Premier binôme auteur-codeur au Labo de l’Édition : Sylvie Tissot et Olivier Boudot

photo (1)La plus souvent possible, je participe aux événements qu’organise le Labo de l’Edition. Le fait que le Labo soit situé à deux stations de métro de la place d’Italie où je travaille me facilite grandement les choses. Jeudi dernier, je n’aurais raté la soirée pour rien au monde, même si le Labo avait déménagé à Cergy ou  bien à Trappes, à Etampes ou à Dourdan… J’aurais pris le RER C, tout simplement, ce qui m’aurait bien préparée à une soirée toute entière consacrée à une belle réalisation éditoriale, associant  un livre imprimé et une application nommée : VuDuRERC.

À partir d’une idée qui a dû venir à l’esprit de bien des voyageurs, rêvant en regardant le paysage défiler à grande vitesse par la fenêtre du TGV, l’écrivain et mémorialiste Olivier Boudot avait déjà conçu et réalisé le livre : Paris-Lyon vu du train. De cette rêverie souvent interrogative (Que sont ces lieux ? Qu’y a -t-il derrière cette colline ? Est-ce que ce petit manoir est habité ? etc.), Olivier a décidé de faire le point de départ d’un patient travail d’enquête, qu’il décrit sur le site consacré au livre. Sylvie Tissot, informaticienne et chercheuse en informatique, réalise en complément du livre une application permettant de géo-localiser les pages du livre.

Autrefois, un trajet en train était une sorte de parenthèse temporelle, durant laquelle dominait une ignorance presque complète des régions traversées. Si en voiture les panneaux routiers permettent de relier facilement un emplacement donné à un point de la carte que l’on déplie, le voyage en train n’était documenté que par le nom des gares, et, dans le cas des TGV, celles-ci sont rares. De longues portions de trajet demeuraient « silencieuses », n’offrant d’autre repère que celui de la forme du paysage et des constructions.  Désormais, pour peu que la couverture 3G soit au rendez-vous, on peut suivre le déplacement du train qui nous transporte sur une carte, et trouver sur le web des informations sur les lieux traversés. Cependant on ne trouve pas « tout » sur le web.

La démarche patiente et passionnée d’Olivier Boudot et de son complice géographe Jean-François Coulais,  et le dispositif de mise en images du trajet, décrit ici, aboutissent à un objet éditorial singulier, un véritable guide de voyage, un livre qui est non seulement destiné à apporter au voyageur des renseignements, mais propose également une vision et raconte des histoires, qui se déploient aussi bien dans l’espace que dans le temps.

Après Paris-Lyon vu du train, Olivier Boudot publie Vu du RER-C, à partir d’un concept identique. Le livre est présenté ainsi :

vu-du-RERC« A mi-chemin entre le livre et le guide, Vu du RER C propose 256 pages d’une étonnante promenade le long de la ligne. Au menu : patrimoine architectural, culturel et touristique, balades et traversée des paysages. Vous rencontrerez également des artisans, des voyageurs et des cheminots, dont vous découvrirez les métiers. »

L’application, développée par Sylvie Tissot, et dont le design est réalisé par l’agence Nodesign, va au-delà d’un outil de géo-localisation des pages du livre. Le concept s’est développé dans deux directions, l’une qui documente le passé de l’Ile de France, l’autre le présent.

D’une part, il est possible d’accéder aux textes d’Olivier Boudot et de convoquer des images du passé, issues de différentes sources : collection de cartes postales anciennes de la ville d’Issy-les-Moulineaux, images de la médiathèque SNCF et de l’INA. D’autre part, les usagers de la ligne sont invités à ajouter leurs propres documents, et, via leurs APIs respectives, à échanger des messages Twitter ou à accéder aux horaires des prochains trains.

Chargé d’animer la communauté des utilisateurs de l’application, Omer Pesquer, connu par ailleurs  pour son engagement dans Muzeonum comme pour son superbe générateur de titres, utilise le compte twitter @vudurerc et le compte Facebook dont il donne le lien pendant son livetweet de la présentation :


Le prototype de l’application, téléchargeable ici, a été présenté lors de l’événement Futur en Seine, et financé par la région Ile de France.

La multiplication des parcours de lectures, la décision de proposer différents filtres pour l’accès aux différents éléments, conduisent à rendre disponibles un grande quantité d’éléments, qui viennent s’ajouter à ceux créés par l’auteur et déjà présents dans le livre. L‘identification, l’acquisition, le traitement et l’intégration des médias (vidéos, images, sons) consomment une très grande part du budget et du planning dans un projet multimédia interactif. La recherche de sources iconographiques, de gisements de données accessibles (de plus en plus nombreuses aujourd’hui avec le mouvement Open Data) est un préalable à de tels projets. Et le code est ce qui va permettre non seulement d’aller chercher les données, mais aussi  d’effectuer leur mise en écran, de leur donner une forme, et de régler les conditions de leur affichage.

Les auteurs/codeurs de VuDuRERC  ont su mettre les capacités des mobiles au service de l’imagination sans tomber dans le systématique, à travers une application fluide et sensible, poétique et ludique, qui n’est pas sans me faire penser à deux autres réalisations dont j’ai parlé dans ce blog :

– l’une proposée en 2008 par Penguin, dans le cadre de l’expérimentation We tell stories : on retrouve dans ce projet l’idée de géo-localisation, et celle d’une collaboration auteur / codeur .

– l’autre, j’en ai parlé cet été, c’est Hi, ce réseau social qui incite à écrire à partir du lieu où l’on se géo-localise. Pourquoi d’ailleurs, ne pas proposer aux concepteurs de Hi de permettre à leurs utilisateurs d’enrichir de leurs textes et photos l’application VuDuRERC ?

Il y en a bien d’autres, certainement, que n’ont pas fini d’explorer ceux que les cartes font rêver, tout comme ceux qui, en voyage, rêvent aux cartes autant qu’aux territoires. N’hésitez pas à les signaler en commentaire.

 

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De la poussière sur les livres numériques

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C’était pénible, aussi. Votre attachement, votre addiction à ces objets lourds qui prenaient la poussière, s’entassaient sur des étagères, petits ou grands, épais ou minces, blancs ou jaunis, colorés parfois, et le plus souvent décolorés.

C’était terrible, votre folie d’aimer savoir qui avait écrit quoi, cette manie de chercher sur la couverture le nom de l’auteur. Le pire, c’est que certains auteurs indiquaient également le nom d’autres auteurs dans les pages intérieures, vous conduisant à des découvertes, vous enfonçant toujours plus dans la dépendance, tissant des liens entre la couverture jaune et la verte, le gros livre penché et le petit à peine visible.

C’était affreux, d’être obligé en regardant les objets posés sur les étagères, de se souvenir des gens qui vous les avaient offerts, de votre plaisir lorsque vous les aviez achetés, des heures passées sous le tilleul à plat ventre sur une couverture, la première fois que vous aviez lu celui-là, et dans ce train qui n’en finissait plus d’arriver, la fois où vous aviez relu cet autre. Oui, vraiment horrible. Il allait bien falloir un jour se débarrasser de tout ça. Il faudrait bien un jour inventer autre chose.

Vous aviez bien essayé ces succédanés, ces objets qui portaient un absurde nom féminin, et qui commençaient à se répandre doucement, très doucement chez nous, plus vite ailleurs, ces petites machines qui, une fois apprivoisées, vous procuraient, disiez-vous, une expérience de lecture somme toute assez proche de celle des objets posés sur vos étagères. Peut-être étiez-vous assez nombreux à être, au final, plutôt indifférents à la matérialité de ces choses. Elle était là, simplement, cette matérialité, papier, colle, encre, pour permettre ce moment magique, disiez-vous, ce coup de talon sur le sol qui vous permettait l’envol. Les pages se tournaient, remontant le ressort qui bientôt vous enverrait très loin. D’autres attachaient bien plus d’importance aux objets, à leur forme, à leur aspect. Parlaient même parfois de la délicieuse odeur-de-l’encre-et-du-papier. Pas vous. Seul importait le texte, s’y engouffrer, à en oublier de respirer et bouger, à attraper des fourmis dans les jambes, des torticolis, pour être resté si longtemps suspendu aux pages. Parfois, donc, vous lisiez aussi à l’aide d’un objet électronique, à l’écran mat ou brillant. Souvent, c’était parce que vous voyagiez, et que vous ne souhaitiez pas porter de trop lourds bagages. Ou bien, vous tombiez – horreur – en panne de lecture à des kilomètres d’un lieu habité, et il vous suffisait de trouver un peu de réseau pour vous approvisionner, sans devoir attendre la prochaine virée en ville. C’est dire l’état d’intoxication où vous vous trouviez. Vous développiez ce faisant de nouvelles et détestables habitudes. Celle de quitter l’enclos du fichier pour vérifier en ligne l’origine ou le sens d’un mot, situer une ville sur une carte, et même poster une citation sur Twitter, avant de reprendre votre lecture.

