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Qu’avez-vous laissé faire ?

Ce qu’annonçait Jeremy Rifkin dans son livre «  l’âge de l’accès  » est en train de se réaliser, bien plus vite que je ne l’imaginais lorsque je l’ai lu il y a cinq ans. De plus en plus, le souhait d’être en mesure d’accéder à l’usage des biens culturels est en train de se substituer à celui de posséder les supports et même les fichiers qui les contiennent. Un responsable d’EMI France me le confirmait récemment en ce qui concerne la musique : l’accès est ce qui compte désormais, et la tendance à entreposer sur son disque dur des milliers de titres fait place à la volonté d’être en mesure d’accéder immédiatement, en tout lieu, à une offre illimitée, sans nécessité de stocker, de posséder des albums ou des morceaux. Des services comme Spotify (qui vient de modifier ses règles de fonctionnement)  ou Deezer ( qui a signé l’été dernier un accord avec Orange)  rencontrent un succès très important. L’annonce par Amazon d’un service d’écoute de musique en ligne, Amazon Cloud Drive,  confirme la tendance, et fâche les maisons de disques , qui considèrent que les accords conclus avec Amazon pour la vente en ligne de titres et d’albums en téléchargement n’autorisent pas la firme à offir l’accès en streaming à ces titres.

Le livre n’échappe pas à cette tendance : à partir du moment où il est numérique, que nous importe qu’il réside sur notre disque dur, ou bien sur un serveur distant, du moment que nous  sommes en mesure d’y accéder à chaque fois que nous le souhaitons ? Mieux, s’il est stocké en ligne, il peut nous suivre dans nos usages, nous le retrouvons à la page où nous l’avions abandonné, pour en lire quelques pages sur téléphone portable, et nous en reprendrons plus tard la lecture, sur tablette ou sur liseuse.

Des offres en accès existent déjà pour le livre, mais aucune offre de ce type n’agrège aujourd’hui la totalité des catalogues numériques français. Utilisé depuis des années par les éditeurs scientifiques en direction des bibliothèques universitaires, ce modèle n’est pas encore très développé en direction du public, à l’exception des tentatives de Cyberlibris, de l’offre de publie.net, ou de  celle d‘Izneo pour la bande dessinée. C’est le principe adopté et défendu par Google pour son offre Google Ebooks qui a ouvert aux USA début décembre 2010, mais pas encore en France. Une société espagnole annonce pour juin prochain l’ouverture du site 24symbols.com, qui se présente comme le «  Spotify du livre  » et propose un modèle freemium similaire, mais nul ne sait quel succès ce projet va rencontrer auprès des éditeurs. Les modèles économiques pour ces offres varient : paiement à l’acte pour Izneo et pour Google Ebooks, paiement d’un abonnement annuel chez publie.net permettant un accès illimité au catalogue, accès gratuit accueillant de la publicité ou payant sur abonnement pour le projet 24symbols. Certains libraires espèrent que  la mise en place de la vente de livres numériques en téléchargement se double bientôt d’un accès en streaming aux ouvrages achetés, sachant que cette offre ne peut être organisée par les libraires eux-mêmes, car ils ne disposent pas des fichiers.

La lecture en accès sera considérée par certains comme une insupportable dépossession, mais d’autres la vivront comme un allègement, et comme l’occasion d’accéder à de nouvelles fonctionnalités,  avec des possibilités d’échange et de partage, qu’il s’agisse de commentaires ou de citations.  Téléchargement et streaming coexisteront un long moment.

On peut imaginer que le pendant de cet accès global rendu possible aux livres, aux films, aux morceaux de musique, n’ira pas sans un développement parallèle de pratiques locales ; que cet accès formera probablement d’ici quelques années un substrat considéré comme minimum – accès facilité à l’ensemble des biens culturels sous forme numérisée -  mais qu’il conduira au développement complémentaire et indispensable de pratiques locales, impliquant de «  réelles présences  »,  dans les salles de concert et de cinéma, les librairies et les bibliothèques ; que le livre imprimé ne disparaîtra pas plus que les lieux où on peut l’acheter, l’emprunter ou le consulter, mais qu’il aura acquis une valeur nouvelle,  qu’il s’agira d’un objet plus précieux et plus durable. Il est probable aussi que se multiplieront les échanges entre global et local, l’accès au réseau se banalisant dans des objets toujours plus intégrés dans la vie quotidienne, et les possibilités de re-matérialisation comme l’impression à la demande reliant les lieux réels et les entrepôts virtuels.

