Archives mensuelles : mai 2010

The Mongoliad : un monde fictif virtuel partagé massivement multi-lecteurs

mongoliad_w150Mardi 25 mai était dévoilée à San Francisco la version alpha du premier projet de  Subutaï Corporation, une équipe qui regroupe des écrivains, des développeurs, des game-designers et des directeurs artistiques.

Il y a longtemps, depuis la lointaine époque du cédérom, que j’ai l’intuition que c’est via un rapprochement entre les auteurs de l’écrit et le monde du jeu (développeurs, game designers, directeurs artistiques, réalisateurs ) que s’inventeront probablement de nouvelles formes narratives sachant tirer parti des hybridations que les technologies informatiques autorisent, ce que l’on appelait dans les années 90 le multimédia interactif.

La composition de l’équipe de Subutaï Corporation en est l’illustration : les auteurs, issus de l’univers de la SF, de la mouvance post-cyberpunk,  s’entourent de professionnels qui pourraient figurer dans un roman de Douglas Coupland,  l’un architecte de plateformes de jeux massivement multijoueurs, l’autre spécialiste des textures, tous familiers de la 3D et de l’univers du jeu.

Voici comment Subutaï présente son projet, dans un mail adressé à ceux qui se sont inscrits pour la version alpha sur son site :

«  Au centre du dispositif, une aventure médiévale contée par Neal Stephenson, Greg Bear, Nicole Gallan, Mark Teppo et d’autres auteurs renommés, qui se situe à une époque où l’Europe pensait que les hordes mongoles étaient sur le point de détruire son monde, et où une petite bande de mystiques et de combattants essaient de détourner le cours de l’histoire.

Nous avons travaillé de manière avec des artistes, des chorégraphes de combats et d’autres spécialistes des arts martiaux, des programmeurs, des réalisateurs, des game designers, et pas mal d’autres gens pour produire un flux constant de contenu non textuel, para et extra narratif, dont nous pensons qu’il donnera vie à l’histoire d’une manière inédite, et qui ne pourrait pas être envisagée sur un média unique.

Très prochainement, lorsque The Mongoliad contiendra une une masse suffisante de récits et de contenu, nous demanderons aux fans de nous rejoindre pour créer le reste du monde et créer de nouvelles histoires dans celui-ci. C’est là que débutera la partie réellement expérimentale du projet. Nous sommes en train de développer des technologies vraiment «  cool  » pour rendre cela facile et amusant, et nous espérons qu’un grand nombre d’entre vous les utiliseront.

Les gens pourront accéder à The Mongoliad sur le web et via des applcations pour mobile. Nous allons commencer avec l’iPad, l’iPhone, les terminaux sous Androïd, des applis Kindle, et nous ferons probablement plus encore dans un futur proche.  »

Cory Doctorow signale le projet sur boing-boing en ces termes :

«  Il  y a déjà eu quelques expériences notables de mondes partagés en ligne, du vénérable alt.cyberpunk.chatsubo à l’actuel Shadow Unit. Mais on dirait vraiment que ces types de the Mongoliad sont sur le point de charger encore la barque, et de pousser le concept plus loin que personne d’autre auparavant, et qu’ils le font d’une manière que seul le web autorise, impossible à traduire sur le papier.

J’ai vu une démo de The Mongoliad l’autre soir et c’était vraiment très excitant. Il n’y a pas encore grand chose d’accessible au public pour le moment, mais je vous tiendrai au courant.  »

Moi aussi, j’essaierai de vous tenir au courant.

(Via Peter Brantley )

Cesser d’être extraordinaire

Sur son blog, Donn Linn se réfère à une conversation qu’il vient d’avoir avec Laura Dawson (ljndawson.com) et Brian O’Leary ( magellanmediapartners.com) après l’une des innombrables conférences sur l’édition numérique, ou le numérique et l’édition, ou bien le futur du livre à l’ère du numérique. Il cite Laura Dawson  : «  Quand allons-nous enfin pouvoir participer à des réunions de ce type et ne pas entendre à nouveau  quelqu’un raconter fièrement comment il utilise un process de production basé sur XML, ou bien comment il met en place un système de Digital Asset Management, ou bien de quelle manière il fait en sorte que ses métadonnées soient correctement structurées, sans que cela soit perçu comme quelque chose d’inhabituel ou de remarquable ?  »

