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Espresso : un livre, tout de suite !

Il y a déjà presque deux ans que j’ai évoqué pour la première fois l’Espresso sur ce blog. J’ai eu l’occasion de la voir fonctionner à la foire du livre de Londres. La machine de démonstration, dont la carosserie tranparente permettait de suivre toute les étapes de la fabrication du livre, a tourné à plein régime pendant trois jours, et je l’ai filmée pour vous avec mon appareil photo.

Imaginée par Jason Epstein, cette machine est déjà installée dans plusieurs bibliothèques américaines, et dans quelques librairies. Capable d’imprimer en quelques minutes un livre à l’unité, elle offre potentiellement au libraire ou au bibliothécaire la possibilité de n’être jamais en rupture. Lorsqu’il ne dispose d’aucun exemplaire d’un livre, il peut proposer à son client d’en imprimer une version pour lui. Il faut pour cela qu’une version numérique de l’ouvrage soit disponible, bien sûr. On imagine aussi l’avantage qu’il pourrait y avoir à disposer de telles machines dans les établissements d’enseignement.

Qu’est ce que cette machine, sinon un photocopieur perfectionné auquel on adjoint un module qui effectue les opérations de façonnage, afin de transformer en livre ce qui, sinon, serait un tas de feuillets fort désagréable à consulter. Avec l’Espresso, l’objet livre apparaît comme l’un des moyens, et sans doute l’un des plus agréables, pour accéder à une œuvre de l’esprit. Sa simple existence, même si elle demeure assez rare, et si la preuve de sa facilité d’usage, et de la possibilité d’une adoption massive reste à faire, nous aide à ne pas demeurer centrés exclusivement sur le livre imprimé. Elle rend visible ce qui, confié aux imprimeurs, et réservé à des tirages justifiant la mobilisation et le réglage d’une machine offset, demeurait auparavant caché, contribuant à ôter au livre une part de son mystère : le moment de la fabrication, l’instant où le texte s’installe sur la page, et où les feuillets assemblées deviennent un livre. Un pas de plus vers la désacralisation du livre. Avec l’impression à la demande, le livre devient une forme possible, et pratique, pour quantité de documents qui ne se limite pas à des œuvres littéraires : manuel, cours, cataloge, album souvenir, album photo, recettes de cuisine, tout document d’une certaine longueur peut désormais adopter cette forme. Et cette nouvelle accessibilité de l’impression croisée avec toutes les possibilités offertes par les technologies numériques pour générer des contenus, les mixer, les personnaliser, ouvrent la voie à quantité d’objets nouveaux.

Ajout du 25/04/09 : ce reportage de BBC news sur la machine Espresso :

Mise à jour du 8 mai 2009 : Alain Pierrot me signale un excellent billet paru sur le blog if:book, tout entier consacré à une longue réflexion sur la machine Espresso, quelques semaines après son installation dans une librairie londonienne. À quoi bon fabriquer un exemplaire imprimé d’un livre, à l’ère des liseuses et de la lecture sur téléphone mobile ? Réponse de Sonja Drimmer : la Présence.

Nous sommes tous de petits éditeurs

Google conclut avec Sony un partenariat qui permet à Sony de proposer sur son site the ebook store from Sony 500 000 livres du domaine public en téléchargement gratuit. Les titres sont au format epub.

Google n’exclut pas de proposer à d’autres acteurs, «  partageant sa volonté de rendre accessible les livres  », le même accès à ses ouvrages. La guerre contre Amazon est déclarée ! Va-t-on continuer chez Amazon d’essayer d’imposer un modèle vertical (achetez chez moi, dans mon format, et lisez sur ma liseuse) ?

Ainsi s’agitent les géants, outre-atlantique, et ce n’est certainement pas fini :  il n’y a aucune raison pour que Google ne mette pas en vente prochainement des livres sous droits, s’appuyant sur l’accord conclu avec les auteurs et éditeurs américains.

De ce côté-ci de l’océan, la «  chaîne du livre  » tremble, discute et se rassemble au Salon du Livre. De l’espace «  lectures de dem@in  » aux Assises du Numérique, on essaye les liseuses, on s’interroge sur la définition du livre numérique, on s’inquiète pour les libraires, on fait le bilan de Gallica, on commente l’annonce faite par Gallimard et La Martinière, on se réjouit qu’il y ait du soleil et plein de monde tout de même Porte de Versailles, on parcourt les allées, on note que les lecteurs photographient les auteurs en signature avec leur portable, on feuillette de beaux livres qui ne donneraient pas grand chose sur un iPhone ou une liseuse, on déniche des pépites chez de petits éditeurs, et on se dit : «  Nous sommes tous de petits éditeurs  ».

Concurrence sur le marché du livre numérique, par Tim O’Reilly

L’éditeur Tim O’Reilly a rendu publics sur O’Reilly Radar divers commentaires qu’il avait précédemment exprimés dans une liste de discussion, en réponse à l’article de Robert Darnton, «  Google and the Future of Books  ». Dans cet article, paru dans la New York Revue of Books, Robert Darnton commente le  Google Book Settlement, le règlement issu de l’accord passé entre Google et les principales associations d’auteurs et d’éditeurs américains. Tim O’Reilly m’a gentiment autorisée à publier ici la traduction de son billet.
( ajout du 13/02/09 : pour une présentation de l’article de Robert Darnton, on lira utilement le billet d’Alain Giffard paru sur Ars Industrialis. )

Concurrence sur le marché du livre numérique par Tim O’Reilly – O’Reilly Radar – 25 janvier 2009

Il y a eu beaucoup de buzz sur les listes de diffusion des veilleurs du monde de l’édition ces derniers jours à propos de l’article de Robert Darnton paru dans la «  New York Review of Books  », Google and the Future of Books. Lorsque l’article a fait son entrée dans le hit de techmeme aujourd’hui, j’ai pensé qu’il serait peut-être approprié de partager plus largement les commentaires que j’ai faits sur la liste Reading 2.0. (liens ajoutés, corrections mineures) :

L’article de Darnton est éloquent, perspicace… mais Darnton se trompe. J’ai aimé son historique de l’idée de la lecture comme un vecteur de la diffusion des Lumières, du rêve américain, son amour évident pour la mission de  bibliothécaire, et son mépris inquiet pour les profiteurs qui limitent cette mission, mais il ne peut affirmer que le Google Book Settlement va étouffer la concurrence que s’il ne prête pas attention au fait que le marché du livre numérique est actuellement en train de décoller.

Il n’y a jamais eu plus de concurrence, dans le livre numérique, ou, de façon générale, pour le livre,  que dans la «  république numérique des lettres  ».

Il est peut-être vrai, au sens restreint, qu’aucune autre partie ne sera en mesure de se lancer dans un projet de numérisation de masse à l’échelle de celui de Google, mais cela était déjà le cas. L’obstacle a toujours été la volonté de dépenser beaucoup d’argent pour un faible retour. L’accord ne change rien à cela.