Mais ce n’était pas la solution. Demeurait cette sale manie d’en revenir, toujours, à des objets horriblement figés. Cette obsession de vous enfermer dans ces espaces clos. Ce plaisir malsain de savoir que d’autres avant vous avaient lu ce texte, celui-là exactement, et que, peut-être, d’autres le liraient après. Cette erreur que vous aviez faite en entrant dans cette confrérie des lecteurs, mais vous étiez petit encore, à l’âge de vos premiers Club des Cinq, et personne ne vous avait mis en garde. Les liens que vous continuiez de tisser entre vos lectures, et, horreur, avec d’autres lecteurs. La confiance que vous faisiez, pauvre innocent, naïf lecteur, au bout de quelques titres, à cet éditeur – un éditeur ! – qui vous avait, disiez-vous, pour votre grand plaisir, emmené vers une contrée littéraire jusqu’alors inconnue de vous.

Non, il faudrait quelque chose de vraiment différent. Oui. Mettre un terme à tout cela. Ce repli sur soi. Ce temps passé, immobile, coupé des autres. Cette fréquentation de complets inconnus. Dont certains étaient morts, cela me fait peine de l’écrire. Il faudrait passer à tout autre chose. Quelque chose d’ouvert. Quelque chose qui permette la circulation, la rencontre, et l’oubli. Quelque chose d’anonyme. Quelque chose de mélangé à d’autres choses. Quelque chose de plus intelligent. Quelque chose qui vous connaisse. Quelque chose qui vous devine, qui vienne à votre rencontre. Qui ne se contente pas de singer les choses poussiéreuses posées absurdement sur l’étagère entre deux autres choses. Qui ne soit pas bêtement homothétique, stupidement apparenté au vieux monde en perte de vitesse. Quelque chose avec des algorithmes. Avec de l’intelligence, oui, mais de préférence artificielle. Il faudrait ouvrir ces trucs et gratter l’encre jusqu’à faire des trous dans les pages, il faudrait creuser dans les pages pour trouver le sens, mouliner les débris des pages dans de grandes machines à indexer, fabriquer des bases de données, il faudrait tout de même penser à fabriquer, bon sang, un jour, des bases de données.

Vous lisiez bien d’autres choses, aussi. Vous naviguiez des heures, lisant-écrivant sur le web inépuisable, rebondissant d’un site à l’autre, du français à l’anglais, absorbé parfois longuement. Lire longtemps sur l’écran ne vous dérangeait pas. Vous aimiez la rumeur du web, ses mélanges, ses territoires balisés et inconnus, les tressautements de l’hypertexte, les carambolages qu’il permettait, ses îles, ilôts, archipels, ses atolls et ses icebergs. Et vous aimiez que parmi ces ilôts, auprès des merveilles et des surprises du web, il soit possible d’identifier, de loin, des zones particulières, reconnaissables entre mille.

Vous aimiez vous dire que les livres s’étaient fait une place sur le web. Et que, numériques ou numérisés, bon nombre d’entre eux pouvaient demeurer des livres.

On allait bientôt s’occuper de vous.

 

 

 

 

 

 

 

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Hi : la carte et la narration

Je suis depuis quelques années le parcours de Craig Mod, à la fois ce qu’il dit, et ce qu’il fait. Et je suis un petit peu étonnée qu’Hubert Guillaud ne mentionne pas dans son billet, titré « Du livre au web : de l’édition électronique à la « web édition » » la dernière aventure de Craig Mod, la plateforme Hi, lancée en version sur invitation il y a quelques jours.

Il n’est pas très surprenant que Craig Mod ait choisi le site Medium pour publier un long article expliquant ce qu’est Hi. J’avais salué dans un post il y a presque un an l’arrivée de cette plateforme, à mi-chemin entre blog et magazine, une plateforme de publication pensée pour mettre en avant des contenus de qualité, en les rassemblant non plus dans un ordre anté-chronologiqe selon la timemline façon « fosse à bitume » des blogs, mais par thématiques.

D’ailleurs, le créateur de Hi et celui de Medium se connaissent, et Craig Mod remercie Ev Williams en tête de son article.

Mais qu’est-ce que Hi ? Je n’ai malheureusement pas pu l’expérimenter directement, une poignée d’invitations disponibles ayant été raflées très rapidement, et j’attends patiemment maintenant de recevoir la mienne. Je dois donc pour expliquer ce qu’est Hi me baser sur ce que montre le site, sur les explications de Craig et sur les commentaires de quelques blogueurs qui ont réussi à mettre la main sur des invits.

Hi semble s’inspirer de l’incroyable succès d’Instagram, en y injectant un peu de Foursquare, un brin de Twitter, et une petite dose de Blogger, le tout à la sauce… Medium.

Ce que dit Craig :
« Hi est une site web co-fondé avec Chris Palmieri qui vous permet d’associer un court texte et une photographie à un lieu. Nous appelons cela un moment. »

Il s’agit d’un « networked storytelling tool », un outil de narration connecté. Quoi de neuf ? Facebook n’est-il pas déjà un outil de narration connecté ? Sans doute un peu, mais le « storytelling » n’est pas l’idée principale de Facebook. Non, Hi est plus proche de Medium, parce que les « moments » qui le composent sont regroupés par lieux, et que la chronologie et les personnes (amis, followers ) y jouent un rôle plus faible.

Le pari est de partir de la simplicité d’Instagram, celle qui lui a valu d’être adopté par des millions d’utilisateurs en un temps record, avec la possibilité de documenter les images avec deux niveaux de texte : l’un très court, proche de la légende, et un deuxième niveau, plus long, auquel on accède en cliquant sur un bouton intitulé « tell me more ».

Dans Instagram, la possibilité existe de géolocaliser et d’ajouter un commentaire à ses photos.
Dans HI, la proposition est inversée : la possibilité existe d’ajouter une photo et du texte à sa géolocalisation. L’entrée, c’est le lieu.

La proposition séduira tous ceux qui ont rêvé sur des cartes, suivi du doigt les méandres des routes, rouges pour les grandes, jaunes pour les plus petites, à peine un filet noir pour les minuscules. Ceux – dont je fais partie – qui peuvent passer de longs moments à explorer Google Maps, à s’attarder sur des noms de lieux, à passer du mode graphique à la vue satelite.

Il est important, en lisant le long papier de Craig Mod, de se souvenir que Craig est aussi auteur et designer. Craig défend une idée de la création proche de celle de Godard pour le cinéma, Godard qui pourfendait les cinéastes qui ne travaillaient pas, qui ne s’exerçaient pas. Pour filmer, écrire ou peindre correctement, il faut filmer, écrire ou peindre chaque jour, il faut s’entraîner, il faut des milliers d’heures de pratique. Et Hi se veut un outil qui encourage les utilisateurs à écrire et photographier régulièrement, à pratiquer la photo et l’écriture chaque jour.

Le succès d’Instagram tient beaucoup à notre paresse : il est à la fois très facile de prendre une photo et de publier (clic, clic, et reclic), et très facile de consulter des photographies. Même s’il est possible de contempler longtemps une photographie, on en prend connaissance immédiatement, et on sait si elle nous plaît en un instant. On peut très facilement suivre quantité d’utilisateurs sans y passer des heures. Utiliser Instagram ne demande presque aucun effort, et prend très peu de temps.

En proposant l’ajout d’un texte court, puis en offrant la possibilité d’annexer un autre texte, celui-là plus long, à la photographie, et au point de géolocalisation, Hi engage son utilisateur dans quelque chose de plus chronophage, et de beaucoup plus exigeant. Penser que l’on va attirer, pour y pratiquer avec régularité l’écriture autour de lieux et de photographies, des gens sur une plateforme pensée pour cela est un pari audacieux. Parce qu’il existe déjà quantité de plateformes qui permettent cela, qu’il s’agisse de Facebook, de Twitter, de Tumblr, ou tout simplement des plateformes de blog traditionnelles comme Blogger ou WordPress. Le succès d’une plateforme tient à un subtil équilibre entre performance technique, qualités ergonomiques, pertinence de la proposition, vitesse d’adoption, exploitation de l’effet de réseau.

Craig Mod est passionnant, parce qu’il ne se contente pas de réfléchir au devenir du texte, des plateformes, des documents et de la publication. Auteur, designer, éditeur, conférencier, entrepreneur, mentor, Craig se situe à l’intersection exacte du monde de l’imprimé et de celui du digital, et il oscille en permanence entre la Silicon Valley où il réside, le Japon où il a vécu dix ans et où il retourne régulièrement, et New York.

