Archives mensuelles : août 2009

De nouveaux habits pour certains livres du domaine public

Souvent, les livres anciens contiennent de magnifiques illustrations dont leur austère couverture ne laisse guère deviner la présence : uniformément noire, celle-ci n’affiche aucune inscription et bien sûr, aucune image, et la présentation de la couverture du livre sur l’écran d’un ordinateur en réponse à une requête ne fournit aucune information.

Plusieurs solutions à ce problème ont été essayées par Google, comme la création automatique de couvertures typo, où s’affichent titre et auteur. C’est utile, mais pas très beau :

couvgoog

Lorsque c’est possible, Google utilise maintenant un algorithme qui permet de sélectionner une illustration pertinente située dans l’ouvrage, et de l’utiliser en page de couverture, en y ajoutant titre et auteur, le tout, bien sûr, automatiquement.

Cela donne par exemple ceci :

butterflies

On peut aussi essayer, pour en juger in situ, la requête «  plant  » sur Google Book Search.

Plus de précisions sur le blog Inside Google Books.

Livre ou pas livre ?

Pour moi, clairement, le document que François Bon présente ici n’est pas un livre. Si c’était le cas, deviendraient des livres quantité d’objets audio-visuels, dont jusqu’à présent personne n’a pensé un instant qu’ils étaient des livres.

Pourquoi la question se pose-t-elle aujourd’hui ? C’est la conséquence directe de la dématérialisation du livre, et de l’irruption du numérique et d’internet. Je souscris entièrement au texte d’Arnaud Maïsetti qu’a publié Constance, j’aurais aimé l’avoir écrit, tellement il exprime avec justesse ce que je pense et ressens.
Je ne dirais pas que l’on n’a plus besoin du mot «  livre  » : on en aura besoin tant qu’il y aura des livres, et si d’autres formes d’inscription et de transmission du savoir et d’une «  relation réfléchie au monde  » émergent, d’autres termes surgiront probablement pour les désigner. Il restera à définir à quel instant une forme échappe à la définition du livre : l’habit de papier et de colle semblait bien pratique pour reconnaitre un livre…

Même les livres numérisés, objets dérivés des livres publiés initialement sous forme imprimés, seront probablement très vite de plus en plus différents de la version imprimée : on souhaitera leur adjoindre les commodités permises par leur nouveau statut d’objet numérique, interactivité, adjonction d’éléments multimédias, possibilités de recherche, possibilités d’annotation, voire lectures collaboratives.

Il y a déjà des déplacements qui s’effectuent, entre par exemple le livre et le jeu vidéo. De nombreux talents, talents de raconteurs d’histoires, de ceux qui aiment inventer des mondes et nous les proposer, choisissent aujourd’hui de s’exprimer à travers le jeu vidéo, qui combine narration, interactivité, image, animation 3D. Et lorsque l’on aura cessé de mépriser ces formes, on se rendra compte que de véritables créateurs émergent dans ces sphères largement ignorées du monde de l’édition. Le jeu vidéo fait l’objet aujourd’hui de la même méfiance parmi les intellectuels que le cinéma dans ses débuts, ou la bande dessinée.

C’est aussi du côté des arts numériques que pourront se tourner  ceux des  auteurs qui apprivoisent les outils numériques. Et là, toutes les rencontres sont imaginables, avec la peinture et la danse, l’architecture, la musique, le design. Ainsi s’écrira la suite d’aventures collectives qui ont existé bien avant le numérique et continueront d’exister aussi en dehors de lui, celles de rencontres entre artistes : voir les livres d’artistes de Michel Butor, ceux de Miro (exposés cet été à la fondation Maeght), ou bien lectures de François avec Pifarély et bien d’autres performances et réalisations.

Dès qu’il quitte son costume de papier, le livre, pffuitttt, nous file entre les doigts, et s’en va flirter avec les applications, le son, la vidéo…

L’opération inverse existe, avec l’impression à la demande, qui voit le livre (dans l’acception «  objet  » du terme), comme l’une des occurrences d’une œuvre qui existe tout d’abord au format numérique, et vient se matérialiser sous forme de livre imprimé pour répondre au besoin particulier d’un utilisateur (qui aime le papier, souhaite une lecture déconnectée, veut pouvoir le poser sur une étagère de bibliothèque, écrire dedans, ne pas devoir brancher quoique ce soit ou allumer quoique ce soit pour accéder au texte…)

Si on s’efforce aujourd’hui de fixer la définition du terme «  livre numérique  », c’est pour pouvoir décider d’étendre la définition du livre, et qu’elle englobe les livres numériques. Tout simplement parce qu’ainsi, tous les livres numériques seraient des livres, et seraient d’un seul coup : 1) concernés par la loi Lang, c’est à dire que leur prix demeurerait fixé par les éditeurs, avec un effet protecteur pour les libraires, 2) soumis à une TVA de 5,5%, taux accordé aux livres, mais pour l’instant, leur définition spécifie qu’ils sont «  imprimés  », et leur version numérique est vendue avec une TVA de 19,6%.

