Sur son blog, Donn Linn se réfère à une conversation qu’il vient d’avoir avec Laura Dawson (ljndawson.com) et Brian O’Leary ( magellanmediapartners.com) après l’une des innombrables conférences sur l’édition numérique, ou le numérique et l’édition, ou bien le futur du livre à l’ère du numérique. Il cite Laura Dawson : « Quand allons-nous enfin pouvoir participer à des réunions de ce type et ne pas entendre à nouveau quelqu’un raconter fièrement comment il utilise un process de production basé sur XML, ou bien comment il met en place un système de Digital Asset Management, ou bien de quelle manière il fait en sorte que ses métadonnées soient correctement structurées, sans que cela soit perçu comme quelque chose d’inhabituel ou de remarquable ? »
Fatigue du consultant, expert d’un sujet, qui propage déjà depuis plusieurs années la bonne parole auprès de ses clients : « Si vous voulez être prêts pour les changements qui s’annoncent, il ne suffit pas de passer rapidement un contrat avec une start-up qui va vous fabriquer quelques applis iPhone sexy, que vous pourrez utiliser pour communiquer sur le fait que vous êtes un éditeur dans le coup, innovant, qui avance en marchant… Si vous voulez êtres prêts pour les changements qui s’annoncent, il ne suffit pas d’ouvrir un compte Twitter et de tenter de faire du buzz sur vos nouveautés, ni de moderniser votre site web, ni de spéculer sur ce que ce sera LE terminal gagnant, liseuse ou tablette, ou LE modèle économique dominant, téléchargement ou accès. Il ne suffira pas non de plus trouver le sous-traitant qui produira le moins cher possible le maximum de titres dans les formats qui vont bien. »
Le pas que Laura Dawson aimerait que les éditeurs aient tous déjà fait aujourd’hui, de sorte que l’annoncer comme extraordinaire n’aurait plus aucun sens, c’est simplement d’intégrer au cœur de leur métier, ce qui rend possible la publication numérique de leurs titres, sous le plus grand nombre de formes possibles, et la « découvrabilité » de ces titres, quel que soit le choix des lecteurs en ce qui concerne leur terminal de lecture , et quel que soit le mode de commercialisation choisi pour ces titres.
Un process de production basé sur XML, c’est la première chose qu’elle évoque spontanément. Je ne vais pas réexpliquer ce que c’est, rappeler seulement qu’il s’agit de repenser la chaîne de production du livre, en tenant pour acquis que plus on anticipe en amont sur la possibilité qu’un projet éditorial sera susceptible d’être publié sous différentes formes, en proposant aux différents intervenants des outils conviviaux permettant de séparer la forme et le contenu, de produire le plus tôt possible des métadonnées permettant d’isoler et d’identifier les différents fragments qui composent un livre, plus on ouvre l’avenir du livre en question, (livre pris ici au sens d’œuvre), lui permettant tout à la fois de devenir un livre imprimé, un livre numérique dans un format X ou Y, une application, ou d’alimenter une base de données qui elle-même permet de construire un service en ligne.
Le second élément dont Laura déplore qu’il demeure aujourd’hui quelque chose que l’on mentionne comme un effort remarquable, c’est le fait pour une maison d’édition de se doter d’un DAM, ou Digital Asset Management system. C’est déjà le cas pour quelques groupes d’édition, mais c’est encore loin d’être le cas général. L’idée est simple, celle de rassembler sur un serveur central auquel peuvent accéder tous les utilisateurs qui ont besoin de le faire, selon un système d’autorisations paramétrable, l’ensemble des éléments numériques qui concourent à la fabrication d’un projet éditorial : texte, images, couvertures, PDF imprimeur, versions numériques dans différents formats. Un système d’archivage centralisé, qui ne se contente pas de stocker la version définitive du livre assemblé, mais aussi tous les éléments qui le composent, dans les différents formats. Pensez à votre propre disque dur, et aux soucis que vous vous créez à vous-mêmes lorsque vous manquez parfois de rigueur dans le nommage ou le classement de vos fichiers, pensez à vos hésitations (est-ce bien la version définitive ? qu’ai-je fait de la version précédente ? D’où sort cette image, est-ce que je l’ai quelque part dans une meilleure définition ? ) et multipliez cela par le nombre d’intervenants des différents projets qui occupent une maison d’édition qui publie plusieurs dizaines de titres chaque année. La mise en place d’un DAM nécessite un accompagnement important afin que les utilisateurs comprennent son utilité et acceptent de se plier aux procédures qu’il faut nécessairement respecter pour qu’il soit convenablement alimenté. C’est un projet structurant, mais qui permet une bien meilleure maîtrise de ce qui fait toute la richesse d’une maison d’édition : les livres qu’elle est en train de publier, et ceux qu’elle a déjà publiés. La seconde vie d’un livre déjà publié est infiniment plus facile à envisager, ou l’utilisation d’éléments de ce livre pour créer un nouveau projet, si l’ensemble des éléments qui le composent est accessible en quelques clics. Et la publication des nouveautés s’en trouve également facilitée, le DAM permettant des échanges réglés entre les différents intervenants qui contribuent à la publication, internes ou externes.
Troisième exemple cité par Laura Dawson, les métadonnées. Oui, Laura aimerait bien que le fait d’accorder la plus grande importance aux métadonnées de ses livres, à la manière dont elles sont structurées, ne figure plus jamais dans le programme d’une conférence sur le livre numérique. Elle rêve que cela soit fait, naturellement, que tous les éditeurs aient compris que sans métadonnées convenablement renseignées et structurées, le livre qu’ils publient peut être fantastique, leurs efforts pour le promouvoir exceptionnel, ce livre n’a que très peu de chances d’acquérir et encore moins de conserver de la visibilité sur le web, ratant définitivement et irrémédiablement l’attention de ses lecteurs potentiels, ceux d’aujourd’hui ou de demain.
Mettre en place un processus de production permettant de structurer les projets éditoriaux le plus en amont possible, disposer d’une gestion centralisée de l’ensemble des fichiers qui entrent dans la composition des ouvrages, accorder le plus grand soin à la qualité de ses métadonnées : cela devrait être banal. On ne devrait plus s’en étonner. Cela n’a rien de très excitant à priori, c’est du travail qui se fait ici et là, silencieusement, avec l’implication de nombreux acteurs, ceux qui consentent les investissements nécessaires, ceux qui étudient et choisissent les solutions techniques, ceux qui mettent en place et développent, ceux qui accompagnent le déploiement, et enfin ceux, les plus nombreux, qui acceptent les changements dans leur manière de travailler.
Cela n’a rien de séduisant, cela ne fait pas la une des hebdos, cela ne rameute pas les foules, cela ne prête pas à la controverse, c’est juste du travail qui doit être fait. Pour être prêts. Pour qu’on n’en parle plus dans les conférences.