Cependant, l’accord ne pose absolument aucune barrière empêchant les éditeurs de proposer leurs propres versions numériques, et ceci, en fait, est en train d’arriver. Chez O’Reilly, nous vendons des versions numériques de tous nos livres sous forme de souscription (Safari Books Online, qui inclut également des milliers de livres proposés par d’autres éditeurs) , de téléchargement direct depuis notre site en format pdf, mobipocket et epub, et à travers des canaux de vente de livres numériques émergents comme le Kindle d’Amazon, Stanza ou l’iPhone app store.

Safari est maintenant notre canal de vente numéro 2, juste derrière Amazon. En même temps, pour son premier mois de mise en vente, notre titre «  iPhone, The Missing Manual  », disponible sous forme d’une application autonome pour l’iPhone (en fait, intégrée à Stanza), a atteint des niveaux de ventes qui l’auraient mis en tête des ventes de livres imprimés de la catégorie informatique, devançant tous les livres d’informatique en version imprimée cités dans Bookscan pour la même période.

Bref, il existe des motifs économiques puissants pour que les éditeurs produisent des versions numériques de leurs livres, et pour traiter Google Books seulement comme un canal de vente parmi d’autres. Si les chiffres d’affaires générés par GBS à travers les services autorisés par l’accord sont significatifs, de nouveaux titres seront commercialisés pour ce canal par les éditeurs. Mais il n’existe aucune raison pour que les éditeurs utilisent le canal Google au détriment d’autres canaux possibles. Google va devoir faire la preuve de sa valeur, comme  n’importe quel autre canal de vente.

Franchement, j’aurais été beaucoup plus inquiet si l’utopie que Darnton appelle de ses vœux s’était réalisée, selon laquelle le gouvernement aurait financé un service équivalent, exigeant la participation de tous les éditeurs. Cela aurait bien pu étouffer dans l’œuf toute velléité de concurrence dans le domaine des ebooks.

Les choses étant ce qu’elles sont, nous découvrons différentes approches concurrentes, pour amorcer ce marché. Je dirais que cela s’annonce plutôt bien.

Pendant ce temps, la république des lettres et la république des idées s’est en grande partie déplacée des livres vers des dialogues comme celui que nous menons ici, vers les blogs, les sites web et d’autres services d’information. C’est vivant et cela marche bien. Pendant que j’y suis, j’imagine que ma correspondance mail et mes écrits en ligne pourraient remplir cinquante volumes, tout comme le firent les lettres manuscrites écrites par Franklin, Jefferson, Rousseau et Voltaire que Darnton célèbre. Si seulement mes écrits (et ceux de centaines de millions d’autres) méritaient autant d’être préservés !
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Cela n’est pas pour dire qu’il n’y a pas des points sérieusement préoccupants dans le Google Book Settlement. James Grimmelman a écrit un article fantastique en novembre dernier :  principes et recommandations pour le Google Book Search Settlement, (Principles and Recommendations for the Google Book Search Settlement) qui devrait être lu par quiconque essaye de comprendre en quoi consiste cet accord et comment il pourrait être amélioré.

Résumé des principes (P) et des recommandations (R) -  (les liens renvoient à la section correspondante du document ).

P0 : L’accord devrait être approuvé
-  R0 : Approuvez l’accord.

P1 : Le Registre pose un problème antitrust
- R1 : Mettez des représentants des bibliothécaires et des lecteurs au Conseil du Registre.
- R2 : Demandez que le registre signe un engagement antitrust
- R3 : Donnez aux auteurs et aux éditeurs du futur les mêmes droits qu’à ceux d’aujourd’hui

P2 Si ce n’était pas déjà le cas, Google pose un problème antitrust
- R4 : Faites jouer la clause de nation la plus favorisée.
- R5 : Autorisez les concurrents de Google à offrir les mêmes services que ceux autorisés à Google, avec les mêmes obligations.
- R6 : Autorisez le Registre à négocier au nom des ayants-droit avec les concurrents de Google.

P3 :  Imposez des standards raisonnables de protection des consommateurs
- R7 : Interdisez à Google de pratiquer des prix discriminants dans la vente de livres à l’unité
- R8 : Ajoutez des garanties strictes concernant le respect de la vie privée des lecteurs.
- R9 : Interdisez que l’on demande à un lecteur qu’il renonce à ses droits en échange d’un accès.

P4 : Rendez les biens publics générés par le projet vraiment publics.
- R10 : Exigez que la base de donnée Google des livres disponibles/non disponibles soit rendue publique
- R11 : Exigez que la Base de données du Registre des ayants-droits soit rendue publique.
- R12 : Exigez l’utilisation d’API standards, des formats de données ouverts, et un accès sans restriction aux métadonnées.

P5 : Exigez la prise de responsabilité et la transparence
- R13 : Exigez que Google informe le public lorsqu’il exclut un livre pour des raisons éditoriales
- R14 : Précisez la définition des «  raisons non éditoriales  » d’exclure un livre.
- R15 : Permettez à toute institution prête à, souhaitant ou capable de participer à la numérisation des ouvrages de le faire.

J’en ajouterai une à ces recommandations : la recherche de livres devrait fonctionner comme la recherche sur le web tout court.  Étant donné les pouvoirs donnés à Google via cet accord, les recherches sur Google devraient obligatoirement présenter et classer les résultats concernant toutes les versions numériques des ouvrages qui sont disponibles en ligne, sans privilégier celles qui sont dans les archives de Google.

Je maintiens mon affirmation que le programme Google Book Search est une bonne chose pour les éditeurs, les auteurs et les lecteurs. Alors que l’accord donne effectivement à Google ce qui semble un pouvoir sans précédent sur le marché du livre épuisé mais toujours sous copyright, je ne suis pas certain que ce marché importe beaucoup aux éditeurs, alors qu’il importe BEAUCOUP au public. Et, dans tous les cas ;
1 – S’il y a une valeur significative à tirer des ces livres «  épuisés mais encore sous copyright  », GBS va faire remonter cette valeur à la surface, et devrait mettre ces ouvrages à portée de radar de ceux qui en possèdent les droits ( si ces ayant-droits existent encore). Ces parties pourront alors commencer à exploiter ces droits, en utilisant d’autres canaux disponibles.
2 – S’il est impossible de trouver les ayants-droit, on n’est pas dans une moins bonne posture qu’auparavant, parce que, de toute manière, il était alors impossible d’identifier la valeur économique de ces ouvrages. Donc l’accord Google est pire, disons, que de simplement réduire la durée du copyright, ou de rendre obligatoire la demande régulière de renouvellement du copyright, en permettant aux œuvres orphelines de rejoindre plus vite le domaine public, mais ce n’est pas pire que la situation qui prévalait auparavant, dans laquelle de toute manière personne d’autre que Google ne dépensait d’argent pour numériser ces œuvres.