(illustration : un des livres de plomb d’Anselm Kieffer, photographié au Grand Palais en 2007.)

Un ciel normand

Dan Clancy, directeur de l’ingénierie chez Google, nous donne la vision de Google du futur du livre,  dans cette intervention donnée au Musée de l’histoire des ordinateurs à Mountain View. À  ceux qui s’inquiètent du rôle que pourront jouer les libraires dans un monde où va se développer progressivement le «  cloud publishing  », Dan Clancy envoie un signal qui se veut rassurant :

«  Mais aujourd’hui, les librairies physiques sont une part essentielle de l’écosystème du livre. Et en fait un nombre important de livres sont achetés parce que des gens vont dans des librairies physiques et disent «  hé, je veux celui-ci, je veux celui-là.  »

Et je pense que c’est une erreur de penser qu’à l’avenir, numérique signifiera «  en ligne  » et «  physique  » voudra dire «  off line  ». Parce que s’il advenait que 10% des livres passent au numérique, ce serait vraiment dur pour tous les libraires de maintenir leur modèle économique.

Une partie de notre modèle consiste à imaginer comment nous allons syndiquer à nos partenaires tous les livres récents que nous vendons,  de sorte que chaque libraire puisse vendre une édition Google et trouve un moyen pour que les gens puissent les acheter dans leur librairie «  brick and mortar  ».

Et en définitive, notre projet c’est que vous soyez en mesure de lire sur n’importe quel terminal. Notre projet c’est : quelques uns liront leurs livres sur un ordinateur portable, quelques uns les liront sur un netbook, et d’autres liront sur leur liseuse. Et nous allons travailler avec tout fabricant de liseuse qui veut faire en sorte de pouvoir recevoir ses livres du nuage de Google.

Ainsi, avec ces principes concernant un monde futur, nous sommes en train de construire un monde où il y aura de nombreux acteurs qui revendront des livres, lus sur toutes sortes de terminaux, mais cela sera encore hébergé dans le nuage. Et lorsque nous discutons avec des éditeurs et des libraires, je pense que c’est le bon modèle, parce que nous essayons de faire ce qui devrait être un modèle ouverrt qui encourage la concurence.

Autant de pierres jetées dans les jardins d’Apple et d’Amazon, qui mènent une stratégie bien différente, cherchant chacun à capturer des clients et à les retenir en leur proposant des solutions intégrées et propriétaires. Côté Amazon, une librairie numérique qui compte aujourd’hui plus de 300 000 titres, et une gamme de Kindle, seules liseuses capables de lire ces fichiers.  Côté Apple,  pas encore pour le livre de modèle équivalent à celui du couplage «  iTunes – iPod  » pour la musique. Il y a bien quelques livres dans l’App Store, mais le gros des catalogues est accessible via des applications comme Stanza, (créée par Lexcycle, racheté par Amazon…), qui proposent un accès direct aux livres numériques sans passer par l’App Store. Cependant les supputations vont bon train concernant la tablette Apple, qui devrait sortir à l’automne, et les projets d’Apple autour du livre numérique qui pourraient lui être associés. Et, pendant qu’Amazon nous fait prendre conscience à chacun, à travers un lamentable épisode orwellien, de la fragilité de ce que nous considèrions à tort comme nos «  possessions  » numériques, Google fait ami – ami avec les libraires, et tente de banaliser l’idée d’une forme de cloud-publishing respectant l’écosystème du livre, et en particulier ses acteurs probablement les plus vulnérables, les libraires.

Dan Clancy décrit un univers du livre numérique servi par un seul nuage,  celui de Google. De nombreux revendeurs, et des terminaux variés, certes, mais qui tous s’approvisionnent auprès du gros nuage de Google. Et si les éditeurs souhaitaient héberger eux-mêmes leurs contenus ? Et s’ils voulaient bien du «  cloud publishing  », mais à condition que la concurrence ne se limite pas aux revendeurs, mais qu’elle s’applique aussi à l’hébergement et à la distribution des livres numériques ?  Non pas un seul gros nuage, mais plein de petits nuages, comme ceux d’un ciel normand.