L’infrastructure nécessitée par le développement de notre vie en ligne, qu’il s’agisse de nos échanges privés ou semi-privés, de nos partages de textes et d’images fixes et animées, de notre désir d’accéder à l’information, aux savoirs, au cinéma, à la musique, à la littérature depuis n’importe quel terminal relié au web est gigantesque. Le Cloud, malgré son nom qui évoque le lointain, l’impalpable, le vaporeux, n’a rien d’immatériel. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ces photos, prises la semaine dernière lors d’une visite organisée par Facebook dans son tout nouveau  datacenter à Prineville dans l’Oregon. Les datacenters sont d’énormes consommateurs d’électricité. Un rapport de Greenpeace fait le point sur cette question, Greenpeace qui a vivement dénoncé le choix par Facebook comme fournisseur d’une compagnie qui produit l’électricité via des centrales à charbon, notamment en publiant cette vidéo trouvée sur le blog Presse-Citron :

Facebook : Greenpeace vous invite à abandonner… par gpfrance

Le mouvement de numérisation nous fascine aujourd’hui par sa nouveauté et les possibilités qu’il offre. Mais  lorsque tout ce qui est possible de l’être aura été numérisé et que la plupart des biens culturels susceptibles de l’être seront produits directement en numérique et accessibles sur le web, ce même mouvement tendra probablement à rendre plus précieux tout ce qui lui résiste, tout ce qui ne peut en aucun cas se numériser, tout ce qui s’acharne à demeurer analogique, se refuse à la duplication, à la reproduction parfaite. Les mêmes qui exigent l’accès illimité à toute la musique demandent déjà à leurs parents de rebrancher leurs vieilles platines pour écouter les disques qu’ils achètent en vinyle. Peut-être que nos petits-enfants  supplieront les leurs d’installer dans leur chambre les vieilles étagères Billy entreposées dans la cave, pour épater leurs copains avec des livres imprimés… qui sait ?

Qu’avez-vous gardé ? Qu’avez-vous perdu ? A quoi avez-vous été vigilant ? Qu’avez-vous laissé faire ? Ce sont quelques unes des questions que chaque génération pose à la précédente. Il est à craindre que la question de notre  vigilance concernant les dépenses énergétiques, évoquées plus haut, sera de très loin la plus dérangeante.

Attention, prospective

C’est en anglais. Ça parle uniquement du contexte de l’édition au États-Unis, différent du contexte européen. À lire quand même : attention, prospective : ça secoue.  Ce sont les slides de la présentation de Mike Shatzkin à la «  Book Expo America  ».  Vidéo et script de l’intervention sur son site.


Stay Ahead Of The Shift

«  Lundi, nous avertit Mike, la vidéo sera remplacée par un lien (que j’ajouterai alors ) vers le texte de l’intervention sur la nouvelle plateorme d’annotation de nos clients, SharedBook. La plateforme permettra de saisir des commentaires par section, et ceci constituera une expérimentation pour Sharedbook et pour nous. Nous espérons que vous serez nombreux à commenter.  »

Espresso : un livre, tout de suite !

Il y a déjà presque deux ans que j’ai évoqué pour la première fois l’Espresso sur ce blog. J’ai eu l’occasion de la voir fonctionner à la foire du livre de Londres. La machine de démonstration, dont la carosserie tranparente permettait de suivre toute les étapes de la fabrication du livre, a tourné à plein régime pendant trois jours, et je l’ai filmée pour vous avec mon appareil photo.

Imaginée par Jason Epstein, cette machine est déjà installée dans plusieurs bibliothèques américaines, et dans quelques librairies. Capable d’imprimer en quelques minutes un livre à l’unité, elle offre potentiellement au libraire ou au bibliothécaire la possibilité de n’être jamais en rupture. Lorsqu’il ne dispose d’aucun exemplaire d’un livre, il peut proposer à son client d’en imprimer une version pour lui. Il faut pour cela qu’une version numérique de l’ouvrage soit disponible, bien sûr. On imagine aussi l’avantage qu’il pourrait y avoir à disposer de telles machines dans les établissements d’enseignement.

