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Est-ce que quelque chose a changé ?

fourmis-rougesPour commencer l’année, un billet dont le titre est emprunté à une chanson de Michel Jonasz dont le refrain dit :  «  Est-ce que quelque-chose à changé / Couchons-nous sur les fourmis rouges / Pour voir si l’amour est resté/ Pour voir si l’un de nous deux bouge…  »

Dans le vaste mouvement des choses qui changent, auxquelles faut-il prêter une attention particulière ? La Grande Conversion Numérique des livres tarde à se produire en France et semble déjà s’essouffler aux États-Unis. Eric Hellman a écrit à ce sujet un billet qui connaît un joli buzz, intitulé «  In 2013, eBook Sales Collapsed… in My Household.  »   ? Cherchant une explication au net ralentissement observé en 2013 dans la progression des ventes de livres numériques aux USA, et aux commandes de livres numériques en chute libre dans son foyer, il écarte un certain nombre d’hypothèses pour conclure, se basant sur l’évolution des usages de ses proches : les responsables, ce sont les sites de fanfiction…  (Le Kindle familial en panne a été remplacé par un iPad, les limitations imposées par Apple à l’in-app purchase rendent difficile l’achat d’ebooks sur Amazon, l’iBook store n’a pas séduit son panel (sa famille), et donc, les voilà qui passent maintenant leur temps de lecture à lire des fanfictions…) Par un tour de passe passe qui met dans le même sac    »tech-startups, tech-monsters, et tech-non profit  », il annonce une année 2014 qui devrait donner toute satisfaction à celui qui a écrit les lignes suivantes : «  Nous aimons investir dans des technologies et des modèles d’affaires qui sont en mesure de rétrécir les marchés existants. Si votre entreprise peut prendre 5 $ de revenus à un concurrent pour chaque dollar qu’elle gagne, alors parlons !  ». Une année qui verrait le marché du livre numérique s’effondrer sous les attaques des  » tech-quelque chose  » citées plus haut. Cinq dollars perdus pour les éditeurs traditionnels pour chaque dollar gagné par Wattpad, Manybooks, Readmills, Leanpub, Smashword ou même Unglue.it ?

AInsi, aux USA, de jeunes sociétés innovantes s’en prennent, nous dit Eric Hellmann, aux éditeurs et voudraient les faire vaciller, tout comme AirBnB inquiète l’hôtellerie, tout comme Uber concurrence les taxis et Netflix les chaînes de télé.  Wattpad et Smashwords sont des plateformes d’auto-édition, le Projet Gutenberg est le plus ancien projet de numérisation de livres, Manybooks diffuse des livres gratuits, principalement du domaine public, Leanpub est un outil de publication, et Unglue.it un site de crowd-funding dédié à la réédition numérique. Aucune parmi ces structures ne fait le lent et patient métier de l’éditeur, ce travail de défrichage à la recherche d’un prochain texte, d’un nouvel auteur, ce travail sur le texte une fois trouvé, et autour du livre publié. Aucun ne s’attache à construire, au fil des années, des collections qui sont pour certains auteurs des maisons communes, et pour leurs lecteurs des repères indispensables. Préférer la vitesse, expérimenter de nouvelles manières de faire surgir le talent, inaugurer des outils de publication, c’est très bien, et les maisons d’édition ont tout intérêt à suivre de très près l’activité de ces start-ups, et les plus avisées travaillent déjà avec elles. Mais pourquoi se réjouir à l’idée que tout ceci pourrait se substituer à ce qui existe déjà ? Pourquoi m’inviter à m’en réjouir, si au final, mon choix de lecteur s’en trouve amoindri ? S’il devient plus difficile de trouver de bons textes ? Pour qu’il y ait des fanfictions, ne faut il pas qu’il y ait des fans, des fans d’un auteur, et cet auteur-là, qui prendra le risque de le publier ?

Est-il devenu utopique, en 2014, de ne pas vouloir renoncer au meilleur de ce que nous proposent les deux mondes que nous aimons : celui des livres, et celui du web, et de continuer d’essayer de contribuer à les faire cohabiter, se compléter, se sublimer l’un l’autre  ?