Il n’y a pas moins d’incitations à numériser des œuvres de valeur qu’il n’y en avait auparavant, et on peut avancer que l’accord Google va mettre en lumière des œuvres qui pourront ensuite être diffusées de façon concurrentielle sur différents canaux numériques de vente, selon des procédures qui ne seraient pas arrivées sans cet accord.

(article original : Competition in the eBook Market - Merci à Tim O’Reilly d  »avoir autorisé la publication de cette traduction, et à Alain Pierrot pour sa relecture et ses corrections).

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Un des articles les plus commentés, suite à l’annonce du Google Book Search Settlement, le règlement issu de l’accord conclu entre Google et les deux principales associations d’éditeurs et d’auteurs américaines, est celui publié par Robert Darnton, Google and the Future of Books. Robert Darnton dirige le réseau des  bibliothèques d’Harvard, et est aussi un spécialiste mondialement reconnu de l’histoire du livre. Faute de pouvoir publier sa traduction, dont la New York Revue of Books a déjà vendu les droits, en voici un court extrait, (mais cela vaut réellement la peine de lire l’article en entier) :

«  … Google va bénéficier de ce qui ne peut être autrement appelé qu’un monopole — un monopole d’un nouveau genre, pas celui des chemins de fer ou de l’acier, mais celui de l’accès à de l’information. Google n’a pas de concurrent sérieux. Microsoft a renoncé à son grand programme de numérisation de livres il y a plusieurs mois, et d’autres entreprises comme the Open Knowledge Commons (précédemment the Open Content Alliance) et the Internet Archive sont de petite taille et inefficaces par comparaison avec Google. Google seul est assez riche pour numériser à grande échelle. Et une fois en accord avec auteurs et éditeurs, Google peut exploiter sa puissance financière à l’abri d’une barrière légale ; car l’action collective couvre l’ensemble des auteurs et éditeurs. Aucun nouvel entrepreneur ne pourra numériser de livres dans l’enceinte de ce territoire bien enclos, même s’il pouvait se le permettre, parce qu’il devrait reprendre à la base toutes les batailles de copyright. Si le protocole de règlement est confirmé par la cour, seul Google sera protégé contre des attaques en atteinte au copyright..  »

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Pour en savoir plus sur le Google Book Settlement :

- Le texte complet du règlement

Articles analysant et commentant le réglement :

- en français :

  • Olivier Ertzscheid : Le marché du livre comme algorithme
  • Pierre Mounier : Google investit la longue traîne du livre

- en anglais :

  • le site «  pureinformation.org  » propose une liste d’articles en relation avec l’accord.
  • l’ALA (association des bibliothécaires américains) a ouvert un site dédié à l’explicaion de cet accord.

Impression à la demande : quel intérêt de la proposer sur un site d’éditeur ?

Bookseller.com l’annonce aujourd’hui : Random House va commercialiser des livres en impression à la demande, sous la marque «  The Random Collection  ». Random va lancer un site dédié avec 750 premiers titres, d’autres viendront s’ajouter tout au long de l’année. Le site sera interactif, régulièrement mis à jour avec des sélections et des recommandations de l’équipe de Random House et des auteurs. Il sera doté d’un outil permettant aux libraires de faire des suggestions concernant les titres qu’ils aimeraient voir figurer sur Random Collection. Faye Brewster, Directeur des ventes du groupe, précise : «  Lorsque des revendeurs constatent que des clients leur réclament un livre de Random qui se trouve être épuisé, ils peuvent nous le signaler, et nous nous occuperons d’obtenir les droits pour les rendre disponibles sous cette forme.  »

Faber & Faber avait déjà lancé en juin un service identique, Faber Finds, s’assurant pour la création des couvertures de ces livres la collaboration d’une designer talentueuse, Karsten Schmidt, qui a conçu un système de création graphique basé sur un algorithme.

Joseph J. Esposito commente cette annonce dans Publishing Frontier en posant cette question, qui revient quasiment toujours dès qu’il s’agit de sites développés par des éditeurs : est-ce vraiment pertinent de proposer un tel service sous la marque «  Random House  », offrant uniquement des livres issus des marques détenues par le groupe ? Les lecteurs se soucient-ils de cette marque ? Qu’est-ce qui pourrait les attirer vers ce site ? N’est-il pas préférable que les éditeurs rendent leur livres disponibles en impression à la demande sur des sites agrégeant le plus grand nombre possible de maisons d’édition, et offrant un vaste choix ? Joseph écrit : «  RH, ou tout autre éditeur, font une grave erreur s’ils s’imaginent que les consommateurs vont venir sur le site RH.  »

Mais cette remarque est aussitôt mise en perspective par la suite de son article. Plusieurs raisons justifient en effet selon J.J.Esposito la décision de Random House. La première, c’est la nouvelle situation créée par l’accord conclu entre Google et les éditeurs et auteurs américains : avant cet accord, la ligne de démarcation entre les livres était clairement : livres du domaine public d’un côté, livres sous copyright de l’autre. Avec l’accord, la frontière s’est déplacée : les livres encore sous copyright mais en arrêt de commercialisation entrent dans la même catégorie que ceux du domaine public, en ce qui concerne le droit de Google de les faire entrer dans son programme Google Book Search, à ceci près que Google s’engage à reverser aux ayant droit une part des revenus provenant de ces œuvres. Le fait de mettre à la disposition du public des livres en impression à la demande ne permet plus de les déclarer «  non commercialisés  », et renforce la position de l’éditeur vis à vis de ses droits et de ceux de ses auteurs sur ces livres.

L’autre raison ne s’applique pas seulement aux livres proposés en impression à la demande, mais bien à l’ensemble des livres qu’un éditeur présente sur son propre site web. Là, Joseph J. Esposito explique que la diférence entre le monde physique et internet est très importante. Autant il est tout à fait absurde d’imaginer des librairies physiques proposant les livres d’un seul éditeur, autant, le fait pour un éditeur de disposer de son propre site se justifie. En effet, sur internet, le «  Barnes & Noble «  ( soit : le libraire ), c’est la première page de résultats d’une recherche dans Google. C’est dans Google que les consommateurs vont taper le titre du livre qu’ils recherchent. C’est ce que J.J.Esposito nomme de «  l’agrégation en temps réel  ». Qu’importe alors, nous dit-il, que les consommateurs ne connaissent pas la marque «  Random House  », la seule marqe qu’ils connaissent, c’est Google, et si le site de l’éditeur est convenablement développé, «  search engine’s friendly«  , bien optimisé pour les moteurs de recherche, le consommateur aura accès au site de l’éditeur, ou à des informations issues de celui-ci et reprises ailleurs, sur le site d’Amazon par exemple.

Il n’est pas non plus impossible que Random House entreprenne à cette occasion, faisant venir les consommateurs sur un site riche d’informations, de faire exister progressivement sa marque auprès des lecteurs.