Qu’est ce que cette machine, sinon un photocopieur perfectionné auquel on adjoint un module qui effectue les opérations de façonnage, afin de transformer en livre ce qui, sinon, serait un tas de feuillets fort désagréable à consulter. Avec l’Espresso, l’objet livre apparaît comme l’un des moyens, et sans doute l’un des plus agréables, pour accéder à une œuvre de l’esprit. Sa simple existence, même si elle demeure assez rare, et si la preuve de sa facilité d’usage, et de la possibilité d’une adoption massive reste à faire, nous aide à ne pas demeurer centrés exclusivement sur le livre imprimé. Elle rend visible ce qui, confié aux imprimeurs, et réservé à des tirages justifiant la mobilisation et le réglage d’une machine offset, demeurait auparavant caché, contribuant à ôter au livre une part de son mystère : le moment de la fabrication, l’instant où le texte s’installe sur la page, et où les feuillets assemblées deviennent un livre. Un pas de plus vers la désacralisation du livre. Avec l’impression à la demande, le livre devient une forme possible, et pratique, pour quantité de documents qui ne se limite pas à des œuvres littéraires : manuel, cours, cataloge, album souvenir, album photo, recettes de cuisine, tout document d’une certaine longueur peut désormais adopter cette forme. Et cette nouvelle accessibilité de l’impression croisée avec toutes les possibilités offertes par les technologies numériques pour générer des contenus, les mixer, les personnaliser, ouvrent la voie à quantité d’objets nouveaux.

Ajout du 25/04/09 : ce reportage de BBC news sur la machine Espresso :

Mise à jour du 8 mai 2009 : Alain Pierrot me signale un excellent billet paru sur le blog if:book, tout entier consacré à une longue réflexion sur la machine Espresso, quelques semaines après son installation dans une librairie londonienne. À quoi bon fabriquer un exemplaire imprimé d’un livre, à l’ère des liseuses et de la lecture sur téléphone mobile ? Réponse de Sonja Drimmer : la Présence.

Impression à la demande : quel intérêt de la proposer sur un site d’éditeur ?

Bookseller.com l’annonce aujourd’hui : Random House va commercialiser des livres en impression à la demande, sous la marque «  The Random Collection  ». Random va lancer un site dédié avec 750 premiers titres, d’autres viendront s’ajouter tout au long de l’année. Le site sera interactif, régulièrement mis à jour avec des sélections et des recommandations de l’équipe de Random House et des auteurs. Il sera doté d’un outil permettant aux libraires de faire des suggestions concernant les titres qu’ils aimeraient voir figurer sur Random Collection. Faye Brewster, Directeur des ventes du groupe, précise : «  Lorsque des revendeurs constatent que des clients leur réclament un livre de Random qui se trouve être épuisé, ils peuvent nous le signaler, et nous nous occuperons d’obtenir les droits pour les rendre disponibles sous cette forme.  »

Faber & Faber avait déjà lancé en juin un service identique, Faber Finds, s’assurant pour la création des couvertures de ces livres la collaboration d’une designer talentueuse, Karsten Schmidt, qui a conçu un système de création graphique basé sur un algorithme.

Joseph J. Esposito commente cette annonce dans Publishing Frontier en posant cette question, qui revient quasiment toujours dès qu’il s’agit de sites développés par des éditeurs : est-ce vraiment pertinent de proposer un tel service sous la marque «  Random House  », offrant uniquement des livres issus des marques détenues par le groupe ? Les lecteurs se soucient-ils de cette marque ? Qu’est-ce qui pourrait les attirer vers ce site ? N’est-il pas préférable que les éditeurs rendent leur livres disponibles en impression à la demande sur des sites agrégeant le plus grand nombre possible de maisons d’édition, et offrant un vaste choix ? Joseph écrit : «  RH, ou tout autre éditeur, font une grave erreur s’ils s’imaginent que les consommateurs vont venir sur le site RH.  »

Mais cette remarque est aussitôt mise en perspective par la suite de son article. Plusieurs raisons justifient en effet selon J.J.Esposito la décision de Random House. La première, c’est la nouvelle situation créée par l’accord conclu entre Google et les éditeurs et auteurs américains : avant cet accord, la ligne de démarcation entre les livres était clairement : livres du domaine public d’un côté, livres sous copyright de l’autre. Avec l’accord, la frontière s’est déplacée : les livres encore sous copyright mais en arrêt de commercialisation entrent dans la même catégorie que ceux du domaine public, en ce qui concerne le droit de Google de les faire entrer dans son programme Google Book Search, à ceci près que Google s’engage à reverser aux ayant droit une part des revenus provenant de ces œuvres. Le fait de mettre à la disposition du public des livres en impression à la demande ne permet plus de les déclarer «  non commercialisés  », et renforce la position de l’éditeur vis à vis de ses droits et de ceux de ses auteurs sur ces livres.