Fatigue du consultant, expert d’un sujet, qui propage déjà depuis plusieurs années la bonne parole auprès de ses clients : «  Si vous voulez être prêts pour les changements qui s’annoncent, il ne suffit pas de passer rapidement un contrat avec une start-up qui va vous fabriquer quelques applis iPhone sexy, que vous pourrez utiliser pour communiquer sur le fait que vous êtes un éditeur dans le coup, innovant, qui avance en marchant…  Si vous voulez êtres prêts pour les changements qui s’annoncent, il ne suffit pas d’ouvrir un compte Twitter et de tenter de faire du buzz sur vos nouveautés, ni de moderniser votre site web, ni de spéculer sur ce que ce sera LE terminal gagnant, liseuse ou tablette, ou LE modèle économique dominant, téléchargement ou accès. Il ne suffira pas non de plus trouver le sous-traitant qui produira le moins cher possible le maximum de titres dans les formats qui vont bien.  »

Le pas que Laura Dawson aimerait que les éditeurs aient tous déjà fait aujourd’hui, de sorte que l’annoncer comme extraordinaire n’aurait plus aucun sens, c’est simplement d’intégrer au cœur de leur métier, ce qui rend possible la publication numérique de leurs titres, sous le plus grand nombre de formes possibles, et la «  découvrabilité  » de ces titres, quel que soit le choix des lecteurs en ce qui concerne leur terminal de lecture , et quel que soit le mode de commercialisation choisi pour ces titres.

Un process de production basé sur XML, c’est la première chose qu’elle évoque spontanément. Je ne vais pas réexpliquer ce que c’est, rappeler seulement qu’il s’agit de repenser la chaîne de production du livre, en tenant pour acquis que plus on anticipe en amont sur la possibilité qu’un projet éditorial sera susceptible d’être publié sous différentes formes, en proposant aux différents intervenants des outils conviviaux permettant de séparer la forme et le contenu, de produire le plus tôt possible des métadonnées permettant d’isoler et d’identifier les différents fragments qui composent un livre, plus on ouvre l’avenir du livre en question, (livre pris ici au sens d’œuvre), lui permettant tout à la fois de devenir un livre imprimé, un livre numérique dans un format X ou Y,  une application, ou d’alimenter une base de données qui elle-même permet de construire un service en ligne.

Le second élément dont Laura déplore qu’il demeure aujourd’hui quelque chose que l’on mentionne comme un effort remarquable, c’est le fait pour une maison d’édition de se doter d’un DAM, ou Digital Asset Management system. C’est déjà le cas pour quelques groupes d’édition, mais c’est encore loin d’être le cas général. L’idée est simple, celle de rassembler sur un serveur central auquel peuvent accéder tous les utilisateurs qui ont besoin de le faire,  selon un système d’autorisations paramétrable, l’ensemble des éléments numériques qui concourent à la fabrication d’un projet éditorial : texte, images, couvertures, PDF imprimeur, versions numériques dans différents formats. Un système d’archivage centralisé,  qui ne se contente pas de stocker la version définitive du livre assemblé, mais aussi tous les éléments qui le composent, dans les différents formats. Pensez à votre propre disque dur, et aux soucis que vous vous créez à vous-mêmes lorsque vous manquez parfois de rigueur dans le nommage ou le classement de vos fichiers, pensez à vos hésitations (est-ce bien la version définitive ? qu’ai-je fait de la version précédente ? D’où sort cette image, est-ce que je l’ai quelque part dans une meilleure définition ? ) et multipliez cela par le nombre d’intervenants des différents projets qui occupent une maison d’édition qui publie plusieurs dizaines de titres chaque année. La mise en place d’un DAM nécessite un accompagnement important afin que les utilisateurs comprennent son utilité et acceptent de se plier aux procédures qu’il faut nécessairement respecter pour qu’il soit convenablement alimenté. C’est un projet structurant, mais qui permet une bien meilleure maîtrise de ce qui fait toute la richesse d’une maison d’édition : les livres qu’elle est en train de publier, et ceux qu’elle a déjà publiés. La seconde vie d’un livre déjà publié est infiniment plus facile à envisager, ou l’utilisation d’éléments de ce livre pour créer un nouveau projet, si l’ensemble des éléments qui le composent est accessible en quelques clics. Et la publication des nouveautés s’en trouve également facilitée, le DAM permettant des échanges réglés entre les différents intervenants qui contribuent à la publication, internes ou externes.

Troisième exemple cité par Laura Dawson, les métadonnées. Oui, Laura aimerait bien que le fait d’accorder la plus grande importance aux métadonnées de ses livres, à la manière dont elles sont structurées, ne figure plus jamais dans le programme d’une conférence sur le livre numérique. Elle rêve que cela soit fait, naturellement, que tous les éditeurs aient compris que sans métadonnées convenablement renseignées et structurées, le livre qu’ils publient peut être fantastique, leurs efforts pour le promouvoir exceptionnel, ce livre n’a que très peu de chances d’acquérir et encore moins de conserver de la visibilité sur le web, ratant définitivement et irrémédiablement l’attention de ses lecteurs potentiels, ceux d’aujourd’hui ou de demain.

