Le saviez-vous ?

Belle initiative de Penguin USA pour aider les libraires indépendants à promouvoir leur activité de vente de livres numériques.

Les affichettes, probablement des éléments cartonnés autoportants, sont personnalisés au nom de chaque librairie – ici la librairie « The Book Nook and Java Shop »à Montague, dans le Michigan – , et comportent un QR code qui permet au visiteur de se connecter directement au site de vente du libraire.

Cette campagne qui fait aussi la promotion de l’éditeur, de quelques uns de ses titres, et de Google ebooks, pourra-t-elle conduire quelques clients à préférer acheter leurs livres numériques chez leur libraire plutôt que sur Amazon, Barnes & Noble, Kobo ou directement sur Google ?

Rappelons que Google a passé un accord avec l’association des libraires américains (American Boksellers Association) qui permet aux libraires qui le désirent de vendre des livres numériques via le service Google ebooks.

Je n’ai pu trouver aucun chiffre concernant les performances de ces librairies « powered by Google », ni sur Google ebooks de manière générale, mais il semble que le service de Google ne concurrence pas encore violemment les Amazon, Barnes & Noble, Apple ni même Kobo.

Sur TeleRead chez qui j’ai trouvé cette information, Chris Walters critique au passage l’expérience d’achat sur Google ebooks :

« La dernière fois que j’ai essayé, j’ai du me créer un compte pour la librairie, lier ce compte à mon compte Google, utiliser ma carte de crédit – alors que mes informations de carte de crédit sont déjà mémorisées chez Google) et cliquer sur des boutons sur des boîtes à cocher sur de multiples écrans ».

Il ne me semble pas anormal que le service lui demande ses informations bancaires, car c’est le libraire qui effectue la transaction, même si la solution technique est fournie par Google,  et Google ne peut communiquer les coordonnées bancaires de ses clients. On sait bien que le premier achat d’un livre numérique chez un libraire indépendant, ici aussi, n’est pas exempt de ces frictions que l’internaute déteste par dessus tout, et on aimerait pouvoir les lui éviter.

Les DRM, je sais. Adobe Editions, je sais. Mais même sans les DRM, l’inscription sur le site, la saisie des coordonnées bancaires sont des étapes indispensables qui rendent fastidieux le premier achat. C’est vrai aussi chez les acteurs qui font de l’immédiateté et de la simplicité leur spécialité : vous avez fait ces manœuvres désagréables lorsque vous avez ouvert votre compte iTunes, par exemple. Mais vous l’avez fait une fois, le jour ou vous veniez d’acheter votre iPhone ou votre iPad, tout à la joie de prendre en main votre nouveau joujou, et vous avez oublié cet effort, et ne vous souvenez  que de la facilité avec laquelle vous procédez aujourd’hui.

Allez, pour votre libraire, pour y revenir souvent ensuite, un petit effort…

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Plus plus plus

Parmi les quelques conversations que j’ai vues apparaître grâce à mon nouveau compte Google+, il y en a une qu’il me paraît intéressant d’évoquer dans ce blog, et je ne vais pas laisser passer l’occasion de réveiller teXtes, qui dort depuis plus d’un mois maintenant. Comment ai-je perdu le rythme ? Je suis passée progressivement en mode lurker, voyant défiler les infos, casant un RT de temps en temps sur Twittter, continuant de sauvegarder des signets dans Delicious, voyant la conversation se poursuivre ici et là, perdant progressivement cette dynamique à base de simplicité, de spontanéité, de curiosité, d’entrain et de désinvolture indispensable au blogueur. Cela ne m’a pas empêchée de créer mes premiers cercles sur Google +, je sais bien que l’on ne peut rien dire au sujet d’un nouveau dispositif avant de l’avoir utilisé assez longuement, mais même là, je me suis trouvée comme intimidée, une fois créés mes cercles, comme si j’étais moi-même encerclée dans ce silence que j’ai laissé s’installer progressivement…

J’ai trouvé intéressante la discussion entamée sur le site Publishing Perspective, et poursuivie sur Google+, suite à l’article intitulé « Sprechen Sie Kobo ? ».

Cet article annonce et commente l’ouverture de Kobo en Allemagne, trois mois après l’arrivée de l’offre Kindle d’Amazon.

Puis il est indiqué que le catalogue de livres numériques disponibles sur Kobo est plus important que celui disponible sur Amazon, avec les chiffres suivants :

« Le Store Kobo allemand contient 2,4 millions d’ebooks, dont 80 000 en langue allemande. « 

à comparer avec les

« 650 000 e-books, dont  approximativement 25 000 en langue allemande »

chez Amazon.