L’autre raison ne s’applique pas seulement aux livres proposés en impression à la demande, mais bien à l’ensemble des livres qu’un éditeur présente sur son propre site web. Là, Joseph J. Esposito explique que la diférence entre le monde physique et internet est très importante. Autant il est tout à fait absurde d’imaginer des librairies physiques proposant les livres d’un seul éditeur, autant, le fait pour un éditeur de disposer de son propre site se justifie. En effet, sur internet, le «  Barnes & Noble «  ( soit : le libraire ), c’est la première page de résultats d’une recherche dans Google. C’est dans Google que les consommateurs vont taper le titre du livre qu’ils recherchent. C’est ce que J.J.Esposito nomme de «  l’agrégation en temps réel  ». Qu’importe alors, nous dit-il, que les consommateurs ne connaissent pas la marque «  Random House  », la seule marqe qu’ils connaissent, c’est Google, et si le site de l’éditeur est convenablement développé, «  search engine’s friendly«  , bien optimisé pour les moteurs de recherche, le consommateur aura accès au site de l’éditeur, ou à des informations issues de celui-ci et reprises ailleurs, sur le site d’Amazon par exemple.

Il n’est pas non plus impossible que Random House entreprenne à cette occasion, faisant venir les consommateurs sur un site riche d’informations, de faire exister progressivement sa marque auprès des lecteurs.

Esposito conclut :

«  Fondamentalement, il est temps d’arrêter de penser le Web comme un univers symétrique de l’univers «  brick and mortar  ». Hors ligne, il y a des magasins ; en ligne, il y a des des relations qui évoluent dynamiquement. Hors ligne, l’agrégation est cruciale ; en ligne, l’agrégation se fait en temps réel et permet de pointer vers des objets partout où une URL peut être trouvée. Hors ligne, les marques connues dans le monde du B2B ne disent rien aux consommateurs ; en ligne, de telles marques peuvent s’insérer intelligemment dans la chaîne de valeur. Ne tenons pas pour acquis que les gens chez Random House sont idiots, en dépit du fait qu’ils sont – ugh – des éditeurs  ».

On the road

La tournée du «  Bus Numérique Overdrive  » à travers les Etats-Unis va commencer le 10 août à Central Park. Le programme complet de cette tournée est disponible ici.

Destinée à familiariser le public avec les contenus numériques en tout genres, livres audio, livres numériques, musique, vidéo, et avec l’idée que les bibliothèques deviennent des lieux de diffusion de contenus numériques, la «  Digital Bookmobile  » est équipée et opérée par OverDrive, principal distributeur de contenus numériques américain, et accueillie dans les bibliothèques.

Martyn Daniels, du blog Brave New World, s’interroge :

Les téléchargements seront-ils gratuits, s’agissant d’un «  prêt en bibliothèque  » ? L’accès sera-t-il restreint aux résidents de la localité ? Pourquoi un consommateur achèterait-il un livre numérique s’il peut l’emprunter gratuitement ? (NdR : la question est la même avec les livres physiques…) Les emprunteurs seront-ils en mesure d’effectuer des téléchargement gratuits de n’importe où une fois qu’ils auront été inscrits ? Les titres disponibles sont-ils issus des catalogues locaux ou bien s’agit-il d’une «  offre bibliothèques  » proposée par Overdrive, permettant aux libraires d’utiliser sa plate-forme en marque blanche ?

Les relations entre bibliothèques et librairies n’ont jamais été aussi sensibles dans le monde physique : là, les copies et les accès étaient limités à une aire géographique et les emprunteurs avaient l’obligation de se rendre à la bibliothèque aussi bien pour emprunter que pour rapporter les ouvrages. Dans un monde numérique, ils n’ont qu’à s’identifier, télécharger, consommer, puis le fichier s’auto-détruit automatiquement au terme du délai de prêt. Comment les libraires pourront-ils entrer en compéition avec cela ?