 

 

Longue vie à Red Lemonade

Richard Nash, ancien dirigeant de Soft Skull Press, vient de lancer Red Lemonade.  Qu’est-ce que Red Limonade ? En quoi ce site se différencie-t-il de tant d’autres sites dédiés aux livres ? Est-ce que Richard Nash a véritablement inventé quelque chose ? Il me semble que oui, et je vais essayer d’expliquer pourquoi.

On trouve des livres sur Red Lemonade, les trois premiers livres publiés aux éditions Red Lemonade. L’un, Zazen de Vanessa Veselka sera également publié en France en septembre aux éditions Zanzibar. Ces trois premiers livres donnent le ton à la communauté, car Red Lemonade est avant tout un outil communautaire. D’autres livres suivront, puisés parmi les manuscrits qu’il est possible de consulter sur la plateforme, mais aussi de commenter, d’annoter et de critiquer. Chacun peut charger son manuscrit, ou le charger chapitre par chapitre.

On peut uploader un manuscrit complet, ou des chapitres d’un manuscrit (cette partie est encore en version beta privée). Chacun des membres de la communauté peut ajouter des commentaires, répondre à un commentaire déjà posté. L’idée de Richard Nash est de faire en sorte que le dispositif ainsi créé permette une nouvelle forme d’édition, confiante dans l’intelligence collective, et qui permette de reproduire en ligne ce qui existe bien souvent dans la vie des auteurs : des influences, des conseils, des rencontres intellectuelles, des références partagées, une dynamique créative. On trouve également sur le site des textes issus de revues littéraires qui ont accepté de collaborer au site, des billets qui guident les commentateurs, expliquant comment écrire des contributions constructives. Il est possible de suivre les membres de la communauté que l’on choisit, on accède ainsi à la liste de leurs écrits, qu’il s’agisse de leurs manuscrits ou des textes qu’ils ont commentés.

Pratiquement tous les ingrédients de ce site existent déjà ailleurs, ce sont ceux de ce que l’on décrit lorsque l’on évoque la «  lecture sociale  » : annotations et commentaires partagés, liens vers les réseaux sociaux. Ce sont ceux que le web 2.0 (comme ça sonne ancien, déjà, cette expression…) a banalisés, avec la possibilité d’uploader un fichier, d’éditer son profil, de modifier un contenu facilement. Ce que je n’avais jamais vu ailleurs, c’est l’agencement de tous ces éléments ensemble et cette notion d’édition contributive, cette confiance faite à l’intelligence et au talent, et la possibilité que ce travail collectif autour du travail initial d’auteurs bien identifiés, auquel chaque texte est rattaché, débouche sur le publication de livres. Qui décide qu’un manuscrit parmi tous les autres sera publié ? L’éditeur qui héberge et anime la plateforme. Pour Red Lemonade, c’est Richard Nash. Comme l’explique un membre de la communauté dans les FAQ, à tout moment Richard Nash peut «  taper sur l’épaule  » de l’un des auteurs qui a chargé son texte sur RL, et lui proposer de le publier. Mais l’auteur ne cède aucun droit en chargeant simplement son manuscrit sur la plateforme, et peut parfaitement, s’il en a l’opportunité, signer avec un autre éditeur.

À celui qui lui demande pourquoi les gens iraient acheter un livre qu’ils peuvent lire gratuitement en ligne, Richard Nash répond ceci :

Nous croyons que si un lecteur est si touché par ce que vous écrivez qu’il a passé quinze heures sur le site à le lire, il y a de bonnes chances qu’il souhaitera l’acheter lorsqu’il sortira en version imprimée. En fait, je dirais même qu’il ne se contentera pas de l’acheter, il dira à ses amis de l’acheter, mourra d’envie de vous rencontrer, et fera toutes sortes de choses qui valent bien plus que le prix d’un livre de poche. Souvenez-vous que la principale chose dont vous avez besoin, en tant qu’auteur, ce n’est pas de l’argent du lecteur, mais de son temps, et pas du temps au rabais, mais du sérieux, de la solitude, de l’attention, qu’il laisse votre voix envahir  son esprit pendant quinze heures ou plus (…) Tout ce qu’il y a à dire, c’est que nous pensons que de donner accès au texte complet de votre œuvre sur ce site augmentera votre audience, améliorera vos chances de publication dans d’autres formats, et augmentera le nombre de livres que vous vendrez dans ces formats.