Esposito conclut :

«  Fondamentalement, il est temps d’arrêter de penser le Web comme un univers symétrique de l’univers «  brick and mortar  ». Hors ligne, il y a des magasins ; en ligne, il y a des des relations qui évoluent dynamiquement. Hors ligne, l’agrégation est cruciale ; en ligne, l’agrégation se fait en temps réel et permet de pointer vers des objets partout où une URL peut être trouvée. Hors ligne, les marques connues dans le monde du B2B ne disent rien aux consommateurs ; en ligne, de telles marques peuvent s’insérer intelligemment dans la chaîne de valeur. Ne tenons pas pour acquis que les gens chez Random House sont idiots, en dépit du fait qu’ils sont – ugh – des éditeurs  ».

Réseaux sociaux avec éditeurs

On l’a dit déjà : avec le numérique, il sera de plus en plus difficile de parler de chaîne du livre, comme on le faisait couramment jusqu’à présent. Chacun des maillons de cette chaîne ne «  parle  » qu’aux maillons qui voisinent directement avec lui. Non, avec le numérique, on va plus volontiers parler de réseau, et ce, même en ce qui concerne les livres imprimés. Chacun des nœuds d’un réseau peut virtuellement entrer en contact avec tous les autres. Pour les éditeurs, il existe aujourd’hui des moyens d’entrer en contact direct avec leurs lecteurs. J’en vois qui s’inquiètent, qui voient les éditeurs arriver avec leurs gros sabots, et venir polluer les discussions sur le réseau avec des messages promotionnels, rédigés en pure marketing-langue. Essayer de transposer sur internet des pratiques marketing héritées du XXème siècle est une aberration. On l’a vu avec quelques exemples célèbres de faux blogs. Faudrait-il alors s’interdire de se saisir en aucune manière d’une opportunité aussi formidable pour entrer en contact avec ses lecteurs ?

A l’heure où Le Monde fait découvrir twitter à ses lecteurs, certains éditeurs ont déja de nombreux «  following people  » sur twitter. [ajout du 18/01/09 : en voici toute une liste sur un répertoire créé par Jeniifer Tribe.] Little, Brown and co, par exemple. Que peut bien twitter un éditeur ? C’est simple, il suffit de déchiffrer ses derniers tweets.

Le premier nous apprend que non content d’être sur twitter, Little, Brown and Co est aussi sur Facebook :

1 – «  Relaxing this weekend with THIS ONE IS MINE by Maria Semple. Become a fan of the book on Facebook : http://tinyurl.com/65aapr

Le ton est direct : besoin de vous relaxer ce week-end ? Lisez donc This one is mine par Maria Semple. Et devenez fan du livre sur Facebook. C’est bien de la promo. Mais le ton est simple et direct, personnel. Et personne n’est obligé de suivre LB & co sur twitter : celui qui le décide est à priori intéressé par de l’info sur les publications de l’éditeur.

2 – «  @lovebabz Sounds divine. Have a great relaxing day.  » – Un message qui commence par @ suivi d’un pseudo twitter : c’est donc qu’il y a bien des échanges. Qui est lovebabz ? Il semble que c’est une mère de famille, blogueuse, qui twitte des trucs comme : «  Good Morning ! Well it’s not raining ! Getting children ready for church. Greg is playing the bells this morning in the Boys Choir  » (Bonjour ! Super, il ne pleut pas ! Je prépare les enfants pour partir à l’église. Greg joue des cloches ce matin dans le choeur des garçons)

3 – «   @bookingmama posts video of Anita Shreve discussing the origins of TESTIMONY http://tinyurl.com/64nm6m  » Liens, liens, liens : Un tweet qui signale que «  bookingmama  » a posté une vidéo d’Anita Shreeve. Quelques clics d’enquête plius loin : Bookingmama est une blogueuse du livre, (sharing ideas on books and bookclubs – and occasionnally some other things – partageant des idées à propos de livres et de clubs de lecture, et occasionnellement à propos de quelques autres choses). Bookingmama a effectivement posté une vidéo dee l’auteur sur son blog, issue de YouTube. Allons-voir sur YouTube d’où vient cette vidéo.

Elle vient de BookVideos.tv , et je passe un bon moment sur leur site, pour voir un peu ce qu’ils font en matière de «  story behind the story  ». Le site est très bien fait : une offre directe aux éditeurs avec deux types de vidéos, l’un  économique et l’autre plus cher, et l’indication des sites partenaires sur lesquelles sont diffusées les vidéos parmi lesquels Amazon, Facebook, Barnes & Noble, iTunes, Google, Yahoo, AOL etc, et la lise des éditeurs clients : Simon & Schuster, Random House, Broadway Books, Chronicle Books, Ten Speed Press, W.W. Norton & Company, Thomas Nelson, Loyola University Press, Penguin, Hachette, Holtzbrinck, Bantam Dell, Doubleday, Sports Illustrated, Oxmoor House, Macmillan, Henry Holt and Company, Dorchester Publishing, John Wiley & Sons.

Les gens de Little Brown auraient tout aussi bien pu envoyer directement un tweet avec un lien vers la vidéo qu’ils ont certainement eux-même commandée, mais d’y renvoyer sur le blog d’une lectrice est bien plus efficace : la vidéo sera aussi bien vue, cela donne de la visibilité à ce blog, cela insère l’éditeur dans la blogosphère, car il contribue à tisser des liens entre ses membres.

4 – «   @highhiddenplace Enjoy ! Same to you re : giveaway and fun temporary tattoos. :)  » Ok, cette réponse de @littlebrown à @highhiddenplace semble être une plaisanterie, mais je ne parviens pas à la traduire. (Une suggestion ?) Hop, allons lire les tweets de @highhiddenplace. Un message vers @littlebrown les remercie pour leur envoi d’un livre. – «  Received my copy of THIS ONE IS MINE yesterday. It looks wonderful and I can’t wait to read it. Thank you again ! «   @highhiddenplace blogue depuis 2001, c’est aussi une mère de famille, elle alterne sur son blog des notes de lecture et des photos de ses enfants. J’y apprends qu’il y a un réseau ning dédié aux blogs de livres : http://bookblogs.ning.com/.

Je vois que tout comme @lovebabz, @highhiddenplace participe à un concours d’écriture en ligne, qui pourrait faire l’objet d’un prochain billet.

Je pourrais continuer longtemps, mais l’exercice est assez concluant, et ce billet vraiment trop long : en quelques clics, sur quelques tweets, on voit comment se tisse autour d’un simple fil twitter un réseau d’échanges, avec des gens qui partagent via le web leurs lectures et parfois leurs projets d’écriture, sans prétention. Un éditeur qui joue le jeu, envoie ses livres, entretient un dialogue. Et l’utilisation tous azimuts des sites sociaux : twitter, youtube, facebook.