Sebastian Posth indique en commentaire que ces chiffres ne signifient pas grand chose si on ne les accompagne pas de précisions. Amusant, Hadrien Gardeur poste un commentaire assez équivalent sur Google+.

Le terme ebook recouvre en effet différents formats, et différents types de catalogues. Les nombres indiqués sont la somme du nombre d’EPUBS et de PDF (sachant que les PDF sont généralement illisibles sur Kindle ou liseuse Kobo), et mélangent  domaine public, livres auto-édités et catalogues d’éditeurs.

Parmi les 60 000 titres en langue allemande annoncés chez Kobo, 25 000 seraient des EPUBS (le nombre annoncé par Amazon – qui les diffuse dans son format propriétaire, mais génère les fichiers MOBI à partir des EPUB).

Le nombre qui intéresse le plus les utilisateurs de liseuses est, selon Sebastian Posth, le nombre de fichiers en allemand, fournis par des éditeurs au format EPUB.

Sebastian indique également qu’il n’est jamais fait mention, dans les articles concernant le marché du livre numérique en Allemagne, des deux principaux distributeurs que sont libri.de et ciando.com, tous deux également e-libraires, possédant l’offre la plus exhaustive, et qui alimentent les principaux revendeurs. Seule Libreka, la plateforme interprofessionnelle issue du Börsenverein, est citée dans l’article, avec son catalogue de 76 000 titres, dont Sébastian nous dit qu’il contient nombre de PDF et de livres en anglais.

Agrégateurs, distributeurs ou revendeurs sont les seuls à pouvoir indiquer des chiffres précis, et c’est ce que fait Ronnie Vuine de Txtr dans la conversation sur Google+ qui a suivi l’article, indiquant qu’ils recensaient, de leur côté, 17 121 EPUBS en allemand…

17 121 versus 2,4 millions… il est parfois utile de creuser un peu les chiffres, y compris ceux indiqués par Kobo, une société innovante qui met souvent l’accent sur son côté « data driven » dans ses présentations – parmi les meilleures qu’il m’a été donné de voir.

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faire sortir un lapin de son chapeau

Il n’est pas toujours aisé, lorsque l’on est amené à participer à l’une de ces tables-rondes ou conférences sur le « futur du livre », les « enjeux du numérique pour l’édition » ou le « livre de demain » de faire entendre une parole mesurée, qui permette au public de saisir les mouvements profonds qui traversent aujourd’hui le monde de l’édition et donne une vision claire des enjeux.  Le discours le plus simple à tenir est celui dont on sait qu’il sera le mieux entendu, le plus en phase avec le discours ambiant. Le plus simple, le plus efficace, le plus gratifiant, c’est de faire une présentation feu d’artifice, chatoyante, séduisante. Montrer, plutôt qu’expliquer. Séduire, plutôt que convaincre. Faire sortir le lapin du chapeau.

C’est pourquoi j’étais si réconfortée de découvrir ce matin l’article de Chad Post dans Publishing Perspectives. J’y ai retrouvé, comme en écho, certaines des idées que j’ai cherché à faire passer lors des deux événements auxquels j’ai participé la semaine dernière, l’un à Montpellier, l’autre à Milan.

Les éditions Open Letter Books viennent de sortir leurs premiers titres en version numérique. Open Letter Books est une petite maison d’édition, de celles que les américains nomment avec beaucoup de netteté « non profit », qui publie exclusivement de la littérature étrangère, à raison de quelques titres par an. Au moment de fixer un prix pour leurs livres numériques, ils ont fait un choix que Chad explique dans son article, d’un prix de 4,99$, considéré comme un prix à mi-chemin entre les innombrables titres auto-édités ou soldés à 0,99$ et ceux maintenus au dessus de la barre des 10$ par les éditeurs ayant imposé à Amazon le contrat d’agence.

Ce petit passage est celui qui m’a donné envie d’écrire ce billet :

« Deux dimensions des ebooks me préoccupent de manière récurrente : a) la manière dont notre cerveau traite les textes lus sur écran, et b) le fait que les livres numériques nous font percevoir les livres comme des biens jetables. »

Ces deux préoccupations de Chad, d’une certaine manière, rejoignent les deux axes de réflexion que j’ai cherché à partager à Montpellier et à Milan. D’une part, la question de la lecture, précisément analysée par Alain Giffard  qui introduit la notion d’ « espace des lectures industrielles », et qui figure me semble-t-il parmi les questions fondamentales qui nous sont posées aujourd’hui. D’autre part, le statut du livre, considéré  comme  bien de consommation ou comme bien culturel.