Cette tournée est une belle idée, tout comme la sensibilisation au numérique, mais quelles seront les conséquences d’une possible canibalisation des ventes des libraires ? OverDrive sera payé, les bibliothèques continueront de payer, les éditeurs continueront de faire des ventes auprès des bibliothèques, les consommateurs accèderont gratuitement à du contenu, mais quel sera l’impact sur les royalties des auteurs et sur les librairies, dans les centres-villes comme dans les universités ?

The Brave New World est un blog qui prolonge les réflexions contenues dans le rapport du même nom, émanant du syndicat des libraires britannique, et il n’est pas surprenant d’y lire ces lignes inquiètes. Mais où mène cette inquiétude ? Pourquoi les libraires n’organisent-ils pas avec Overdrive ou un autre leur propre tournée du bus numérique des libraires ? Pourquoi ne se sentiraient-ils pas concernés comme des acteurs et non comme des victimes potentielles du grand chambardement numérique ? Chaque maillon de la «  chaîne du livre  », dont on a vu que le numérique la transforme en réseau, est concerné par ce que le numérique fait aux livres. Va-t-on se livrer à un concours du genre «  c’est moi, le maillon qui souffre le plus ?  ». Il est urgent au contraire de briser cette chaîne des victimes du numérique et d’investir le réseau, de comprendre les nouveaux enjeux, d’apprivoiser les techniques, d’expérimenter les usages, chacun dans son métier. Sans céder ni à l’enthousiasme technologique béat, ni à la grande peur du numérique.

En attendant moi j’aime bien le camion, et j’aime bien cette idée de tournée, d’événement, de nomadisme. Soudain, le numérique prend la route.

Mise à jour, 20 janvier 2009 : on peut suivre le bus numérique via Twitter ici : http://twitter.com/DigiBookmobile/

Quand Lulu rencontre Borders, et un petit jeu idiot en prime

J’apprends chez Joe Wikert, encore lui, que Borders, la deuxième chaîne de librairie américaine derrière Barnes and Nobles, a adopté la plateforme de Lulu.com pour proposer à ses clients un service d’auto-édition.

Un petit jeu pour étudiants en master d’édition : dans les questions suivantes, ( toutes issues de la FAQ de la plate forme Borders-Lulu ) remplacez Borders Personal Publishing par le nom d’une maison d’édition. Supprimez les questions qui visiblement ne fonctionnent pas avec le nouveau nom. Pour chaque question restante, indiquez qui peuvent être l’émetteur et le destinataire de la question, puis imaginez une réponse.

Program Basics

* What is Borders Personal Publishing ?
* Who is Borders Personal Publishing for ?
* How much does it cost to use Borders Personal Publishing ?
* How do I register ?
* What is Lulu ?

Publishing

* How do I publish a book ?
* What can I publish with Borders Personal Publishing ?
* Why are there other book size options on Lulu ? Can I choose a size that isn’t listed on the Borders Personal Publishing page ?
* What services does Borders Personal Publishing offer ?
* Does my book need editing ?
* Does my book need page design ?
* How do I make a cover for my book ?
* What requirements does my book have to follow ?
* Why don’t I see “Borders” while I’m creating my book ?
* How do I get back to the Borders page after I’ve begun creating my book on Lulu ?
* What rights does Borders Personal Publishing have over my published work ?
* Who is the publisher — me or Borders Personal Publishing ?

Selling Books

* How do I sell my book with Borders Personal Publishing ?
* Who should buy the Borders Personal Publishing Premium Package ?
* Who should buy the Borders Personal Publishing Standard Package ?
* Who should buy the Borders Personal Publishing ISBN Registration Service ?
* What is an ISBN ?
* Does my book need an ISBN ?
* What are royalties ?
* Will Borders carry my book in the store ?
* Do I have to list my book for sale ?
* Who can buy my book ?

Ordering Books

* How much will my printed book cost ?
* Do I get a discount if I buy in bulk ?

Shipping to the United States

* How long should it take to receive an order ?

Author Support

* Where do I go for help with my book ?

Une plate-forme d’auto-édition en ligne est en effet une sorte de «  numérisation de savoir-faire  ». Elle cherche à rendre accessible à tout un chacun une activité jusqu’à présent réservée à des professionnels, dans la lignée du «  toi aussi tu peux  » : «  toi aussi tu peux choisir la typo, toi aussi tu peux choisir le format, toi aussi tu peux effectuer la mise en page, toi aussi tu peux concevoir une couverture, fixer le prix, demander un ISBN, te soucier de distribution…  » Cette liste de questions révèle les attentes supposées du client, à la fois auteur et éditeur, correcteur et metteur en page, responsable de fabrication, et illustrateur, et responsable marketing, et attaché de presse… autant de métiers que la plateforme, en quelque sorte, simule.