J’ai trouvé le lien vers la page twitter de Little Brown dans ce billet de Kassia Krozser sur Booksquare, dont voici un extrait :

«  Personne ne peut atteindre vos clients mieux que vous parce que personne ne connait vos livres et ce qui les caractérise mieux que vous (exceptés, oui, vos auteurs ; ils jouent un rôle dans ce processus, bien sûr). Il n’y a pas de bonne façon pour faire cela. J’aime ce que des éditeurs comme Little, Brown and Co font sur Twitter, parlant de livres et s’entretenant avec les lecteurs (un bon point pour leurs fréquentes offres d’envois de services de presse). Je trouve agréable que des éditeurs comme Unbridled Books mettent leur point d’honneur à entrer en contact et à discuter avec des gens comme moi de façon régulière, – même les contacts commerciaux conservent une touche personnelle.  »

Katia a raison, il n’y a a pas de «  bonne manière  » de faire cela. Il faut juste se lancer, oser l’expérimentation.

La présentation, ça compte énormément

«  Pistes numériques : est-ce que le design a de l’importance dans la distribution numérique ?  », tel est le titre du billet d’Andrew Brenneman dans Book Business.

L’une des caractéristiques de l’édition numérique est la possibilité de rendre disponible un texte pour une lecture sur différents terminaux, de tailles variées. Le même contenu aura donc nécessairement une apparence différente selon le terminal sur lequel il est lu, et peut même être publié, sur le même terminal, dans des contextes visuels variés ( pensons, sur le web, aux contenus syndiqués qui se coulent dans la mise en page des différents sites qui les accueillent ).

Andrew Brennan pose trois questions :

  • Est ce que nos départements de production auront à intégrer tous ces nouveaux modes de diffusion ?
  • Est ce que le design des contenus numériques est de la responsabilité du partenaire distributeur ou d’un autre service externe plutôt que de celle de l’éditeur ?
  • Est-ce que le design est un élément stratégique ? Est-il indispensable que les maisons d’édition disposent de cette compétence en interne ?

Et il ajoute :

Nous avons pu esquiver quelque peu ces questions lorsque la distribution numérique et les programmaes de marketing se sont limités, dans un premier temps, à exiger de nous des PDF Web, des fac-similés de ce qui était imprimé sur papier. «  Super,  » ont pensé beaucoup d’entre-nous, «  nous pouvons utiliser la même mise en page que pour l’imprimé, c’est pas si compliqué  ».

Il répond à ces questions dans le fil de son article (que je ne vais pas traduire in extenso), et résume sa position en 5 points :

  • Le design a une importance stratégique. Le design facilite la communication du contenu et est nécessaire pour porter l’image de marque de la maison d’édition auprès des auteurs et du marché. Le design fait partie intégrante des intérêts de l’éditeur.
  • La dure vérité : chaque terminal de lecture, chaque plateforme requiert un traitement particulier de la mise en page
  • Les PDF Web ne sont pas la solution à long terme. Les PDF autorisent quelques rapides victoires dans la diffusion numérique, nous ont tous aidé à y faire nos premiers pas, et ont amorcé l’écosystème numérique. Mais une présentation basée sur la «  mise en page  » ne va pas offrir une solution satisfaisante en édition multi-support. Migrer vers une production basée sur XML aidera certainement pour le multi-support, mais le difficile travail de design pour chacun des modes de restitution demeure. XML est l’un des composants du succès, mais ce n’est pas la panacée.
  • Les équipes, en interne, doivent comprendre les implications pour le design d’une délivrance des contenus sur des supports multiples, qu’ils soient ou non directement impliqués dans le travail de présentation pour ces plateformes ou pas. Des compétences dans le design numérique sont des compétences clé pour les éditeurs.

Le billet ne concerne pas uniqement le texte numérique disponible en téléchargement, mais toutes les formes de distribution numérique, et je ne traduis pas ce passage pour relancer un débat «  PDF  » versus «  ePub  ». Quelque soit le format de fichier adopté, ce qui est en jeu c’est l’attention portée par l’éditeur au résultat final, c’est l’idée que le passage au numérique n’est pas une affaire purement technique. Et il convient de rappeler, en ce qui concerne plus particulièrement les liseuses – qui font cette semaine l’actualité – : la qualité de la présentation du texte ne dépend pas seulement de la compétence de l’éditeur : celui-ci, François Bon le rappelle dans son billet d’aujourd’hui, est tributaire des capacités du format qu’il a choisi, et des performances du logiciel de lecture utilisé par la liseuse.

Les meilleurs web designers ont peu à peu appris à déplacer leur compétence, en intégrant cette contrainte multi-environnement du web. Il faut pour accepter cela faire de gros efforts : j’ai rencontré dans des écoles de design de nombreux étudiants qui préféraient de loin travailler dans le print, plutôt que de devoir se plier aux contraintes du web, et perdre cette maîtrise directe du résultat final. Mais ceux qui ont choisi de travailler pour le web ont intégré progressivement les conséquences d’une séparation rigoureuse du fond et de la forme, ont accepté de perdre le contrôle millimétrique qu’ils possédaient dans le print, pour créer à partir de nouvelles contraintes : ils ont appris à travailler avec du texte repositionnable, des blocs flottants, et ont développé de nouvelles manières de concevoir en tirant parti de ce qui avait pu leur apparaître, de prime abord, quelque chose qui venait limiter leur contrôle.

On souhaiterait que les éditeurs, les directeurs artistiques, les maquettistes, tous ceux à qui incombe la tâche de veiller à l’apparence finale des textes, puissent effectuer aussi ce virage, et s’attachent d’aussi près à la qualité visuelle de la présentation d’un texte numérique qu’à celle d’un livre imprimé.

First Ladies, on Kindle first

Globe Pequot Press, l’éditeur des biographies de Cindy McCain et Michelle Obama, a conclu un accord d’exclusivité avec Amazon, pour diffuser les deux ouvrages au format numérique sur le Kindle. Celle de Michelle Obama paraîtra également sous forme imprimée, dans quelques semaines, quoi qu’il arrive. Celle de Cindy Mac Cain ne sera imprimée que si Monsieur gagne les élections.

Dans les nombreux débats qui accompagnent l’émergence d’une offre de livres au format numérique, l’aspect «  temps  » avait jusqu’ici été peu abordé. Les avantages de la dématérialisation du livre le plus souvent mis en avant sont plutôt liés à l’espace, à la mobilité. Posséder une liseuse, c’est pouvoir transporter sans se charger une grande quantité de livres et de documents textuels divers. C’est disposer en toutes circonstances d’un vaste choix de lectures. Cette annonce met en avant une autre caractéristique du livre numérique : la rapidité de sa mise en vente et de sa livraison : pas d’impression, pas de transport… Nombre d’éditeurs ont acquis des méthodes qui leur permettent de sortir des livres imprimés liés à un événement qu’ils ont pu anticiper à peine quelques jours après l’événement concerné. Désormais, ces livres qui sont souvent des «  coups  » seront accessibles encore plus rapidement, sous forme numérique.