Craig ne donne pas de leçons, il invente des solutions, conscient du fait que les formes de l’écriture et de la création numérique sont toujours en train de s’inventer.
Il interroge en permanence, dans ses écrits comme dans ses entreprises, la relation entre lecture et écriture, entre consultation et publication.

Ce que prend en compte son dernier projet, Hi, c’est l’apparition de la « vie extime », intermédiaire entre vie intime et vie publique, qui donne lieu à des formes de publication à la fois personnelles et génériques, qui ne relèvent pas de l’exhibition, mais plutôt de la reconnaissance du fait que nos vies se ressemblent en bien des points, et que c’est la manière de les raconter qui les rend éventuellement intéressantes.

HI – , comme Instagram ou Pinterest, est une proposition d’interaction, une invitation à partager instantannément ce qu’autrefois il était impossible de partager. On peut faire aujourd’hui bien des choses impensables autrefois. Pourquoi s’en priver ? C’est extraordinairement amusant de vivre dans une époque où de nouveaux outils sont inventés chaque jour, presque trop vite pour qu’on ait le temps d’apprendre à s’en servir avant qu’apparaisse l’outil suivant. Vous n’aviez pas encore apprivoisé Pinterest ? Voici Hi. Vous commenciez à vous sentir à l’aise avec Instagram ? Voici Vine. Voici Path.

Bien sûr, il y a derrière tout ceci de vraies bagarres, autour de jeunes start-ups qui veulent devenir grandes, ou bien se faire racheter très cher avant même d’avoir gagné leur premier dollar. Il y a aussi, derrière les succès de quelques plateformes, l’or de nos données personnelles, les secrets du marketing personnalisé, basé sur la revente de nos goûts et de nos préférences.

Par opposition, la force du livre imprimé se trouve non pas dans une prétendue « perfection » de l’objet, mais dans sa rusticité : l’anonymat de son acquisition et de sa lecture, la paisible évidence de sa possession et la liberté de son possesseur d’en disposer, l’absolue tranquillité de la lecture déconnectée, loin de toute sollicitation autre que celle voulue par l’auteur, portée par le texte lui-même.

Nous sommes les heureux contemporains d’une époque qui nous offre le meilleur du livre et le privilège de participer à l’invention d’un nouvel ordre des lectures et de la connaissance.

J’ai toujours du mal à suivre Hubert, par ailleurs toujours passionnant, lorsqu’il évoque le « basculement » de l’édition vers le web, comme s’il s’agissait d’un mouvement uniforme et inexorable, là où je vois un double mouvement :
– un effort concerté pour faire exister, avec toutes leurs caractéristiques, les livres sur le web – avec un format qui leur est propre, et des caractéristiques maintenues, non pas des caractéristiques physiques comme le skeuomorphisme le suggère, mais bien des attributs conceptuels, indispensables à la forme de lecture que le livre appelle,
– l’invention, directement sur le web, de nouvelles pratiques, de nouvelles manières d’inventer, de créer, d’échanger, de s’exprimer, qui ne sont pas ce qui va nécessairement succéder au livre, ou ce qui doit à coup sûr enterrer le livre, mais ce qui pourrait tout aussi bien le compléter, l’installer parmi d’autres pratiques.

Craig Mod participe des deux mouvements :
– Du premier mouvement, qui prolonge sur le web l’ordre des livres, lorsqu’il dévoile les secrets de la numérisation de son livre Tokyo Space, son choix du format EPUB, les astuces techniques pour créer un fichier adapté à chaque terminal – PC, tablette,smartphone, liseuse.
– Du second, lorsqu’il développe la version iPhone de Flipboard, ou dévoile son projet HI.

L’un des articles qui éclairent peut-être le mieux la réflexion de Craig Mod sur la « physicalité » du livre imprimé et l’intangibilité virtuelle de ses projets numériques est ici : il y raconte comment, à la fin de son expérience avec Flipboard, lorsque la version 1.0 de l’application sur laquelle il a travaillé a été chargée sur l’Appstore, il a voulu rendre tangible le travail réalisé avec son équipe sur ce projet, et qu’il a choisi pour cela de produire un… livre imprimé.

« Abstraitement, vous pouvez réfléchir au passage entre digital et physique comme à un passage entre non-clos et clos. A celui d’un espace sans coins explicites à un autre espace entièrement constitué de coins. »

C’est là une vision de designer, qui pense dans l’espace, et pour qui la définition du livre se rapporte à l’espace de celui-ci, qui se déploie d’un coin à l’autre de la page, puis d’un coin à l’autre d’un bloc de texte ou d’une image à l’intérieur de celle-ci. Sa pensée sur le livre est prise dans la trame invisible sur laquelle il positionne sa mise en page.

Et le plus beau cadeau qu’il a l’idée de faire à son équipe, avant de partir pour d’autres aventures, est celui d’enserrer entre les coins multiples d’un livre cadeau l’essence de leur expérience de quelques mois.

Il nous fait, à nous, des cadeaux successifs, en participant à l’invention d’un web qui encourage la créativité et réveille notre désir d’ajouter du sens à nos parcours, nos observations, nos voyages, nos flâneries. Bel été à tous !

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Toi aussi, tu peux écrire une nouvelle fin pour le dernier épisode de Gossip Girl

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Non seulement tu peux écrire une fin alternative au dernier épisode de la saison 3 de ta série préférée, ça, tu pouvais déjà le faire depuis longtemps, et la publier par exemple sur le site fanfiction.net, mais bientôt, tu vas pouvoir la vendre sur Kindle Worlds, annoncé aujourd’hui par Amazon.  Attention, il ne s’agit pas d’un nouveau canal d’auto-édition, mais bien d’un appel aux amateurs de fan fiction afin qu’ils adressent leurs écrits à Amazon. Afin d’éviter tous les ennuis juridiques pouvant découler de la réutilisation de matériel protégé par le droit d’auteur, Amazon a conclu un accord avec les ayants droit de ce qui est désigné par le terme « World », et que l’on traduira par Univers. Pour l’instant, Amazon a signé avec Alloy Entertainment, la société qui détient les droits des séries Gossip Girl, Pretty Little Liars, Vampire Diaries, un accord selon lequel les amateurs de fan fiction peuvent utiliser sans crainte d’être attaqués en justice chacun des univers de ces séries pour inventer de nouvelles aventures, des suites, des fins alternatives etc. Les histoires ainsi produites sont vendues, et auteurs comme ayants droit sont rémunérés. La part de revenu versée à Alloy Entertainment n’est pas indiquée, l’auteur quant à lui touche 35% du prix de vente au public pour les titres qui dépassent 10 000 mots, et 20% pour ceux inférieurs à cette longueur. Et aussi, il faut le noter, les auteurs de ces fan fictions cèdent tous leurs droits à Amazon, pour la durée du copyright, et pour le monde entier.

Amazon ne publiera pas systématiquement tous les titres qui lui seront adressés, se réservant le droit d’écarter ceux qui ne correspondent pas aux « Content Guidelines », qui sont les suivantes :

  • Pornographie : nous n’acceptons pas de pornographie ou de descriptions visuelles choquantes  d’actes sexuels.
  • Contenu choquant : nous n’acceptons pas de contenu choquant, ce qui inclut mais ne se limite pas aux injures racistes, aux éléments excessivement violents, ou au langage excessivement grossier.
  • Contenu illégal : nous prenons les violations de la loi et de la propriété intellectuelle très au sérieux. Il en va de la responsabilité des auteurs de s’assurer que leur contenu ne contrevient pas aux lois du copyright, des marques déposées, à la protection de la vie privée, et à d’autres droits.
  • Mauvaise expérience utilisateur : nous n’acceptons pas les livres qui fournissent aux utilisateurs une piètre expérience. Cela inclut pas exemple les livres mal formatés, les livres disposant de titres, couvertures ou description de produit trompeurs.
  • Usage excessif des marques : nous n’acceptons pas l’usage excessif de noms de marques ou l’inclusion de nom de marques en tant que publicité payante ou promotion.
  • Recouvrement : aucun recouvrement entre différents Univers n’est permis, ce qui signifie que votre œuvre ne peut inclure aucun élément issu d’un livre, fim ou autre,  protégé par le copyright venant d’un autre Univers que celui que vous avez initialement choisi.

Encore une fois, Amazon avance à grand pas. On sera attentif à l’accueil qui va être fait à cette offre par les amateurs de fan fiction, et on est assez bluffé de la manière dont Amazon prend les usages réels des auteurs de fan fiction au sérieux, pour bien sûr, on ne se refait pas, imaginer aussitôt des moyens de  monétiser ces usages. Seul un acteur de la taille d’Amazon était probablement en mesure de conclure de tels accords avec les ayants droit d’univers transmedia de renommée mondiale.