Mettre en place un processus de production permettant de structurer les projets éditoriaux le plus en amont possible, disposer d’une gestion centralisée de l’ensemble des fichiers qui entrent dans la composition des ouvrages, accorder le plus grand soin à la qualité de ses métadonnées : cela devrait être banal. On ne devrait plus s’en étonner. Cela n’a rien de très excitant à priori, c’est du travail qui se fait ici et là, silencieusement, avec l’implication de nombreux acteurs, ceux qui consentent les investissements nécessaires, ceux qui étudient et choisissent les solutions techniques, ceux qui mettent en place et développent, ceux qui accompagnent le déploiement, et enfin ceux, les plus nombreux, qui acceptent les changements dans leur manière de travailler.

Cela n’a rien de séduisant, cela ne fait pas la une des hebdos, cela ne rameute pas les foules, cela ne prête pas à la controverse, c’est juste du travail qui doit être fait. Pour être prêts. Pour qu’on n’en parle plus dans les conférences.

Invités d’honneur

untitled-0-00-02-13Cette année, la France est l’invité d’honneur de la foire du livre de Séoul, et le BIEF (Bureau International de l’Edition Française) m’a demandé de participer aux journées professionnelles organisées à cette occasion.

J’ai donc fait le déplacement, pour intervenir au sujet des enjeux du numérique dans l’édition, en duo avec un représentant de l’Association des Publications Numériques de Corée, M. Chang Di Young. Bien qu’il m’arrive de plus en plus souvent de me livrer à cet exercice, je m’y prépare toujours avec le même soin, retouchant mes slides jusqu’à la dernière minute, soucieuse de présenter le plus clairement possible la manière dont les éditeurs français abordent les questions touchant au numérique, les défis auxquels ils sont confrontés, et les changements que cela implique dans leur manière de travailler.

Dans le salon lui-même, une petite allée de stands montrant des liseuses, dont la liseuse Samsung.  Je discute un moment avec un représentant de IN3tech, ( InCube Technologies), un prestataire proposant aux éditeurs ses services pour la numérisation et l’intégration de leur catalogue dans la librairie que Samsung met en place pour ses smartphones et sa nouvelle liseuse. Comme nous échangeons nos cartes (à la manière coréenne : tenir la carte à deux mains et s’incliner légèrement), il voit le nom du groupe qui m’emploie et tilte immédiatement, me parlant de vidéo, de YouTube, et je comprends qu’il a vu le film «  Possible ou Probable  » réalisé par Editis il y a quelques années. Il appelle ses collègues pour leur montrer le logo sur ma carte, et tous me font part de leur enthousiasme pour ce film, et je suis obligée malheureusement de leur dire qu’il a été réalisé avant que je n’arrive dans le groupe, et oui, je ne peux m’attribuer aucun mérite à propos de ce film que Bob Stein, plusieurs années après sa sortie, avait signalé à nouveau, lui redonnant visibilité.

J’assiste également à l’intervention d’Hugues Jallon, Directeur Editorial de La Découverte, qui fait une très belle synthèse sur l’édition de Sciences Humaines, abordant la question de manière thématique et en citant et resituant de nombreux titres et auteurs, dans le champ économique, dans celui du politique et celui de l’environnement. Auprès de lui, deux éditeurs de Sciences Humaines coréens, deux éditeurs véritables, passionnés, qui dirigent des petites maisons d’édition, expliquent l’extrême difficulté qu’il y a à trouver des traducteurs français-coréen capables de traduire de la philosophie ou de la sociologie de haut niveau. Il racontent aussi, de manière assez drôle, leurs difficultés à trouver des soutiens financiers, expliquant que lorsqu’ils essaient d’intéresser des industriels (ils citent l’exemple de Hyundaï, qui sponsorisent sans problème à coup de milliards- en won, le milliard est assez vite atteint, c’est environ 8750 euros – des clubs de sport, mais refusent ne serait-ce  que de recevoir ou regarder leurs livres… Il n’est pas facile, donc, de faire circuler la pensée française, mais certains s’y emploient avec une énergie et une passion qui font plaisir à voir, sans se décourager, ne se résignant pas à ce que les Coréens pensent que rien ne s’est passé chez nous depuis le structuralisme et les auteurs de la «  French Theory  ».

Très peu de temps pour découvrir la ville, même en se levant très tôt (facile avec le décalage horaire…).  Retrouvé Hugues Jallon ce matin pour prendre  le métro à la première heure. Nous quittons le quartier où a lieu la foire, quartier récent dédié au business, grandes avenues bordées de tours, mais dont les rues transversales révèlent des surprises : vous tournez au coin de la rue et l’échelle change brutalement, un fouillis de petites constructions, des restaurants bon marché, une ambiance très différente de celle de l’avenue qui n’est qu’à vingt mètres.