Ian Freed, vice président d’Amazon Kindle a déclaré :

«  Nous sommes heureux d’offrir aux clients «  Kindle  » d’Amazon la chance de lire les biographies de Cindy McCains et Michelle Obama des mois avant que leur version imprimée ne paraisse cette année. (..) Grâce à la connexion sans fil de leur Kindle, les clients qui achèteront ces livres d’actualité pourront commencer à les lire en moins de 60 secondes  ».

Mais pourquoi, demande Katia Krozser sur Boosquare, s’il est si urgent que ces livres soient vendus, tellement urgent qu’on n’a même pas le temps de les imprimer, en réserver la lecture aux seuls possesseurs du Kindle ?

«  Bien sûr, il n’est pas indiqué (dans le communiqué ) que cet accord exclusif laisse de côté les lecteurs qui possèdent une liseuse Sony, un iPhone, un Palm, un ordinateur portable, ou tout autre terminal susceptible de lire un livre numérique. Il devrait être précisé que la population de lecteurs de livres numériques non utilisatrice de Kindle excède de beaucoup celle qui en possède un.

De fait, Globe Pequot a décidé qu’il était si important que ces livres soient mis à temps à la disposition des électeurs… qu’ils se sont coupé de la majorité de leur marché potentiel. Vive le progrès !  »

Et, pour que l  »édition de livres «  juste-à-temps  » soit disponible pour tous les lecteurs, Kassia s’emporte contre l’éditeur Globe Pequot :

«  Votre client n’a que faire de vos vantardises corporate concernant vos accords. Votre client veut son livre maintenant, ou le pus tôt possible. Non seulement les lecteurs de livres numériques souhaitent la disponibilité de lire leur livre dans leur format préféré, mais les lecteurs de livres imprimés ne devraient pas avoir à attendre aussi longtemps pour pouvoir lire un livre qui aura perdu de sa pertinence en quelques semaines. Les choses évoluent trop vite pour continuer de jouer avec de vieilles règles.  »

eBabel, ou la mutliplication inconsidérée des formats de livres numériques, va-t-elle disparaître avec une adoption de plus en plus massive du format ePub ? C’est une façon de considérer le problème. Une autre est de se demander : est-il beaucoup de livres que nous désirons à ce point lire maintenant, tout de suite, à l’instant, que nous ne pouvons supporter de les attendre un peu ? Nos achats de livres sont-ils si impulsifs ?

Bien sous tous rapports

Deux rapports ont été publiés à quelques jours d’intervalle, qui concernent tous les deux le livre numérique. L’un émane de la commission réunie par l’ALIRE (Association des librairies informatisées et utilisatrices de réseaux électroniques) et le SLF (Syndicat de la librairie française). Il est consultable en ligne, dans une version ouverte aux commentaires (thème CommentPress sous WordPress), et disponible également au format PDF ici, et ici, ainsi qu’en version imprimée (Editions La Découverte).

Le second a été commandé à Bruno Patino par le Minisitère de la Culture et de la Communication. Il est téléchargeable ici.

Ces deux rapports sont de nature et de facture bien différentes :

- L’un propose un état des lieux et dévoile une réflexion «  in progress  » menée de l’intérieur d’une profession, la librairie. L’une des formes de publication choisie, ouverte aux commentaires, témoigne de la volonté d’ouverture de la commission SLF/ALIRE, qui prend le risque de soumettre aux commentaires un texte qui embrasse des questions nombreuses et complexes.

- Le second s’appuie sur la connaissance des problématiques liées au numérique de son auteur, (Bruno Patino dirige le Monde interactif), et sur le travail de la Commission qu’il a présidée et qui a procédé à l’audition de nombreux acteurs du monde du livre.
Les recommandations des deux rapports ont déjà été largement rapportées et commentées, aussi ne vais-je pas y revenir ici.

J’ai préféré tenter de rechercher, à travers l’un et l’autre textes, qui par ailleurs présentent de nombreuses similitudes, les points de divergence les plus importants.

Le premier concerne la définition du livre numérique. Cette définition s’avère difficile dans les deux cas, mais contrairement à Bruno Patino, qui conclut à une «  définition impossible  », la commission SLF / ALIRE compte sur l’interprofession pour parvenir à préciser cette définition, qui seule, permettrait d’espérer un amendement de la loi Lang pour que le prix unique s’applique également au livre numérique :
SLF / ALIRE

«  Nous pensons que l’interprofession a intérêt à définir une notion de « livre numérique » (par exemple, œuvre complète vendue de façon pérenne et individuelle, reflétant le livre papier quand il existe) à laquelle ne saurait être assimilée la vente de contenus ou d’usages dérivés de ce contenu originel et matriciel. (…) Sur le principe, et dans l’idéal, la législation du prix unique et le taux de TVA réduit s’appliqueraient au livre numérique, mais ne concerneraient pas les autres types de contenus numériques.  »

Rapport Patino

«  A la limite, le seul cas où l’amendement (NDLR : de la loi Lang) semble « naturel » serait celui du fichier fermé téléchargé, simple retranscription d’un livre existant dans l’univers imprimé. Mais même dans ce cas, ce dispositif risquerait d’être discriminant par rapport aux autres formes de « livres numériques ». Du coup, le mode d’exploitation le plus respectueux de la version sur papier serait le seul à être régulé (car étant le seul à être définissable en continuité directe avec l’univers de l’imprimé) ; de ce fait, il serait potentiellement pénalisé au profit d’autres qui ne seraient pas encadrés. La loi « Lang » semble donc, dans sa formulation actuelle, ne pas pouvoir être amendée pour inclure la totalité des expressions d’un « livre numérique » qui est avant tout un droit de propriété intellectuelle sur un contenu écrit.  »

Un autre point sur lequel les deux rapports soutiennent des positions différentes est celui de l’application d’un taux de TVA réduit au livre numérique. Si le SLF / ALIRE souhaite que cette TVA à 5,5 s’applique au livre numérique (ce qui implique, encore une fois, d’en fournir une définition…), il souhaite voir ce taux réservé au seul livre numérique, alors que pour Bruno Patino, en l’absence de définition, il est préférable d’étendre cette réduction du taux de TVA à l’ensemble des «  biens culturels numériques  ».