Amazon propose aux auteurs de fan fiction,  qui n’avaient rien demandé  et semblaient assez heureux sur leur petit coin de web, une rémunération, perspective à laquelle beaucoup d’entre eux auront probablement du mal à résister. Même si,  pour la plupart, les ventes seront très faibles et les revenus minces. Mais contrairement aux auteurs auto-édités, qui conservent tous leurs droits et à qui il faut, en cas de succès, si l’on souhaite signer un contrat avec eux, verser des à valoir qui peuvent très vite monter si plusieurs éditeurs s’intéressent au même auteur, les utilisateurs de Kindle Worlds se transformeront immédiatement en « machines à cash » en cas de très gros succès, directement au profit d’Amazon, qui n’aura absolument pas besoin de proposer le moindre à valoir, ni d’enchérir sur des propositions tierces – les droits auront été cédés dès le départ, droits mondiaux pour la durée du copyright : il fallait y penser.

Le fallait-il vraiment, à votre avis ?

 

 

 

 

 

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Hackathon de l’édition à New-York

Vous aimez coder, l’édition, les livres numériques, les métadonnées, les défis, les APIs et les pizzas ?  Vous étiez à New-York ce week-end ?  Alors vous vous êtes probablement retrouvé à l’espace de coworking The Alley, pour participer au Publishing Hackathon. Et si comme moi vous n’y étiez pas, mais que vous vous intéressez au numérique, et à ce qu’il fait ou pourrait faire aux livres, vous avez peut-être suivi le mot-dièse #pubhack et été scruter le site de l’événement.

paidContent en fait un court compte-rendu aujourd’hui, et ça tombe bien parce que je veux faire un billet court, je vais faire des billets plus courts maintenant, pour essayer d’en écrire plus souvent, je suis tellement triste de voir ce blog abandonné, où personne ne tond plus la pelouse, ni ne taille la haie, ni ne repeint les volets…

PaidContent ( vous imaginez en France un site qui s’appellerait « contenu payant »… succès assuré…  mais Laura Hazard Owen est à mon avis l’une des journalistes les mieux informées et les plus compétentes dans le domaine du livre numérique…), paidContent donne la liste des 6 finalistes (sur 30 équipes, soit 200 participants, beau succès) :

  • BookCity : un moyen de trouver des livres adaptés à votre destination de voyage.
  • Captiv : vous recommmande des livres en fonction de votre activité sur Twitter.
  • Coverlist : une solution qui se consacre à la navigation parmi les visuels de couverture de livres.
  • Evoke : une manière de découvrir des titres de littérature jeune adulte en naviguant parmi les titres par émotions : « Les lecteurs peuvent indiquer s’ils préfèrent être inspirés, mis au défi, amusés, ou informés tout au long de leur prochaine lecture, sur la base d’un contenu généré par un « audience en commun ».
  • KooBrowser : pratique la recommandation de livres sur la base de vos habitudes de surf sur le web.
  • LibraryAtlas : une solution de découverte de titres basée sur la géolocalisation.

Eric Hellman, qui y a participé, donne une liste complète des projets et détaille le sien sur son blog. Il écrit également, et je conclurai ainsi ce billet, dont j’ai annoncé qu’il serait court :

« Il est intéressant de noter que sur 30 projets, seulement 3 concernent les livres numériques, ce qui me semble un peu idiot, si l’on considère l’importante transition que vit aujourd’hui l’industrie du livre, du papier vers le numérique. Ce qui domine ce sont les applis (7), les sites web (21), et c’est en partie dû au fait que le thème du hackathon était la découverte des livres, mais cela en dit aussi un peu sur l’univers des nouvelles technologies. Ce à quoi les entreprises technologiques s’intéressent aujourd’hui, c’est aux applis, et aux sites webs, pas aux livres numériques. Vraiment, la communauté issue du monde de l’édition qui travaille sur le développement de livres numériques et des standards du livre numérique devrait s’adresser plus fortement aux développeurs : ce hackathon a été un premier pas. »

 

 

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Goodreads, Amazon, et le « digital labor »

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L’achat du réseau social dédié à la lecture Goodreads par Amazon a suscité toute la semaine de nombreuses réactions, pas mal de supputations sur le prix payé par Amazon, et de nombreuses questions.

Pour ceux qui ne connaissaient pas Goodreads, il s’agit d’une sorte de Babelio, mais américain. Et pour vous qui ne connaissez pas Babelio, en quelques mots, il s’agit d’un réseau social de lecteurs : chacun peut y cataloguer, commenter, citer, taguer les livres qu’il a lus, et consulter les critiques des autres lecteurs, découvrir des lecteurs possédant des bibliothèques ressemblant à la sienne. J’avais écrit, lors de l’ouverture de Babelio, un long billet à l’occasion de la saisie d’une partie de ma bibliothèque

Depuis, je suis de près la progression de Babelio, avec qui de nombreux éditeurs travaillent. Régulièrement, des opérations permettent aux utilisateurs du site de recevoir des titres envoyés par leur éditeur, en échange d’une chronique. Et Babelio fait également un travail important avec les métadonnées, faisant converger vers ses pages tout ce qui peut être trouvé sur le web qui va documenter les livres et les auteurs catalogués sur le site : vidéos, interviews, articles de presse.

J’ai entendu récemment la directrice d’une collection de littérature réputée dénigrer Babelio. « Pensez-vous, des critiques écrites pas les gens, par n’importe qui, des « j’aime-j’aime pas », c’est vraiment affreux… » Elle m’a semblée aussi pompeuse que ce jeune étudiant interviewé pour le journal télévisé au moment du lancement des premiers livres de poche…

Non seulement « les gens » lisent, mais voilà qu’ils écrivent à propos de leurs lectures, comment osent-ils ?

Une réflexion critique émerge, d’une toute autre nature, concernant les sites comme Goodreads, Babelio, Shelfary ou LibraryThing, par exemple chez Lisa Nakamura professeur au département Culture Américaine et au Département Cultures et arts de l’écran à l’université Ann Arbor (Michigan) :

 » Goodreads transforme le lecteur en travailleur, en producteur de contenu, et en cela il confie le travail de la lecture et de la mise en réseau à la foule. Dans les temps anciens du livre imprimé, les livres coûtaient quelque chose, et parler des livres avec des amis était gratuit. Aujourd’hui, les livres sont gratuits sur Google Books et Internet Archive et, à la grande consternation des éditeurs, sur les réseaux comme Pirate Bay ou Media Fire, mais nous payons pour constituer des communités de lecteurs comme Goodreads. Nous payons avec notre attention, notre capital de lecture, nos LOLS, nos classements, nos conversations, nos remarques sur le récit les personnages ou la tradition littéraire. »

Antonio A. Casilli reprend et explicite sur son blog la notion de « digital labor », et on y accède aussi au podcast d’un Place de la Toile dédié à ce sujet, dont il était l’invité. Cette notion de « travail gratuit » réalisé par les utilisateurs de nombre de sites de médias sociaux est centrale dans le très intéressant rapport dit Colin et Collin, dont le titre n’encourage guère le profane à la lecture : « Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique ». C’est un billet de Christian Fauré – billet critique – qui m’a fait dépasser le petit blocage lié au titre, et je n’ai pas regretté cette lecture. Il est dit notamment, comme en écho avec le passage cité de Lisa Nakamura :

« La collecte des données révèle le phénomène du « travail gratuit ». Dans l’économie numérique, tout laisse des traces. Du fait du suivi régulier et systématique de leur activité en ligne, les données des utilisateurs d’applications sont collectées sans contrepartie monétaire. Les utilisateurs, bénéficiaires d’un service rendu, deviennent ainsi des quasi-collaborateurs, bénévoles, des entreprises. Collectées, stockées et traitées pour être intégrées en temps réel à la chaîne de production, les données issues de leur travail gratuit contribuent à brouiller la frontière entre production et consommation. Attirés par la qualité des interfaces et les effets de réseau, les utilisateurs deviennent, à travers ces données, des auxiliaires de le production et créent une valeur générant des bénéfices sur les différentes faces des modèles d’affaires »

Le brusque rachat de Goodreads par Amazon fonctionne, à l’instar de l’arrêt annoncé de Google Reader, comme un rappel à l’ordre. L’utilisateur qui a catalogué sa bibliothèque, s’est lancé dans de longues conversations en ligne, a enrichi Goodreads de centaines de chroniques, vaguement conscient de contribuer à créer une puissante communauté, s’aperçoit qu’il va désormais renforcer, par ses contributions, non plus une sympathique start-up, toujours prête à partager ses données, mais l’un des 5 méga-entreprises qui se partagent la possession de nos vies numériques : Amazon (les quatre autres étant Google, Facebook, Apple et Microsoft).
Quant au malheureux (ou la malheureuse comme moi… ) qui faisait confiance à Google Reader, il/elle va devoir lui trouver d’ici juin un successeur, mais demeurera troublé(e) : n’importe lequel des services qu’il/elle utilise au quotidien, qui font partie de son environnement de travail, peut disparaitre, sans recours possible.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce rachat, qui confirme une fois de plus une évolution extrêmement rapide de l’écosystème du livre depuis l’avènement du web, évolution qui va bien au delà de l’apparition du livre numérique, mais peut toucher tous nos livres et toutes nos lectures : la manière dont nous les trouvons, les choisissons, dont nous les achetons, dont nous en parlons. Une industrialisation qui inclut le lecteur, engagé volontaire dans un processus dont il n’a le plus souvent qu’une idée vague. Si ce rachat éclaircira les idées de quelques uns, il donne surtout à Amazon une nouvelle fois quelques longueurs d’avance sur ses compétiteurs. Des longueurs dont personne, vraiment personne n’avait besoin.