Avant d’ouvrir Red Lemonade, Richard Nash parlait de son projet qu’il nommait Cursor, et je n’arrivais pas bien à faire le lien entre Cursor et Red Lemonade. La lecture du blog de Richard Nash ne me permettant pas d’éclaircir cette question, je lui ai demandé par mail de m’expliquer. En réalité, Cursor est le nom de la plateforme qui a été créée, et Red Lemonade est le premier éditeur à utiliser cette plateforme. L’idée de Richard Nash est de proposer cette plateforme nommée Cursor, pour permettre à des éditeurs ou à des personnes qui désirent monter une maison d’édition, ou à des gens qui animent déjà des communautés en ligne et qui désirent publier des livres, de se doter d’une plateforme semblable, d’en modifier l’aspect, et de se lancer dans un projet utilisant les mêmes fonctionnalités, mais avec leur propre sensibilité, qui attirera à chaque fois des auteurs différents, et des lecteurs / commentateurs / éditeurs différents. Il est donc possible d’obtenir une licence d’utilisation, et d’ouvrir sa propre plateforme, en utilisant la même technologie que Red Lemonade.

Cette initiative est à suivre de près. Elle est beaucoup plus radicale que celle qui consiste pour un éditeur à publier ses livres en version numérique, ou même à publier des livres directement et exclusivement en numérique. Elle inaugure une nouvelle forme d’exercice de la fonction d’éditeur, qui s’appuie sur ce que le numérique change dans la relation entre auteur et lecteur, qui associe l’expertise des lecteurs contributeurs au processus de sélection des œuvres, un changement qui me semble bien plus fondamental que le changement de support de lecture qui occupe tant les esprits aujourd’hui.

En complément à ce billet, j’ai traduit un texte dans lequel Richard Nash explique les idées qui ont inspiré son projet.

Podiobooks, des livres audio en podcast

Sur le site de Podiobooks, on retrouve de nombreux ingrédients discutés ici et là dans la bouquinosphère : gratuité, livre audio, licence Creative Commons, contenu généré par les utilisateurs…

Il s’agit d’un site qui diffuse des livres audio sous forme de podcasts. Les œuvres sont sous le régime Creative Commons. On peut les acquérir gratuitement. On est encouragé (argumentation ici) à faire une don (dont 75% du montant est reversé à l’auteur). Les titres sont évalués par les utilisateurs du site, avec 4 notations sous forme de nombres d’étoiles : qualité de l’enregistrement, qualité de la narration, qualité de l’écriture, qualité globale. Les visiteurs peuvent ajouter leurs commentaires sur la fiche de chaque titre.

Podiobooks propose également aux auteurs qui le souhaitent les services d’un speaker professionnel (18,75 $ pour mille mots), ainsi que l’enregistrement en studio (175 $ de l’heure), et le découpage en épisodes. Si vous voulez enregistrer vous-même votre texte, quelques conseils sont donnés sur le site, mais je conseillerais également la lecture des «  astuces pour la lecture publique«  , publiées aujourd’hui par François Bon.

Peut-être la fin de la guerre des formats pour le livre : et si c’était finalement le mp3 qui l’emportait ?

(repéré chez Joe Wikert)

Vendre ou donner ?

Pléthore de débats sur la gratuité, en écho à l’article de Jeff Bezos Chris Anderson (merci Guillaume, ce que c’est de bloguer à pas d’heure…) dans Wired.

Petit revue des blogs :
- Chez André Gunthert, à propos d’une vive discussion sur la liste Revues SHS, concernant la gratuité des revues en ligne.
- Sur Affordance, où sont répertoriés les différents modèles proposés par Anderson
- Chez Pierre Assouline (commentaires malheureusement très souvent ineptes, Pierre, faites quelque chose, c’est chez vous tout de même !)
- Sur Internet Actu (nouveau design et nouvelles fonctionnalités pour le site)
- Sur le blog des éditions Léo Scheer.

Peut-être le moment de relire Walter Benjamin, «  l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique  » ?
Ou bien «  Le Prix de la vérité : Le Don, l’argent, la philosophie«   de Marcel Hénaff ?
Extrait de sa quatrième de couverture :

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