Rapport SLF / ALIRE

«  - La TVA à 5.5% doit rester un taux réduit exceptionnel dû à l’objet spécifique du « livre imprimé » et du « livre numérique » si un accord est trouvé sur sa définition (cf. § précédent). Il n’est donc pas demandé de révision du taux de TVA sur les autres types de contenus numériques. «  

Rapport Patino

«  Il paraît donc plus judicieux de proposer, plus généralement, une TVA à taux réduit pour l’ensemble des biens culturels numériques. La présidence française du Conseil de l’Union européenne et l’échéance de renégociation de la sixième directive TVA pourraient permettre de mettre rapidement l’accent sur cette demande. La commission estime donc nécessaire de demander, pour favoriser l’essor des livres numériques, l’application d’un taux de TVA réduit pour les contenus culturels numériques.  »

Enfin, et c’est peut-être ce point qui est le plus intéressant, les deux rapports s’approchent de la notion d’usage de façon bien différente. Là où les libraires réaffirment leur rôle de médiateurs, au secours de lecteurs perdus dans la «  jungle du numérique  », Bruno Patino met en avant l’expérience utilisateur, et confie à ces utilisateurs, seuls à décider in fine de ce qui «  prendra  » ou «  ne prendra pas  » en matière d’usage, un rôle qui gomme la médiation, même s’il est avéré que dans la «  jungle du numérique  », les médiations existent bel et bien, même si elles se modifient, ou se font à l’insu des utilisateurs. (cf à ce sujet Alain Giffard, que je cite encore une fois, auteur d’une étude menée en 2007 pour le Ministère de la Culture et de la Communication et intitulée «  Lire – les pratiques culturelles du numérique «  . )

SLF / ALIRE :

«  Ainsi, éditeurs et libraires pourront jouer mieux encore leur rôle de médiateur, proposant une offre qualifiée aux lecteurs qu’une jungle du numérique pousserait à une lecture plus encore qu’aujourd’hui banalisée, attendue et imposée. Ainsi, les auteurs et les lecteurs seront-ils mieux respectés et considérés. Ainsi, la diversité et la richesse d’une offre culturelle tiraillée entre standardisation et atomisation pourra-t-elle non seulement être préservée, mais développée avec enthousiasme et passion.  »

rapport Patino :

«  Les usages, et non les auteurs, éditeurs ou libraires, décideront en définitive de ce que sera la lecture numérique. Un usage, dans le processus de construction d’un secteur du numérique, est une expérience suffisamment satisfaisante pour que le consommateur lui reconnaisse une valeur. Cette valeur se mesure dans l’argent et également dans le temps qu’il est disposé à donner pour vivre cette expérience. La plupart des expériences neuves vécues dans l’univers numérique restent sans suite, une technologie et ses fonctionnalités ne retenant pas l’attention du public. Mais parfois, dans un contexte donné, l’expérience est si satisfaisante qu’elle définit de nouveaux usages, consolidés dans une pratique assez large pour constituer un nouveau marché.  »

Cette question de la médiation, qu’il s’agisse de celle prise en charge par les éditeurs ou de celle effectuée par les libraires et les bibliothécaires, est au coeur de la révolution numérique. Les uns et les autres sont tenus d’apprivoiser très rapidement les technologies et de poursuivre leur mutation pour être en mesure de continuer à jouer un rôle dans l’univers numérique. À ce titre, l’engagement de l’état ne devrait pas se limiter, me semble-t-il, à l’aide à la numérisation, mais pourait inclure un soutien au développement des infrastructures numériques et à la formation.

Message personnel

Cher F,

Tout d’abord, je te rassure : Hubert a mis de côté pour toi un T-shirt «  BookCamp  », très joli, blanc avec le logo gris et rouge…

J’ai pris le métro hier midi avec un peu d’avance, bonne fille, me disant qu’il y aurait peut-être besoin d’un coup de main à la Cantine avant l’arrivée des BookCampers. Trouvé un mot scotché sur la porte vitrée avec un plan : «  le bookcamp dîne ici  », alors j’ai continué d’avancer dans le passage (la Cantine se trouve dans un passage couvert qui donne sur la rue Montmartre), et effectivement les GO du BookCamp n’étaient pas du tout en train d’installer des chaises ou de dresser des panneaux d’affichage, ils déjeunaient tranquillement en terrasse. Alors je me suis attablée avec eux, et j’ai commandé une salade. Le temps d’échanger des nouvelles, de déplorer ton absence, de faire un peu joujou avec le Kindle tout neuf qu’Alain Pierrot m’a mis dans les mains, il était deux heures.

Hubert Guillaud nous l’avait dit, un BookCamp est essentiellement dispensateur de frustration : il suffit de regarder le tableau où est inscrit (à la craie) le programme : 3 horaires successifs, et pour chaque tranche horaire, pluieurs ateliers. Entre chaque séance, une demi-heure pour circuler, échanger, se faire raconter par quelqu’un d’autre l’atelier auquel on n’a pas pu aller.
Je n’étais jamais venue à la Cantine. Les premiers participants discutent déjà dans un grand espace ouvert, articulé autour d’un escalier à vis qui grimpe sous une verrière.
Deux zones sont aménagées comme des salles de réunion, mais certains ateliers ont lieu aussi autour du bar ou dans le coin salon. Coup de chance pour la paresseuse que je suis, c’est là qu’Alain Pierrot et Hadrien Gardeur animent le premier atelier où j’ai choisi d’aller. J’ai donc la possibilité de m’installer confortablement sur un canapé, bien entourée de Christian Fauré et de Guillaume Teissère. Alain et Hadrien ont apporté des liseuses, et aussi des livres, et nous parlent lecture, page, lisibilité, mise en page, typographie, moteur de composition… Tu as suffisament échangé sur ce thème avec eux pour que je ne te résume pas leur intervention. Ils ne diront pas, et c’est aussi typique d’un barcamp, le quart de ce qu’ils ont prévu de dire, car les participants interviennent rapidement dans le débat. Les questions inévitables surgissent, auxquelles il faut répondre, en essayant de ne pas s’égarer… On retrouve les clivages habituels, ceux qui baignent dans la culture web, qui ne voient pas bien pourquoi on s’embête avec cette question de la restitution de la page, et sont convaincus que tout se règle avec un navigateur web, une bonne interface et du texte recomposable. Ceux qui considèrent que de passer au numérique, si c’est pour faire comme sur le papier, ce n’est pas la peine, et qu’avec une liseuse on doit afficher du texte, mais aussi des animations, des sons, des vidéos. Alain, qui n’en est pas à son premier débat sur le thème, excelle a faire prendre conscience, à l’aide d’exemples, de la complexité du livre imprimé. Complexité cachée, parce que prise en charge par les différents métiers, de manière que le lecteur, au final, soit dans le plus grand confort pour rencontrer un texte. Et la question est bien, si on va vers des lectures sur support numérique, de reconstituer une chaîne de production et de savoir qui assume les décisions nombreuses et insoupçonnables qui font que le livrel se présentera de telle ou telle manière, offrira telle ou telle fonctionnalité. Bon, tu connais par coeur tout ça, auquel tu te confrontes avec publie.net.