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Le livre : en danger, ou dangereux ?

dressUn peu comme quand je m’achète une nouvelle robe et que j’ai envie de la mettre tout de suite, sans aucune autre raison que le désir de l’étrenner, me voici écrivant un billet simplement parce que je viens de passer quelques heures à faire une mise à jour de ce blog que je retardais depuis des mois. Pour inaugurer la nouvelle robe de teXtes, je me suis livrée à un exercice que j’aime bien, qui consiste à vous traduire un extrait d’un texte qui m’a intéressé. À vous, plus tard, si le cœur vous en dit, d’aller voir l’original en anglais et de lire le texte complet.

Cette fois-ci, il s’agit d’un extrait tiré d’un long texte de Richard Nash, Richard que j’avais déjà traduit du temps où il tentait de lever des fonds pour le site Red Lemonade, avant de décider de continuer à suivre ce projet en mode « non profit » et de rejoindre la start-up Small Demons, l’une des réalisations les plus abouties que j’ai vues parmi les nombreux sites qui se proposent de nous aider à découvrir des livres.

Le texte de Richard, intitulé « On the business of littérature« , est paru dans la Virginia Quarterly Review, et propose un long voyage dans le temps avec les livres, ainsi qu’un bref rappel de l’histoire du copyright. Mais c’est un passage singulier que j’ai eu envie de traduire, parce qu’il rejoint une idée que je partage, et que l’on pourrait résumer ainsi : « Non, le livre n’est pas en danger. En réalité, c’est le livre qui est dangereux. »

« Il y a quelques années, j’ai rencontré le gourou des jeux vidéos Kevin Slavin, un homme qui pourrait être considéré comme un « ennemi » [des livres]. À la fin de notre rencontre autour d’un café, il est resté silencieux quelques secondes et a dit ensuite que ce que les livres et les jeux avaient en commun, c’était que les uns comme les autres récompensent l’itération. Plus vous jouez, plus vous lisez, plus vous vous perfectionnez, et plus vous prenez de plaisir. Ce qui , une fois intégré dans mon mode de pensée, donne : dans un jeu vous vous demandez quelle porte vous allez traverser ; dans les livres vous vous demandez à quoi pensait tel personnage en franchissant cette porte.. Il vous faut imaginer la couleur de la porte, son matériau, comment est sa poignée, si celle-ci est chaude ou froide au toucher de celui qui l’ouvre.

L’absence de vidéo, le manque de son, l’impossibilité de modifier les rebondissements de l’intrigue ( ce que l’on dénomme assez sommairement « interactivité »), est une caractéristique de la littérature, et non un bug. Et, en réalité, les livres sont interactifs. Ils contiennent des recettes destinées à notre imagination. À l’inverse, la vidéo est restrictive – elle vous montre à quoi ressemblent les choses, vous fait entendre le son qu’elles produisent.

Les livres ont résisté aux changements apportés dans la manière de raconter des histoires, qu’il s’agisse du cinéma ou de la télévision. Et les livres ont eux même été des agents de disruption à de nombreuses reprises, ébranlant l’église de Rome et l’aristocratie française, l’establishment médical du moyen-âge puis celui du dix-neuvième siècle. Et donc, cette croyance bien installée aux confins de la Silicon Valley, que les jours sont comptés pour des formes de narration longues constituées uniquement de texte ( en témoigne le scepticisme de Tim O’Reilly dans son interview avec Charlie Rose, ou les continuelles références aux voitures tirées par des chevaux, ou le nombre de plateformes multimédia développées en vue de remplacer le livre) cette croyance est à la limite du ridicule. »

La vidéo, pas plus que le cinéma, n’est restrictive : ce que Richard veut dire, et il aime le cinéma, c’est qu’elle ne constitue pas un « progrès » par rapport au texte. C’est qu’elle ne vient pas compléter un handicap du pauvre-texte-privé-d’image-animée-et-de-sons. C’est que le texte n’a pas besoin d’images et de sons, parce qu’il les convoque dans notre imagination. Le texte s’étend dans notre esprit, le cinéma y pénètre, les deux, chacun selon des modalités bien différentes, nous emmènent hors de nous, hors du temps, hors du lieu où nous lisons et regardons.

Dans un tout autre registre, on passe d’une parole d’éditeur à la parole d’un auteur, le beau texte de Mahigan Lepage, « écrire, c’est courir sur un cri », refuse l’assignation de la littérature à un support, tout en affirmant que, bien sûr, le support n’est pas indifférent. Il faut lire les sept séquences, il faut commencer par le début, par l’enfance en Gaspésie, pour comprendre d’où vient le cri, pour comprendre pourquoi il faut courir.

« Je dis que le cri n’a pas d’ancrage. Cela ne veut pas dire que le support soit insignifiant. De nouvelles formes naissent de nouveaux supports. Un cri lâché sur Twitter aura certainement une forme plus fragmentée qu’un cri comme On the road de Jack Kerouac, lancé sur un rouleau de papier ininterrompu, sans sauts de paragraphe, avec le son de mitraillette de la machine à écrire. On commence à les voir émerger les nouvelles formes, souvent brèves et non linéraires, mêlées de son et de vidéo, que le numérique suscite.

Et un même texte peut passer du blog, au livre numérique, au livre papier, à une lecture à haute voix, puis revenir au blog sous forme sonore ou vidéo. Il n’y a pas de limite.

Le cri n’est pas assigné. Et cela veut dire aussi, enfin, qu’il n’appartient à personne. Le cri n’est pas le fait d’un sujet, qui pourrait s’en revendiquer. Quand on crie de colère, ne dit-on pas qu’on ne se possède plus ? Le cri défait l’identité de la parole avec un locuteur. Le cri, ce n’est pas nous : c’est la colère qui passe à travers nous.

Qu’est-ce qui fait que certains crieront, et d’autres pas, je ne sais pas. Peut-être que certains en ont besoin, d’autres non. Peut-être que certains le peuvent, et d’autres pas. Qu’est-ce qui fait que ça nous arrive et nous traverse ? C’est un rugissement. Ça nous prend et on n’est plus maître. Et c’est peut-être cela qui fait le plus de bien : on est libéré de son moi-même. Même si on parle de soi, même si on reste proche de l’expérience (et il le faut), il reste que pendant qu’on écrit, on ne pense plus à ses petits problèmes. Les petits problèmes, les pensées, c’est toujours la même chose : comment moi je vais me défendre contre le monde. Soudain, on ne se défend plus. On ne pense plus. On est hors de soi. On court sur un cri. »

 

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Le travail d’un éditeur, selon Hugh McGuire

Hugh vient de me donner son accord, et je l’en remercie,  pour que je publie la traduction que j’ai faite de son article, « A Publisher’s Job Is to Provide a Good API for Books » paru hier sur le blog « transforming publishing ».

Le travail d’un éditeur, c’est de fournir de bonnes APIs pour ses livres.

par Hugh McGuire Voici une affirmation radicale : Le travail d’un éditeur, c’est de fournir de bonne APIs pour ses livres. Maintenant que presque tous les livres existent en version numérique, les bons éditeurs du futur sont ceux qui fourniront de bonnes APIs. Dans cet article, je vais explorer – pourquoi je considère que les éditeurs doivent fournir de bonnes APIs – pourquoi c’est vraiment plus simple et moins effrayant que ce que vous pourriez penser. – pourquoi le bon vieil index pourrait être le point de départ des APIs de livres.

Qu’est-ce qu’une API ?