Une aventure qui tente le plus grand nombre : Lulu annonce publier 4000 ouvrages chaque semaine. Avec une marque comme Borders, bien plus connue, ce chiffre risque de s’envoler.

Si le livre est une base de données alors…

persobook.jpgSi ce livre est une base de données, alors on peut proposer à son acheteur d’ajouter sur la page de garde la photo de son fils, et une dédicace, qui seront imprimés comme s’ils avaient d’emblée été parfaitement intégrés au livre.
On peut bien sûr imaginer aller beaucoup plus loin dans la personnalisation des livres. (Ici, petit clin d’oeil virtuel aux MMC Girls, si elles me lisent encore…)

Mais la mise en place de la chaîne nécessaire à ces deux fonctionnalités simples – ajout d’une image, ajout d’une dédicace – n’est pas à négliger : préparation du fichier numérique du livre, conception de l’interface utilisateur, développement de la mini-application permettant l’upload de l’image et du texte, design de la page web, insertion correcte de la page modifiée dans le fichier du livre, inscription des utilisateurs et mise en place d’un système de paiement, envoi de ce fichier à un service d’impression à la demande, impression du livre, acheminement du livre chez le client, et j’en oublie probablement.

Cette offre, qui porte pour l’instant sur un seul livre, est d’ailleurs le résultat d’un partenariat :

sharedbooks.jpg

«  SharedBook Inc., un site de publication qui permet aux utilisateurs de créer un livre à partir de contenu issu du web, a annoncé aujourd’hui un partenariat ave Random House pour permettre aux utilisateurs de créer des versions personnalisées de leurs livres en utilisant leur site web. Le classique album intitulé «  The Poky Little Puppy  » sera le premier livre disponible pour la personnalisation.  » (via Publisher’s Weekly)

Nombreux sont ceux qui se désolent que le livre électronique ne soit le plus souvent que la version électronique du livre papier, une simple déclinaison sur un autre support d’un texte, un pauvre malheureux texte qui n’utilise même pas les ressources du multimédia, un texte dans lequel on ne peut même pas cliquer pour faire surgir une image, faire jouer un son, convoquer un autre texte. ( Ils sont vraiment bêtes alors ces éditeurs ! ) C’est ignorer que le fait d’afficher correctement un texte, avec une mise en page convenable, sur une liseuse, est déjà une petite aventure technique non négligeable. ( Et ce ne sont pas François, Hadrien, Hervé qui devraient me contredire… )

Choisir de faire en sorte que le texte ne soit plus quelque chose que l’on offre à la lecture, mais un objet qui interagit avec son lecteur utilisateur (autrement que par le truchement de son imagination), c’est changer le statut du texte même, quitter l’univers du livre, et entrer dans l’univers des applications.

Et on voit, avec cet exemple archi-simple de Random House, que cette opération n’est pas un mince affaire. Tous ceux qui ont traversé la brève histoire du cédérom s’en souviennent : un écran n’est pas une page, et produire une application multimédia conjuguant de façon pertinente textes/sons/images/animations/vidéo, maîtriser l’ergonomie des interfaces, c’est difficile, c’est long et ça coûte très cher. Ceux qui sont aujourd’hui passés maîtres dans cet art s’appellent Electronic Arts ou Ubisoft et sont bien loin de l’univers du livre. Il y a par ailleurs des inventions merveilleuses du côté de l’art numérique. Mais la numérisation dans le domaine du livre (qui semble s’accélerer ces temps-ci, non sans quelque fracas), ne signifie pas le surgissement systématique et quasi magique de nouvelles formes de récit, même si certains explorent déjà de nouvelles formes, formes liées à des développements d’applications aussi bien que formes originales d’échanges, possibilités de création publique ou collective, liées aux types de sociabilité engendrés par le web.

Il y a une migration à effectuer, qui ne passera pas massivement par une réinvention «  multimédia  » des œuvres littéraires au prétexte que «  avec l’informatique, on peut… on peut…  ». Et si déjà on pouvait offrir aux prochains acheteurs de liseuses un catalogue de titres électroniques qui leur donne un autre choix que celui de lire en anglais ?