Pour la deuxième session, je n’ai pas à faire de choix d’atelier, puisque j’ai promis d’en animer un, avec Xavier Cazin, Alain Pierrot et Guillaume Teissère. Pas question de m’appuyer sur les slides que j’avais préparés : pas de grand écran, et trop de monde pour que chacun puisse lire sur l’écran de mon mac. On s’en passera très bien, pour évoquer la question : «  qu’est-ce qu’un site d’éditeur 2.0 ?  ». Un site d’éditeur, ça intéresse qui ? Qui va y venir ? Pour y trouver quoi ? On va parler catalogue, fils RSS, widgets. On va rappeler qu’un site, ça n’existe pas tout seul, c’est un élément d’un système plus vaste, qui n’existe que par les liens qu’il offre, entrants et sortants, vers les autres éléments du système. Le web vient bousculer en profondeur la fameuse chaîne du livre, sa confortable linéarité : auteur-éditeur-diffu/distributeur-libraire-lecteur. Avec le web cette linéarité fait place au réseau, et de nouveaux maillons apparaissent : moteur de recherche, sites sociaux, blogs de lecteurs, sites de bibliothèques, sites d’auteurs. Christian Fauré rappelle à juste titre que «  web2.0, ça veut dire aussi un site qui parle aux machines, un catalogue conçu de telle manière qu’il puisse s’afficher ailleurs que sur le site de l’éditeur  ». J’aurais aimé en profiter pour lui demander de nous parler de web sémantique, mais le temps manque, et j’ai promis à Constance Krebs de lui en laisser un peu pour présenter le très joli projet qu’elle prépare actuellement, autour d’un livre qui sera publié à la rentrée aux éditions Zulma, dont elle propose une version accessible sur le web, et nous terminons la séquence en découvrant en avant-première le très beau travail qu’elle a réalisé avec la complicité de Yann de Roeck et de Jean-Marc Destabeaux.

Je connais, cher F, ton amour des librairies. Le temps que tu passes dans les trains pour en rejoindre une, à Brest ou à Metz, à Montpellier ou à Toulouse, pour y faire une lecture, pour y présenter un livre. Tu en parles souvent sur tiers-livre. Tu les photographies. Si tu avais pu venir, tu te serais installé comme moi sur un tabouret de bar de la Cantine pour écouter Antoine Stéphane Michalon, enregistré par Hélène Clémente (avec le même truc que tu as, le super enregistreur extra plus numérique dont je ne connais pas la marque…), proposer une réflexion sur la mise en scène d’une offre de livres numériques en librairie. Tu aurais vu Hubert faire signe à Bernard Strainchamps de Bibliosurf de venir se joindre à la discussion. Tu aurais entendu Bernard raconter son expérience de libraire sans librairie, entièrement en ligne, une eLibrairie de proximité, rien à voir avec Amazon… Une jeune libraire pose les bonnes questions : oui, mais comment ajouter cette pratique de médiation numérique quand il faut aussi gérer la librairie réelle, et qu’on n’a pas un temps dédié pour ça, et qu’on n’en connaît pas assez sur la technique pour même être en mesure de choisir un bon prestataire web et de lui formuler ses demandes avec suffisamment de précision pour obtenir le site dont on a besoin ? Le livre numérique en librairie ? Des écrans pour les clients ? Des clés USB ou des SD cards ? Le temps là aussi passe trop vite pour qu’on ait le temps de conclure…

Il va me falloir conclure aussi ce message, déjà trop long. Te dire que j’ai eu le plaisir de faire la connaissance IRL de Pierre Mounier, dont j’apprécie tant les messages sur Homo Numéricus, le site comme le blog, et qui publie un article intéressant sur rue 89. Ne pas citer, pour ne pas ajouter à ton regret et parce que j’en oublierais certainement, les noms de tous ceux que j’ai aperçus sans avoir le temps de leur parler.

Te dire aussi qu’on en refera un, de BookCamp, pour que puisse avoir lieu cet atelier que tu avais proposé, la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre, ou «  montre moi ce qu’il y a dans ta liseuse, je te montre ce qu’il y a sur mon disque dur  »…

Retour sur le manifeste de Sarah Lloyd

«  Est-ce que l’industrie de l’édition réagit assez rapidement et travaille suffisamment créativement pour s’adapter à la nouvelle économie de l’information et des loisirs ?  », demande Sarah Lloyd dans son manifeste.

Ce qui est en train de changer rapidement, dans l’industrie de l’édition, se situe du côté de sa dimension industrielle. Changer, c’est ce que l’industrie fait le mieux. Se doter des infrastructures que le développement du numérique requiert, adapter la distribution, trouver de nouveaux business models. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, cela implique de lourds investissments, mais ce sera fait, il n’y a aucun souci à se faire à ce sujet.

Ce qui est plus complexe, c’est l’évolution de la fonction éditoriale. La partie «  édition  » de l’expression «  ‘industrie de l’édition  ». Le défi pour les éditeurs, c’est de changer vite, pour continuer à faire exister leur métier. C’est de prendre conscience que toute la subtilité et la complexité de leur métier réside justement, dans ce qui, de ce métier, ne peut se numériser. Leur capacité de lecture, de discernement, de détection des talents. Le processus patient qui leur permet d’accompagner un auteur dans la transformation de son manuscrit en livre. L’infini souci du détail, ce que leur regard perçoit et qui échappe au lecteur, alors qu’il contribue immensément à son plaisir de lecture. Leur empreinte sur la publication, non d’un livre isolé, mais d’une collection, qui crée des liens entre différents auteurs, différents textes, et leur capacité à créer un catalogue et à le faire vivre. Mais cela ne signifie pas que les éditeurs doivent se détourner du numérique. Ils doivent changer, au contraire, justement parce qu’ils sont dépositaires de savoir-faire indispensables et non numérisables.

Changer pour continuer d’offrir des lectures de qualité, quel que soit le support de restitution choisi par le lecteur. changer pour savoir s’attacher avec la même exigence à la qualité d’une publication numérique qu’à celle d’un livre imprimé. S’intéresser aux supports, aux formats, aux technologies, pour injecter dans les ouvrages de demain la qualité d’expérience qu’ils savent offrir aux lecteurs d’aujourd’hui. Transposer ces savoir-faire dans des nouvelles formes éditoriales : se soucier de la qualité de l’expérience utilisateur de ceux qu consulteront leurs publications en ligne, de ceux qui utiliseront leurs plateformes éditoriales, même si c’est pour mixer leur propres contenus à ceux proposés par l’éditeur, où pour personnaliser des ouvrages. Ne pas lâcher un pouce de terrain sur ce qui constitue les fondements de leur métier : la précision de la réflexion, la capacité de discernement, de tri, de choix, l’exigence intellectuelle. la sensibilité à la qualité de la langue, la recherche de la perfection dans la présentation et la finition. Cela demande de gros efforts, car il s’agit non de substituer des savoir-faire nouveaux aux anciens, ce qui se ferait naturellement, par le simple effet de la relève des générations, mais bien de faire évoluer les savoir-faire existants, de leur accoler de nouvelles connaissances et habiletés, pour que rien ne se perde de ce qui a été acquis. Changer, mais pas seulement pour s’adapter. Changer, pour être en mesure de préserver et de transmettre.