j’ai beaucoup appris cette semaine, j’ai aussi beaucoup ri. Notre petit groupe, qui enchaînait parfois plus de 6 rencontres par jour, a bien évidemment inventé progressivement les inévitables running gags que les circonstances favorisaient. Au début de chaque rencontre, chacun de nous se présentait en quelques mots. Chacun avait son histoire, qui variait peu, et dont la répétition nous a bien entendu conduits rapidement à rêver d’une fois au moins chacun raconter la présentation de l’autre, pour finalement imaginer une présentation  mêlant les histoires de chacun, qui aurait pu donner quelque chose du genre :

«  Bonjour, je m’appelle Virginie Mazauric, je travaille dans le deuxième groupe de BD religieuses d’Europe, je suis établie dans le sud de la France, je préside également la commission des produits dérivés du Centre Pompidou, où je suis en charge du développement de la pop littérature numérique…  »

Biens sûr, nous ne l’avons pas fait, mais de l’avoir simplement imaginé nous a déclenché, au moment de nous présenter lors de la venue de Michael Cader à la FAF, un fou rire général que nous avons eu bien du mal à juguler, et que nous avons dû expliquer, bien sûr, à Michael.

Et tiens, je n’ai toujours pas parlé de l’intervention de Michael Cader. Mais ce ne sera pas encore pour cette fois, il est tard, demain on part, et il faut vraiment que j’aille dormir un peu.

Extractible ou immersif ?

Evan Schnittman nous a reçus ce matin dans les locaux d‘Oxford University Press. Je l’avais déjà brièvement rencontré l’an dernier à la foire de Londres, et il fait partie de ces gens dont je lis les billets depuis si longtemps, que j’ai l’impression de bien les connaître. Chez OUP, le numérique est le principal vecteur de croissance.

Jusqu’à l’arrivée du Kindle il y a deux ans, ces revenus provenaient principalement des abonnements des bibliothèques universitaires à des collections de revues. Depuis, il sont également issus des ventes en téléchargement de livres numériques. Evan distingue deux grands types de contenus,  en anglais «  immersive content  » versus «  extractive content  ». Pour être en mesure de tirer parti des «  contenus extractibles  », il a fallu 5 ans à OUP pour migrer complètement vers une production basée sur XML, afin de disposer de contenus structurés, dont il est possible ensuite d’adresse facilement chacun des éléments. On a donc deux modèles bien différents, l’un,  en accès, pour l’ «  extractive content  », l’autre en téléchargement, pour l’ «  immersive content  ».

Les modèles de fixation des prix pour les versions numériques de leurs livres varient fortement d’un segment éditorial à l’autre. Ce qui détermine le prix d’un livre numérique, c’est la valeur ajoutée qu’apporte à l’utilisateur le fait que celui-ci soit disponible en numérique, et ces prix peuvent être inférieurs mais également supérieurs à ceux de la version imprimée.

A propos des Big Three (Google Amazon Apple), Evan rappelle que les missions de ces entreprises  sont bien différentes :

- Google cherche à vendre de la publicité, en développant son activité de moteur de recherche, qu’il lui faut  rendre toujours plus attractif.
- Apple cherche à vendre toujours plus de hardware et de software.
- Amazon veut connecter les consommateurs à des contenus, et surtout cherche à capter le marché de la lecture immersive.

Dans la définition d’une stratégie, la compréhension fine de ce qui fait bouger les différents acteurs est essentielle,  et une  vision  comme celle d’Evan est précieuse. Evan semble cependant fonder de solides espoirs sur l’ensemble des services de Google : il présente les services de Google comme des opportunités formidables pour les éditeurs comme pour les libraires, sans faire mine un instant de s’inquiéter de la dépendance ainsi crée, et de l’incroyable puissance ainsi conférée à cet acteur  dont le pouvoir est déjà tellement grand.

Je vous parlerais bien aussi du rendez-vous avec Michael Cader, de Publishers Lunch, mais je ne parviens plus à garder les yeux ouverts, et je n’ai même plus le courage de trouver une chute plus sympathique pour ce billet tardif  que ce seul mot : bonsoir.