Nous avons ensuite marché plus de trois heures, le plan à la main, nous repérant grâce aux bâtiments, et réussi à trouver notre chemin jusqu’au palais Deoksugung, l’un de ces lieux qui permettent d’éprouver un sentiment d’architecture, cette émotion particulière et rare que l’on éprouve en voyant certains bâtiments, sans pouvoir toujours analyser d’où il provient : l’échelle ? le rapport entre les vides et les pleins ? la disposition des bâtiments, les couleurs, les matériaux ?

Il faudrait bien plus de temps, évidemment, pour se faire une idée de cette ville immense, et tel n’est pas, bien sûr l’objet de notre voyage. Il prend fin, d’ailleurs, et demain, onze heures d’avion m’attendent, et n’oublie pas, mon chéri, de venir me chercher à l’aéroport (c’est un test, pour savoir si oui ou non mon amoureux lit mon blog comme il le prétend…)

Réviser sa géographie

Comme je twittais en direct depuis la table ronde à laquelle je participais aujourd’hui à Tallinn, en Estonie, à l’occasion de la foire du livre Balte, Christine Génin, qui anime l’excellent blog lignes de fuite,  indiquait sur Twitter qu’elle avait du chercher sur Google pour localiser précisément Tallinn sur la carte. Et moi de la rassurer, en disant que j’étais #nulleengeomoiaussi, et que j’avais du faire de même en recevant l’invitation.

Arrivée hier soir dans cette ville, au bord de la mer Baltique, à 2h30 de ferry de la Finlande, et à 400km de St Petersbourg. Ce matin, une table ronde (en trois sessions successives ) réunissait des intervenants estoniens, lettons, allemands et français, l’événement ayant été porté conjointement par les représentations allemandes et françaises à Tallinn.

J’ai retrouvé ici Samuel Petit et Denis Lefebvre, d’Actialuna (devenu Sequencity), déjà croisés dans des bookcamps et à des réunions organisées par Cap Digital, ainsi qu’un professeur de lettres de Nancy, Blandine Hombourger, venue témoigner de son usage des manuels numériques et de l’ENT dans le collège où elle enseigne, qui utilise TBI et ordinateurs portables. Rémy Gimazane, du Ministère de la Culture, parlait du droit d’auteur et expliquait le projet français de numérisation des œuvres épuisés, projet très proche de celui qui devrait se mettre en place en Allemagne, que nous présentait Jessica Sänger, juriste attachée au Bösenverein.

L’objectif était d’aborder différents aspects du numérique dans l’édition, ce qui explique la grande variété des intervenants, responsables de bibliothèques, spécialistes du droit d’auteur, représentants du monde de l’édition et de l’enseignement.

Curieusement, alors que l’Estonie est très en avance en ce qui concerne la généralisation de l’accès à internet et l’usage du web (ici, on peut voter en ligne ou via téléphone mobile), l’édition numérique en est encore à ses balbutiements. Alors qu’on trouve pratiquement partout, je l’ai vérifié dans chacun des lieux où je suis passée,  une connexion wifi immédiate et graduite, à l’hôtel, au centre de conférence, mais aussi dans le premier café venu ou dans une librairie, certains services comme iTunes ne sont pas disponibles en Estonie. Une différence aussi, quand les estoniens évoquent les réseaux sociaux, ils mentionnent Facebook mais aussi Orkut, qui n’est pratiquement pas utilisé en France.

Denis Duclos, Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle et Directeur du Centre Culturel Français, qui a porté ce projet avec le Goethe Institut, nous a accueilli très chaleureusement, et a su nous communiquer son intérêt pour ce pays du bout de l’Europe, où se mêlent les influences russe, allemande et nordique. La langue estonienne, qu’il apprend, n’est pas une langue indo-européenne, mais une langue finno-ougrienne.

Il m’aura manqué 48h pour faire un saut à Helsinki, ou visiter le KUMU, le nouveau musée construit par l’architecte finlandais Pekka Vapaavuori. Les Finlandais sont nombreux à venir à Tallinn le week-end, pour y consommer de l’alcool, dont l’usage est moins réglementé ici qu’en Finlande, et fréquenter les spas dont le prix est moins élevé qu’à Helsinki.

J’ai affronté la tempête pour vous rapporter quelques images un peu tremblantes du vieux Tallinn, histoire de vous mettre dans l’ambiance. (Le vent fait un sale bruit dans le micro de ma petite caméra.)