Une API c’est un ensemble d’outils/protocoles qui permettent à différents éléments logiciels de communiquer les uns avec les autres, sous certaines conditions. Comme l’indique Terry Jones : “Tout comme une interface utilisateur donne à des humains accès à l’information, une API donne accès à cette information aux logiciels.” Voici quelques exemples d’APIs avec lesquelles vous êtes déjà probablement entrés en interaction : –  Si un jour vous avez  indiqué avoir aimé un site dans Facebook, vous avez utilisé une API –  Si vous utilisez une application mobile ou un logiciel dédié pour lire et poster sur Twitter, vous utilisez l’API de Twitter –  Si vous avez déjà payé quelque chose avec Paypal,vous avez utilisé une API –  Si vous avez utilisé une application vous montrant une carte, vous avez utilisé une API. Il existe une autre manière de se représenter une API : une API permet à un service d’utiliser les données d’un autre service, selon des modalités bien définies.

Quel rapport avec les livres ?

Quel rapport avec les livres ? Les livres évoquent des émotions, inspirent des réflexions, contiennent et véhiculent des idées. Mais ils contiennent aussi de l’information (“data”). Ils sont, si vous préférez, faits de données. Une photo numérique, un film que vous regardez en streaming, un mp3 que vous écoutez sur votre iPod : ce sont des objets numériques faits de 0 et de 1, ils sont représentés comme des données. Nous y accédons grâce à la technologie. Les livres, et spécialement les livres numériques, sont également faits de données. De 0 et de 1, mais aussi, en fait, de HTML. Si nous commençons à réfléchir aux livres en tant que données, alors le rôle traditionnel de l’éditeur commence à ressembler au rôle d’un fournisseur d’API : le rôle d’un éditeur est de gérer la manière et les circonstances selon lesquelles les gens (lecteurs) et certains services ( librairies, bibliothèques, autres ?) accèdent aux livres (données). Nous savons à quoi ressemble ce job dans le vieux monde du papier et des magasins en dur, et nous sommes presque sûrs de bien le comprendre également dans le monde de l’EPUB et du Kindle. Mais, alors que nous entrons dans un monde où le numérique va être prééminent, les éditeurs pourraient, et bientôt devront, commencer à réfléchir à leurs APIs- d’une manière qui va bien au delà du simple “envoyons nos livres aux libraires”. (Rassurez-vous,  je vais vous indiquer plus loin pourquoi cela ne sera pas trop inquiétant.)

Que fait un éditeur ?

Voici une définition historique d’un éditeur : Éditeur (n.m.) milieu du 15è s., “quelqu’un qui fait une annonce publique, nom de celui qui publie, (v.), La définition suivante :  “celui dont le travail consiste à mettre en vente des livres, des périodiques, des gravures etc.” date, elle, de 1740. (Source: the Online Etymology Dictionary). Le travail d’un éditeur, c’est de rendre publique l’œuvre créée par les auteurs, et, couramment, mais pas toujours, de monétiser ce travail. Ce n’est pas un secret : le numérique change l’environnement dans lequel les éditeurs exercent leur travail. Les librairies physiques sont en voie de disparition, les ventes en ligne augmentent, et les barrières à la publication, spécialement en ce qui concerne les livres numériques, ont déjà disparu. Dans ce monde où l’offre de livres explose, et où l’espace de vente physique des livres diminue, le travail qui consiste à “rendre public” commence à ressembler à quelque chose de vraiment différent. Quelques un des mécanismes selon lesquels les éditeurs atteignent leur but de “rendre public” des livres aux lecteurs et de les monétiser (à savoir : la production, la distribution et la vente) sont aujourd’hui accessibles aux auteurs eux-mêmes. Si les auteurs auto-édités peuvent faire de nombreuses choses que les éditeurs ont l’habitude de faire, alors trouver de nouvelles et de meilleures façons de “rendre public” les textes est ce qui va séparer les bons éditeurs des mauvais à l’avenir. Les meilleurs seront ceux avec qui les auteurs auront envie de travailler.Et un avantage que les éditeurs possèdent, et personne d’autre (même pas Amazon), c’est une connaissance précise du contexte et du contenu de leurs livres. Les éditeurs ont choisi leurs livres, les ont édités, corrigés, leur ont donné forme… Ils connaissent leurs livres de fond en comble. Cette connaissance devrait permettre aux éditeurs de mieux agréger l’intérêt porté à leurs livres. Le problème avec ceci, alors même que les éditeurs possèdent toute cette connaissance au sujet de leurs livres, est qu’ils ne savent pas vraiment comment partager cette connaissance, comment l’utiliser comme un moyen effectif de porter leurs livres à la connaissance d’un large public. Mais ce serait très facile pour les éditeurs de devenir meilleurs à cet exercice.

De quoi les éditeurs ont-ils une connaissance précise, exactement ?

Les livres peuvent être décrits de différentes manières : par leur couverture, leur nom d’auteur, leur titre, la liste de leurs chapitres, une description du livre. C’est ce que vous pourriez appeler les “métadonnées” ou bien “les informations que l’on communique aux libraires”. AAA l’intérieur du livre nous avons des mots et des phrases, peut-être quelques images. Et si vous regardez attentivement ces mots et ces phrases, vous pouvez définir un certain nombre de choses que vous trouvez dans ces phrases, telles que :
– des gens (véritables, ou personnages de fiction)
– des lieux (véritables ou de fiction)
– des époques, des dates.
Et il y a certaines autres choses que vous pourriez extraire :
– des concepts
– la référence à d’autres textes
– des citations de gens, de livres, d’articles, de films ou de chansons
– des exemples
Cette liste peut se prolonger encore et encore, et bien sûr dépend du genre de livre que vous produisez.

Et si je vous demandais de construire un index plutôt qu’une API ?

Si vous regardez la liste qui précède, particulièrement si vous produisez non pas de la fiction mais des livres scolaires ou des documents, vous êtes en train de hocher la tête et de dire : « … oui, c’est bien le genre de choses que nous mettons dans un index. »Et vous avez raison : un index est une sorte de “carte de ce qui se trouve à l’intérieur de votre livre, et de comment le trouver”. Un index, dans un livre papier traditionnel, est un outil fantastique pour savoir quel genre de choses se trouve dans un livre. Cela ne demande pas un gros effort de transformer un index lisible par un être humain en un index lisible par un ordinateur, ce qui en fait, plus ou moins, une API. (C’est ainsi que fonctionnent les moteurs de recherche : ils “indexent” chaque mot d’une page HTML, et chaque page d’un site, et ils fournissent une API qui permet aux gens et aux programmes de trouver des choses.)

Dans le cas des livres imprimés, la manière habituelle d’indexer un livre est de dresser la liste de ce qui vous semble important (les gens, les lieux, les dates, les références, les concepts etc.) et d’indiquer au lecteur à quelle page il pourra retrouver ces éléments. Vous imprimez cette liste et les références de pages et vous l’ajoutez à la fin de votre livre. Dans le cas des livres numériques, un (bon) index fera quelque chose de tout à fait différent : il listera les gens, les places, les concepts etc… et il les fera pointer directement vers l’endroit où ces items apparaissent dans le texte, via un lien, car les numéros de page n’ont pas beaucoup de sens pour les livres numériques. Donc, dans un livre numérique, qui, après tout n’est rien d’autre qu’une série de fichiers HTML avec quelques petits trucs en plus, une entrée d’index est associée à une ancre située à l’intérieur du fichier HTML, là où l’entrée apparait.   Ainsi, vous avez un texte qui dit  :

 

et le balisage HTML de la page, qui vous permet de lier votre fichier d’index est :

 

À la fin de votre livre numérique, qui possède une liste correspondante d’items reliés à votre ancre dans le corps du texte qui ressemble à ça :
Le fichier HTML/page sera une liste de liens qui pointent vers l’intérieur de votre livre là où apparaissent les entrée de votre index. Ajoutez un peu de données sémantiques, remuez, et vous vous êtes dotés d’une API – ou du moins une carte à partir de laquelle bâtir votre API. Si au lieu de simplement faire un lien vers une ancre au niveau de votre index, vous passez un peu de temps supplémentaire pour ajouter quelques données, vous pourriez faire quelque chose comme ceci, qui spécifie qu’à cet endroit précis du texte, vous avez défini une personne nommée John Smith
et vous pourrez également mentionner le fait qu’un élément du texte est un lieu de la manière suivante :
Et plus loin, vous pourrez tagger des concepts comme ceci :

 

Si vous voulez être encore plus sympa, vous pourriez réaliser ce balisage sémantique en vous basant sur des schémas comme schema.org ou bien microformats. Cela vous permettrait, à vous et à d’autres éditeurs, de standardiser la manière dont vous parlez des “choses qui figurent dans les livres.” Maintenant, si vous faites ça avec votre livre complet, ou bien si vous le faites faire par quelqu’un d’autre, vous pourrez ensuite : a) générer un index (que vous auriez fait de toute manière) mais, et c’est bien plus intéressant, vous pourriez b) générer un index intelligent qui sait non seulement où apparaissent toutes les instances du terme “John Smith” mais : – où apparaissent tous les gens – où sont toutes les instances de gens nommés John – où apparaissent toutes les instances des gens nommés Smith – que “ma chère Granny Smith” est une personne et que “ma délicieuse Granny Smith” est une pomme Et maintenant, en lieu et place d’un simple index, vous avez une carte sémantique complète de votre livre, une carte qui a été juste un petit peu plus difficile à produire qu’un index standard que vous auriez réalisé de toute manière. Et alors ? Avec une telle carte sémantique vous avez l’amorce d’une API incroyablement puissante. Si en plus d’avoir une carte sémantique… vous avez également votre livre disponibles en ligne (derrière un accès payant ou non) cela signifie que vous pouvez rendre cette API/carte sémantique  accessible au monde enter, (gratuitement, ou bien à certaines conditions commerciales) et dire : je vous en prie, trouvez de merveilleuses idées pour utiliser le contenu de mon merveilleux livre !