Le cow-boy de chez Macmillan

neige2Nous n’avons pas eu un seul rendez-vous, cette semaine, où le nom de Macmillan n’a pas été prononcé. C’est le signe que cette affaire, que nous suivions depuis la France, a eu ici aussi, dans le monde du livre, un retentissement très important. Ce matin chez Hachette Book Group, la personne qui nous accueillait, tout glacés d’avoir parcouru 5 blocks en pataugeant dans la neige, face au blizzard,  a bien sûr évoqué cette affaire, tout comme celle qui nous a accueilis plus tard au siège de  Barnes & Noble. L’une et l’autre nous ont expliqué le buzzword absolu à New York ces jours-ci : le «  Agency Model«  .  Sarah McNally Jackson, qui nous a présenté plus tard la librairie qui porte son nom, et qui se pose de très nombreuses questions sur l’évolution de son métier si une part significative des lecteurs se décide à ne plus acheter que des livres numériques, a indiqué que pour elle John Sargent,  le CEO de Macmillan était un «  vrai cow boy  », qui avait su tenir tête à Amazon. Comment imaginer qu’un libraire indépendant puisse tenir s’il doit être en compétition avec un acteur prêt à perdre de l’argent sur chaque vente de livre numérique ? Fille de libraires canadiens, Sarah, une jeune femme rayonnante, nous dit réfléchir activement à l’ avenir de sa librairie. Il lui faudra savoir offrir ce qui ne peut être proposé en ligne : présence, rencontres IRL avec des auteurs, événements culturels, choix de livres qui perdraient de leur intérêt en version numérique. Elle imagine assez difficilement, comme le font Barnes & Noble, vendre des liseuses et promouvoir le livre numérique dans sa librairie.

A nouveau ce midi le cow boy de Macmillan s’est invité à notre table : assez naturellement, puisque nous déjeunions avec trois personnes de la maison d’édition Farrar Straus & Giroux,  qui appartient à ce groupe. Unanimité, donc,  pour soutenir une action basée sur une vision à long terme, basée sur le volonté de revenir, pour le développement du marché du livre numérique, à un modèle «  sustainable  ».

Nous échangeons également sur la manière dont nous travaillons, et il est assez satisfaisant de constater que nous déployons, des deux côtés de l’Atlantique des efforts très similaires pour aider les maisons d’édition à s’adapter à un monde numérique : même importance accordée au développement d’infrastructures, même nécessité de former à l’utilisation de ces outils, même irruption des réseaux sociaux dans les pratiques de promotion des livres, même interrogations concernant les question des droits.

Informer, expliquer, communiquer, accompagner, partager  : ces efforts, il est nécessaire pour les éditeurs de les faire dans toutes les directions : auprès des auteurs (et ici, des agents, incontournables), en interne, auprès des distributeurs et des libraires.

Si j’en savais déjà long sur le cow boy de chez Macmillan avant d’arriver ici, ayant suivi le western en direct depuis Paris via Twitter et Google Reader, nos interlocuteurs étaient pour la plupart d’entre eux informés des débats franco-français concernant la distribution numérique : la complexité pour les libraires de se connecter avec plusieurs plateformes, et celle, donc , de construire rapidement un hub permettant de router commandes et fichiers, en jouant un rôle d’interface entre les différentes plateformes existantes et les sites web des libraires.

Je suis de près, dès que je trouve un peu de disponibilité, l’actualité du numérique dans l’édition aux USA, et les trois quarts des fils RSS présents dans mon lecteur sont écrits en anglais. Mais j’ai été un peu surprise, de rencontrer ici plusieurs personnes au courant de la problématique actuelle en France concernant la gestion des plateformes de e-distribution. Visiblement, il n’y a pas que nous qui faisons de la veille…

rendez-vous à Brooklyn

brooklynbridgePasser le pont de Brooklyn ? Non,  nous sommes venus ici en métro, dont nous émergeons tôt le matin, le soleil rasant découpe obliquement les façades. Ville debout, New York ? Non, c’est Manhattan qui est debout, Brooklyn est bien différent, immeubles trapus, le quartier où l’on nous attend  tient de la friche industrielle, requalifiée, bien sûr, à grande vitesse.

Aujourd’hui, toute la journée est consacrée à l’édition indépendante. Ça se passe à Brooklyn. Les groupes, les big boys, sont à Manhattan. Ici par contre,  revues d’avant garde, petites maisons d’édition, un monde à part, qui se revendique à part, qui s’assume en rupture avec les modèles «  business driven  » des Bix Six, comme sont désignés les 6 géants de l’édition américaine, non, ici on est «  mission driven  », on découvre, on déniche, on innove, on défriche.

Toutes ne sont pas «  non profit  », mais toutes fonctionnent selon des règles fort différentes de celles des groupes plus puissants. Faibles à valoir, mais grande disponibilité envers les auteurs. Frais réduits, fonctionnement en mode collaboratif, tous se connaissent et échangent les uns avec les autres, se retrouvent dans des événements.