Petit-déj’ avec Bob Young (lulu.com)

En écoutant Bob Young ce matin nous parler de lulu.com, dont il est le fondateur, les questions s’accumulaient dans mon esprit, à la queue-leu-leu, une file de questions dont je savais que j’allais les oublier avant d’avoir eu la possibilité de les poser.

Lorsque Bob Young nous dit : « Autrefois, la personne qui disait « ça, c’est bon, ça, c’est mauvais, c’était l’éditeur. Aujourd’hui, cette personne c’est le public. », ma question surgit sans effort : « Mais est-ce que ce n’est pas un service que nous avons apprécié, en tant que lecteur ? Est-ce que, avec la profusion croissantes d’occasions de fixer notre esprit (livres, films, télé, jeux vidéo, journaux, revues, sites web, blogs, musique etc….) nous n’aurons pas justement un peu de reconnaissance envers celui qui fera le tri, et qui nous évitera de devoir feuilleter 30 très mauvais livres mal écrits avant de tomber sur celui qui est susceptible de nous intéresser ? »

Lorsque Bob Young parle avec beaucoup de justesse de Google, et de Google Search Inside, et du fait qu’aujourd’hui, un livre peut apparaître parmi les résultats de recherche de Google (il dit en riant, et là c’est l’ex-boss de Red Hat qui parle probablement : « Microsoft, ce sont de gentils petits garçons, si on les compare à Google. » , j’ai envie de lui demander : « Alors, une partie du travail de l’éditeur, qui consiste à mettre en contact un lecteur et un auteur, est prise en charge, dans le monde entier, par un seul moteur de recherche, dont on ne connaît pas les critères de classement ? »

Il est sympa, Bob Young. Bien conscient aussi qu’une part des livres publiés sur lulu.com relèvent de ce qu’on appelle en anglais la « vanity edition », il dit, quant à lui, « de la mauvaise poésie, si mauvaise que même votre mère ne voudra pas en acheter un exemplaire… » . Il a la sagesse de ne pas se poser en rival de l’édition traditionnelle. Il ne vient pas piétiner ses plate-bandes. Il permet à un autre marché de se constituer, et il a pour exprimer cela une comparaison efficace : l’arrivée d’eBay n’a pas entraîné la fermeture de Christie’s. Il a facilité au plus grand nombre l’accès à un système de vente aux enchères. Un plus grand nombre qui ne fréquente pas Christie’s, et ne connait peut-être pas son existence.

Il n’est pas éditeur, il permet simplement à chacun de devenir son propre éditeur. Une salve de questions me vient encore : Est-ce qu’elles apprécieront tant que ça, les générations qui arrivent, de devoir non seulement faire leur métier, mais également d’être leur propre éditeur, leur propre producteur de musique, leur propre producteur de films, leur propre fournisseur d’information ? Est-ce que le do-it-yourself étendu à toutes les sphères de la vie culturelle n’apportera que satisfaction, épanouissement et harmonie ? Et qui va se charger de ce qui dépasse la sphère individuelle : constituer une collection, un fonds, construire un catalogue ? Qui se posera la question de ce qu’il convient ou non de conserver, de transmettre ou d’oublier ? La « vanity edition » , n’est-ce pas aussi l’édition instantanée, qui se fiche autant du passé que de l’avenir ?

Lorsque le moment du débat commence, bien sûr, j’ai oublié mes questions. J’écoute tranquillement celles des autres participants (Bouquinosphère bien représentée). Et, au moment de partir, la seule question qui me vient à l’esprit en allant saluer Bob Young est celle-ci : « Could you please tell me why you did steal my daughter’s name for your website ?” Bob Young rigole, et sa réponse me permet de partager avec vous un scoop : l’origine du nom “lulu.com”. Ben oui, pourquoi lulu.com ? Bob Young a trois filles. Sa plus jeune fille, qui a le même âge que « ma » Lulu, l’appelait, lorsqu’elle était petite, « Papeloo », bientôt raccourci en « Lulu » (prononcé en anglais «  Loulou  ») : « Tu peux me conduire à la patinoire, Lulu ? » Quand il a fallu trouver un mot court, quatre lettres, et facile à retenir, c’est ce surnom que lui avait donné sa fille qui a resurgi.