Qu’est-ce que le monde va bien pouvoir faire avec votre API ?

Voici quelques unes des choses que vous aimeriez peut-être que les autres (ou bien vous mêmes) réalisent avec votre API : – extraire une liste des personnages dans le livre, et donner à chacun d’entre eux une petite biographie. Rassembler ces biographies dans un “guide biographique”. – Extraire une liste de localisations dans le livre et les placer sur une carte – Extraire les 500 mots autour de chaque apparition du concept “existentialisme” … parmi tous les livres édités par des éditeurs qui ont rendu disponibles leur carte sémantique, et trier par décennie, influence, ou nationalité de l’auteur – Construire une frise chronologique indiquant où se trouvent les différents personnages à différentes périodes du récit. – Faire pointer cette frise chronologique vers une carte – Construire un outil de navigation permettant aux utilisateurs d’explorer un livre par ses personnages, ses lieux, ses dates, ses concepts. Vous pourrez également vouloir publier cette carte sémantique sur le web, ainsi Google et d’autres moteurs de recherche auront une compréhension détaillée de ce qu’il y a dans votre livre, et ainsi lorsque des gens rechercheront un type précis d’information qui apparaît à la page 119 de votre livre, le moteur sera capable de pointer vers chez vous. Il y a tant d’ « et cetera” ici, et nous venons à peine de commencer.  Nous pouvons déjà trouver quelques petits reflets de tout cela : – Small Demons extrait des gens/lieux/choses via une API, il demande aux éditeurs leurs fichiers EPUB afin de pouvoir parcourir les fichiers, et ensuite afficher les produits, les autres livres, les films et les musiques trouvés à l’intérieur des livres. – Dracula Dissected s’appuie sur le texte de Bram Soker, et permet d’y accéder par personnages, dates, lieux et vous pouvez ainsi explorer le livre de différentes manières. – Pearson’s FT Press API vous permet d’extraire de l’information de certains EPUBS et de faire diverses choses avec. – Wordnik.com extrait des phrases de définition de livres publiés par Simon and Schuster et les utilise comme phrases exemples pour les entrées d’un dictionnaire. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements, aux premiers exemples. Nous n’avons encore rien vu. Nous allons en voir beaucoup plus parce que le travail d’un éditeur est de “rendre public” et qu’une API est précisément faite pour mettre les données en capacité d’être rendues publiques. C’est exactement ce à quoi elles servent. Nous allons en voir plus parce qu’il apparaît que faire des APIs pour les livres est quelque chose de facile.

Et ça va arriver comment ?

Des outils comme PressBooks, qui est un outil de production de livres nativement web, rend très simple l’ajout d’une indexation sémantique, ou bien vous laisse le faire à la main; où, plus efficacement, vous permet de combiner les deux. Sélectionner le texte que vous souhaitez ajouter à votre fichier d’index, ajoutez les métadonnées qui vont bien (est-ce une personne, un concept ?) et appuyez sur “go”. Le défi, c’est de faire un bon  fichier d’index, bien sûr, avec de bonnes métadonnées et selon un bon schéma. Nous savons bien maintenant faire des livres numériques. Voyons maintenant comment traiter la manière dont on peut relier les livres entre eux via des APIs. Y arriver n’est pas si difficile : la clé pour pour réaliser ces fameuses APIs , c’est ce bon vieil index. (Merci à Brian O’LearyLaura DawsonTerry JonesErin McKean, et Dac Chartrand, qui m’ont aidé à améliorer la première version de cet article.)

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et les pages tomberont comme de la cendre

these pages fall like ash’, c’est le titre de l’un des  projets annoncés aujourd’hui par l’organisme anglais REACT (Research and Entreprises in Art and Creative Technologies), qui rassemble des chercheurs universitaires, des entreprises et des artistes. Au sein de leur programme « Books & Print Sandbox », ils annoncent le financement de huit expérimentations, qui ne sont pas considérées comme des entités séparées, mais forment une communauté de projet, et explorent le futur du livre et de la manière dont nous lisons, apprenons et publions.

« Comme toujours, Sandbox va apporter son support à ce groupe en tant que communauté, et cela inclut le partage, la porosité, et la contribution à la formation des idées les uns des autres. Il s’agit d’un laboratoire structuré pour l’innovation, qui comprend des blogs de recherche, des présentations, des événements « feedback »,  et un soutien technique. Un groupe de conseillers issus du monde de l’industrie apportera aussi son soutien dans le développement des idées et l’exploration des voies potentielles pour accompagner celles-ci  jusqu’à la mise en marché avec le soutien d’un consultant en développement d’affaires. »

Le site présente ainsi le projet These pages fall like ash :

« Le collectif d’artistes Circumstance et Tom Abba de l’Université du West England vont travailler avec les auteurs Nick Harkaway et Neil Gaiman pour explorer ce que le livre, l’éditeur et l’auteur peuvent devenir dans un projet orienté plateforme numérique. Ils vont proposer au public de participer à une expérience narrative, en accédant, modifiant et écrivant une histoire localisée qui explorera les possibilités de cette forme et subvertira les normes de l’édition traditionnelle. »

Le rapprochement entre auteurs / artistes / universitaires /entreprises me semble particulièrement intéressant, ainsi que cette vision d’une multiplicité de projets qui ne sont pas concurrents les uns avec les autres mais se développent conjointement dans l’échange.

à suivre… (on peut s’inscrire pour se faire à leur newsletter.)

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Vos prévisions pour 2013

Je vous ai interrogés sur Twitter pour connaître vos prévisions 2013 concernant l’édition et le numérique, vous promettant de commenter 10 de ces prévisions sur mon blog.

Je vais les commenter par ordre d’arrivée, la prime au plus réactif, à savoir Daniel Bourrion :

Prévision numéro 1 (Daniel Bourrion) : En 2013, les éditeurs traditionnels chasseront dans les blogs existants pour repérer des auteurs à intégrer dans leurs pools 2013.
Oui, en 2013, les éditeurs cessent d’ouvrir les lourdes enveloppes qui arrivent chaque matin au courrier. Au lieu de ça, ils affutent leurs agrégateurs, et s’abonnent aux mille et un blogs de la biblioblogosphère. Ils ne manquent pas une livraison des vases communicants. Lorsqu’ils découvrent un auteur qui leur plait, ils lui envoient un mail : j’aime beaucoup ce que vous faites, accepteriez-vous d’être publiés dans ma nouvelle collection ? Mais l’auteur ne leur répond pas. Parce qu’il s’est entraîné tout seul à fabriquer des epubs et qu’il vend désormais le recueil de ses billets à 2,99 € chez Amazon. Ou bien parce qu’il n’aime pas les éditeurs traditionnels (qui n’ont rien compris mais rien vraiment rien au numérique)  et a déjà signé un contrat moderne avec un éditeur pas traditionnel. Alors les pauvres éditeurs traditionnels sont obligés de se rabattre sur les pauvres auteurs pas modernes qui n’ont pas de blogs et envoient leur manuscrit par la poste.

Prévision numéro 2  (Daniel Bourrion) : en 2013, le prix Goncourt est décerné à un blog d’écrivain

Les débats ont été rudes. La vieille question de la définition du livre numérique a surgi dès le premier tour. On le sait grâce aux tweets de @bernardpivot, lors de leur déjeuner chez Drouant du 5 février 2013, les académiciens se sont mis d’accord sur celle-ci : « Un livre numérique est un livre, du moment qu’on peut le lire sur son Kindle. »  Ils avaient tous lu ce billet de François Bon, sur l’indication de Pierre Assouline, qui l’avait imprimé pour Edmonde Charles-Roux qui n’aime pas beaucoup lire des longs textes sur écran. Dès que cette définition a été connue, le nombre de blogs d’écrivains s’est mis à augmenter à grande vitesse. Certains ont adressé leur manuscrit presque terminé à des professionnels pour qu’il soit transformé en blog le plus vite possible. Je ne veux pas vous donner le nom de celui qui l’a finalement emporté, mais son éditeur a aussitôt proposé une version imprimée de son blog qui s’est vendue comme des petits pains, bien que le blog soit resté en accès libre.