Aucune des thématiques auxquelles on pourrait s’attendre de la part de jeunes éditeurs ne semble trouver de réel écho parmi eux : pas de discours sur la gratuité ou sur le piratage, pas plus d’envolées sur les communautés de lecteurs,  pas d’inquiétude particulière sur la distribution numérique (inquiétude plus simple à résoudre lorsque l’on est disposé à autoriser les revendeurs à stocker les versions numériques de ses livres.) Pourtant, tous s’accordent à dire que le web leur rend de grands services, simplement, ils en utilisent les applications avec beaucoup de naturel, certains ont bien développé une application iPhone,  mais pas la moindre  trace de syndrome geek parmi tous ceux qui nous recevront aujourd’hui.

Curieusement, l’attachement au livre imprimé semble plus fort chez les plus jeunes, comme Alex Rose, l’éditeur de Hotel St Georges, qui semble avoir moins de 25 ans,  fait de beaux livres curieux de manière presque artisanale, et ne semble que vaguement intéressé par l’édition numérique, pas plus que par la transposition numérique de ses expérimentations papier.

Tous ont un site web, tous utilisent couramment Twitter, dont un, Electric Literature,  pour une expérimentation de fiction avec l’auteur Rick Moody (que nous devons rencontre jeudi soir). Ils semblent regarder d’assez loin les tribulations des grands groupes avec Amazon, assument pleinement leur position d’indépendants, la défense des textes qu’ils aiment, le soin apporté à chaque titre, mettant en avant leur disponibilité auprès des auteurs, l’agilité que leur procure leur petite taille, qu’ils considèrent comme une force pour anticiper les changements et changer rapidement de cap.

Ils se considèrent comme complémentaires des maisons d’édition de plus grande taille, exerçant leur métier avec des contraintes bien différentes. Presque tous cependant  semblent  continuer d’avoir recours, sans remise en question particulière, manifestant un intérêt plus que réduit pour  l’édition numérique, aux formes d’édition les plus traditionnelles.

Quelques liens :

revues : Guernica Magazine, BOMB Magazine, Electric Litterature
maisons d’édition : Melville HouseWords without Borders, Akashic Books, Hotel St Georges, One Story, a Public Space, Tin House, Archipelago Books.

Un livre est un lieu, c’est Bob Stein qui l’a dit.

marionbobBien sûr, je ne vais pas raconter par le menu dans l’ordre chronologique l’ensemble des rendez-vous prévus dans le cadre de ce voyage d’étude. Tous sont intéressants, chacun pour des raisons différentes. Celui que j’ai envie de partager avec vous ce soir, c’est plus qu’un rendez-vous, c’est une vraie rencontre, deux heures exceptionnelles chez Bob Stein, dans sa maison de Brooklyn, où il nous a merveilleusement accueillis. Je croyais bien connaître son parcours, et je l’avais déjà entendu à Paris il y a quelques mois. Mais Bob Stein n’est pas de ceux qui vont d’une table ronde à une conférence en répétant en boucle un message qui varie à peine d’une fois sur l’autre. Il expose avec une telle conviction, et une telle précision, une vision de l’avenir du livre construite sur un travail de recherche, d’expérimentations, d’écoute, et de réflexion, que chaque rencontre est un moment de grande qualité. Il nous a raconté la manière dont il est passé des recherches centrées sur les œuvres et les nouveaux moyens d’expression mis à la disposition des auteurs (l’époque du multimédia où il fut l’un des grands innovateurs), à une approche centrée sur le passage d’une lecture individuelle à des lectures collectives, collaboratives, illustré par les développements autour de CommentPress, et l’ensemble des expérimentations menées autour de cette idée : «  A book is a place  ».