Prévision numéro 4 (Luc Vigier) ; en 2013 le prêt de livres numériques se développe, ainsi que sa location.

Tout le monde a dit oui. Tout le monde. Les auteurs. Les éditeurs. Les bibliothécaires. Les collectivités locales. Le ministère. Et c’est parti. En 2013  les abonnés aux bibliothèques ont la possibilité d’emprunter beaucoup plus facilement et massivement qu’avant des livres numériques. Un super stress a disparu de la vie de quantités de gens : penser à rapporter leurs livres à la bibliothèque (ce qui veut dire d’abord : les retrouver dans la maison, j’étais sûre de l’avoir posé là, c’est ton frère qui l’a emmené chez Mamie, mince, il m’en manque encore un, c’était quoi déjà ?). Désormais, leurs livres numériques se rapportent tous seuls. Mais pour ne pas ce que ce soit trop brutal, un mail les prévient : dans deux jours, votre prêt arrive à échéance : désirez-vous le prolonger ?

Prévision numéro 5 (Luc Vigier) : en 2013 le web sémantique se développe. Désormais, vos phrases se finissent toutes seules.

Vous croyez que j’ai rédigé ce paragraphe ? Pas du tout. Je n’ai écrit que : « Vous croyez que… » et ensuite c’est ma nouvelle extension wordpress qui a pris le relais et s’est chargé d’écrire la suite. Sauf que là, maintenant, je la débraye, parce que j’aime aussi écrire un peu moi-même. Hubert, au secours, tu serais super sur cette prévision là, je sens que je vais aller traîner un peu sur La Feuille pour trouver des idées. Ou bien chez Christian. Lisez Christian Fauré, c’est des idées en veux-tu en voilà, et il utilise très peu l’écriture automatique, il est comme moi, il la débraye quasiment à chaque fois.

En réalité, les techniques d’écriture automatique ne semblent pas encore avoir atteint le degré de perfection espéré par ma paresse. Aujourd’hui les techniques de « content spinning » ne permettent pas de finir la phrase que vous avez commencée. Mais à partir d’une phrase « master », contenant une structure verbale et pour chaque mot de la phrase une liste de synonymes,  autorisent la production,  à partir d’une matrice, de plusieurs textes en agençant différemment les séries de mots proposé à chaque emplacement du texte. Le contexte d’utilisation du « content spinning » le place très loin des cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau et de tous les travaux oulipiens   : cette technique est en effet utilisée pour créer artificiellement des textes à partir d’un texte préexistant, et est destinée à tromper les robots des moteurs de recherche afin d’obtenir une meilleure indexation.

Sinon, pour comprendre ce qu’est le web sémantique dont parle Luc Vigier dans son tweet, il faut s’immerger dans les petites cases.

Prévision numéro 6  (Nevermore ) : En 2013, rares seront les éditeurs à garantir un accès numérique pérenne, librement cessible, à tout lecteur.

Voilà qui ne m’étonne pas de Nevermore, une prévision sophistiquée et un peu inquiétante. Si on le dit autrement, la plupart des éditeurs à qui vous achetez vos livres numériques ne peuvent vous garantir que vous y accéderez très longtemps, pas plus qu’ils ne peuvent vous autoriser à les revendre.

Parce que je n’ai pas le courage de me lancer sur le terrain très cahotique d’une analyse complexe (du type : quand vous achetez un livre numérique et que vous téléchargez un fichier, êtes vous propriétaire du fichier ou simplement d’une licence d’accès au contenu de ce fichier ? ), je proposerai plutôt une parade toute simple : achetez des livres imprimés. Ils seront à vous. Tout ce que vous pourrez craindre à leur sujet c’est qu’ils soient dérobés par des cambrioleurs, qu’ils disparaissent dans un incendie, tombent dans la baignoire, soient oubliés dans un train ou, plus probablement, qu’un ami très cher à qui vous les prêtez ne vous les rende pas. Vous pourrez les revendre si vous ne les aimez plus, ou bien si vous manquez de place chez vous. Aujourd’hui, des applications vous permettent de les mettre en vente sur le web en vingt secondes en scannant simplement leur code barre.

Noter tout de même que les éditeurs ne sont pas les seuls concernés par cette problématique. Certains revendeurs (parfois, on préfère ne pas écrire « libraires ») se sont illustrés dans leur capacité à intervenir sur la bibliothèque numérique de leurs clients sans leur demander leur  avis. D’autres ont fait faillite, sans possibilité pour leurs clients de conserver une possibilité de re-télécharger les livres achetés chez eux. Signaler  aussi : c’est l’un des axes de travail du projet MO3T, que de renforcer la pérennité de l’accès aux livres numériques.

Prévision numéro 7 (Cédric Naux) L’auto-édition fera une star et 1000 perdants

Cf prévision numéro 1

Prévision numéro 8 (Cédric Naux et Florence Trocmé)  : en 2013, les liseuses seront mises à mal par les tablettes, mais  resteront une niche pour gros lecteurs

Merci Cédric et Florence pour cette prévision qui reprend un des buzz de ces dernières semaines, et me rappelle la controverse du grille-pain, (un texte auquel je ne retirerais pas une virgule).

Une chose est certaine : aux Etats-Unis, le ralentissement de la progression de la part des livres numériques dans les ventes globales de livre a coïncidé avec les ventes de tablettes, et ce ralentissement s’est confirmé en 2013 : les gros lecteurs ont basculé les premiers, et se sont équipés massivement de liseuses. Ceux qui aujourd’hui s’équipent lisent moins, et préfèrent la tablette à la liseuse.

Lorsque un lecteur préfère s’équiper d’une tablette plutôt que d’une liseuse, c’est pour l’éditeur un défi plus grand : les livres, sur ces terminaux, sont en concurrence avec les jeux, les films, la musique, le web. Mais c’est aussi une opportunité : celle de pouvoir propose des livres en couleur dont le rendu était médiocre sur les liseuses, ainsi que des livres prolongés par de l’interactivité et des éléments multimédia. Maintenant, les liseuses possèdent des avantages qui les ont fait adopter par des millions de lecteurs : la légèreté, l’autonomie, le prix de plus en plus bas, la possibilité de lire au soleil. Il est possible que leur prix continue de baisser, et peu probable qu’elles disparaissent très rapidement. Puisque elles sont les compagnes des gros lecteurs, souhaitons leur longue vie. Et puis, elles portent un si joli nom ;)

prévision numéro 9 (Cédric Naux) : En 2013,  la distribution cherchera à sortir des griffes d’AGAK

Une prévision audacieuse serait : en 2013, la distribution réussira à sortir des griffes d’AGAK. (On se croirait dans Rudyard Kipling).  Les libraires, soutenus par les distributeurs et les éditeurs, se seront organisés pour développer un système très performant de vente de livres numériques offrant des avantages considérables si on le compare aux médiocres plateformes proposées par ces pauvres AGAK aux griffes usées. Toutes sortes de librairies numériques en ligne verront le jour, présentant, grâce à des métadonnées enrichies et des catégories détaillées,  une immense variété de livres numériques, pour tous les goûts, à tous les prix, lisibles sur tous les terminaux. C’est assez audacieux, d’accord. Pour les catégories détaillées : c’est possible dès maintenant, une nouvelle nomenclature enrichie est disponible sur le site de la CLIL. Pour le reste, on a dit 2013, il reste un (petit peu) de temps.

prévision numéro 10 (Cédric Naux) : en 2013, l’enrichi continue à se chercher un modèle

Je laisse tomber la fiscalité parce qu’autrement ça ferait 11 prévisions. (Ouf !).

Pour le livre enrichi, en 2013, avec l’arrivée massives des tablettes, nous verrons si :
– il existe une véritable appétence du public (autre que celui des tout petits) pour les livres enrichis ou augmentés, appelez-les comme vous voulez, (je ne peux pas non plus truster toutes les dénominations dans le domaine du livre numérique).
– il est possible de trouver des moyens de produire de tels livres à des coûts non prohibitifs
– les éditeurs se montrent dans ce domaine capables d’intégrer de nouvelles compétences, à même de mener à bien de manière régulière de tels projets, y compris en collaboration avec des start-ups spécialisées.
– de nouvelles générations d’auteurs ou des groupes d’auteurs multimédia apportent des projets tirant pleinement parti des possibilités d’un format comme l’EPUB 3, avec pertinence et talent.

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