Il était particulièrement intéressant de l’entendre évoquer ces expériences de lectures collectives asynchrones que permet le livre situé «  dans le nuage  », et évoquer également le fait que la réussite de ces expérimentations dépend en grande partie de l’engagement des auteurs, de ceux des auteurs qui acceptent d’être lus non seulement comme il est de coutume une fois que leur travail d’écriture est terminé, mais aussi pendant que le travail est en cours, écrivant en quelque sorte à ciel ouvert, partageant avec leurs lecteurs le moment de l’élaboration, ses lectures, ses échanges, ses tâtonnements. Pour lui, il faudra du temps pour que ces pratiques deviennent courantes, comme il a fallu du temps, après l’invention de l’imprimerie pour que se stabilisent les formes littéraires et les formes de publication qui ont cours aujourd’hui. Son credo : redéfinir le «  contenu  », pour qu’il puisse inclure les conversations qui se développent autour. Les maisons d’édition qui réussiront dans un monde numérique seront celles, nous dit-il, qui auront su développer leur capacité à animer des communautés de lecteurs. Bob Stein voit l’iPad d’un très bon œil, trouvant à ce terminal de lecture les qualités nécessaires à ce développement de la lecture sociale. Il rappelle comment, il y a 18 ans, il passait pour un grand original lorsqu’il expliquait qu’il était possible de lire sur un écran, en cliquant pour tourner la page, et s’attend à ce qu’il soit nécessaire qu’un certain temps, peut-être moins long que ces 18 ans, se déroule avant que les idées qu’il expose aujourd’hui sur l’évolution de la lecture s’inscrivent dans une réalité qui dépasse le stade expérimental.

Cette idée des auteurs développant une activité de création en ligne, et cessant petit à petit de considérer le livre imprimé comme la forme suprême de consécration de leur travail est déjà présente, me semble-t-il, au sein de la blogosphère littéraire en France, ce dont j’ai souhaité lui faire part. Il n’y pas d’équivalent exact de ce mouvement aux Etats-Unis,  même si certains auteurs ont une fort «  présence web  », mais qui continue d’être essentiellement au service de la promotion de leurs œuvres imprimées. Toutefois, le web ici aussi a changé les choses, offrant le possibilité aux lecteurs d’entrer directement et plus facilement en contact avec les auteurs.

À ma question concernant l’accueil que les éditeurs américains faisaient à ses idées, Bob a répondu simplement : aucun. Pour la plupart d’entre eux, a-t-il dit, je n’existe pas. Mais il dit aussi comprendre leur façon d’agir actuelle, pris comme ils le sont dans des logiques de rentabilité et des contraintes de marché, et de définition de modèles soutenables leur permettant de vivre sans trop de fracas la période de transition que nous connaissons aujourd’hui. Voilà un homme qui a une vision extrêmement forte de l’avenir du livre et de la lecture, mais qui ne tombe à aucun moment dans la position du prophète marginalisé, ni dans un discours polémique et stérilement agressif envers les éditeurs. Très attentif, à l’écoute de nos questions, se concentrant visiblement pour y apporter une réponse qui ne laisse aucune place à la formule toute faite ou à la langue de bois, mais soit bien l’expression de sa pensée profonde. Penser avec, penser ensemble, la vision de Bob Stein a été mise en pratique pendant cette rencontre, dont nous sommes tous sortis avec cette certitude : nous avions, un moment, réfléchi ensemble à ces questions, formant une petite communauté, animée par les propos d’un visionnaire.

(photo : après cet échange, Bob et sa femme nous ont offert un excellent vin et des fromages délicieux, et la discussion s’est poursuivie de façon informelle. Marion a bien sûr invité Bob à Vauvert…)

New York day one

nyCette semaine : New York.  J’ai le bonheur de participer à un voyage d’études organisé par le Ministère de la Culture et la French-American Fondation sur le mode de l’échange : des professionnels de l’édition américains sont venus à Paris en octobre dernier, et j’avais eu l’occasion alors de les rencontrer.

Je vais essayer de bloguer l’affaire, mais je ne vous promets rien : notre programme est vraiment très dense, et je ne sais si j’aurai le temps (et le courage) d’écrire quelques billets pour ce blog qui en a bien besoin…

Je ferai mon possible…  Les participants au voyage : Marion Mazauric (le Diable Vauvert), Jean-Christophe Delpierre (Mediatoon), François Maillot (Librairies La Procure), Nicolas Roche (Editions du Centre Pompidou).

Demain, nous rencontrons entre autres Bob Stein, le directeur de l’Institute for the future of the book, que j’ai déjà eu l’occasion d’entendre à Paris où le Motif l’avait invité.

C’est un bon moment pour rencontrer de nombreux acteurs de l’édition ici : l’actualité du numérique est très chargée, entre l’annonce de l’iPad, les négociations serrées entre les Big Six et Amazon, la prochaine audience à propos du Règlement Google version II… On va avoir quelques sujets… mais pas seulement sur le numérique. On parlera aussi, si j’en crois le programme, littérature, traduction et pas seulement de ebooks, de nooks, et de vooks…