Michael Tamblyn, l’un des responsables de la firme  Kobo, a caricaturé avec humour lors de sa présentation à Editech les différences culturelles qu’il observe entre la vision « business-business » des éditeurs américains (il s’agit de signer un contrat pour vendre des fichiers, point) et l’approche fondée sur des relations de confiance des éditeurs européens ( il faut obtenir la confiance de l’éditeur, afin que celui-ci vous confie les œuvres de ses auteurs).

Chad Post, avec sa position de passeur de la littérature étrangère au pays des Big Six, aborde avec pragmatisme et intelligence la question du numérique, au service de la diffusion des livres qu’il souhaite faire découvrir aux lecteurs américains. Plus traditionnel dans son approche du métier d’éditeur qu’un Richard Nash,  il  nous détaille son raisonnement économique, sans chercher à se faire passer pour un spécialiste du « pricing », et soulève, comme en passant, bien des problématiques qui n’ont pas fini de nous donner à réfléchir.

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Que vas-tu dire à Editech ?

Oui, Virginie, que vas-tu dire à Editech, cette conférence sur le livre numérique organisée par l’AIE, (Associazione Italiana Editori) ? Que vas-tu dire à cette table ronde qui porte sur la « vision qu’ont les Européens des grands acteurs mondiaux » ?

Je vais commencer par citer la déclaration de l’un de ces acteurs mondiaux,  celui qui aujourd’hui domine le marché du livre numérique aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui vient d’arriver en Allemagne, et dont l’ouverture dans d’autres pays européens va suivre rapidement. Sur le site d’Amazon, on peut lire : « Notre vision pour le Kindle, c’est que tout livre imprimé quel qu’il soit, dans n’importe quelle langue, puisse être accessible en 60 secondes de n’importe quel point du globe. »

Naturellement, un éditeur a un point de vue un peu différent. S’il se réjouit que tous les livres gagnent en accessibilité,  ce qu’il veut surtout, c’est que les livres qu’il publie trouvent leurs lecteurs. Et la perspective d’un revendeur mondial, proposant une offre exhaustive, présentée de la même manière en tous les points du globe ne répond pas nécessairement  à toutes ses attentes.

L’accessibilité, c’est bien. La largeur de l’offre, c’est indispensable. Et les acteurs globaux, qu’il s’agisse d’Amazon, de Google, ou d’Apple, sont d’énormes carrefours d’audience. Mais qu’adviendra-t-il de moi, premier roman d’un inconnu, une fois que ma version numérique sera stockée sur l’un de leurs serveurs, parmi des centaines de milliers d’autres fichiers ? Quelle chance aurai-je que quelqu’un me trouve sans me chercher, me rencontre en déambulant dans les rayons ?  Et si  en plus j’ai le culot d’être un peu étrange, et si je sors des sentiers battus, et si pour me lire il faut être curieux, et si mon pitch n’est pas percutant ? Je risque de rester longtemps tapi bien au chaud dans mon datacenter, sans que jamais personne ne daigne me télécharger.

Aux livres, il faut des passeurs. Il faut des parents qui prennent le temps de lire des albums à leurs enfants, des instits qui rendent magique l’heure de l’histoire, des profs qui bouleversent leur classe à grands coups de littérature, des bibliothécaires qui guident, conseillent, encouragent, écoutent, des amis qui prennent le risque de vous prêter ce livre que vous oublierez de leur rendre. Il faut des critiques et de l’espace pour qu’ils écrivent, des émissions de radio et de télévision pour que nous touche, un soir, la voix ou le visage d’un auteur. Aux livres, il faut des libraires qui vous mettent entre les mains ce titre que vous devez, surtout vous, lire absolument.

Il faut aussi des inconnus qui parsèmeront le web de critiques, de commentaires, de conversations. Des auteurs qui osent l’écriture web, des passionnés qui saturent ma timeline de liens vers un texte inattendu, un poème bien aiguisé, le trailer vidéo d’un bon polar. Il faut des amis-sur-Facebook qui ne sont pas tous mes amis, mais annoncent cette lecture en librairie, la sortie de cette revue, le titre de ce livre qui les a tenus éveillés si tard. Il faut des libraires en ligne qui jonglent avec les nuages de tags, les flux RSS, la géo-localisation, des libraires qui ne laissent pas dormir tranquillement les livres sur les serveurs, qui inventent chaque jour de nouveaux moyens de mettre en avant les titres, choisissent des thématiques, concoctent des dossiers, imaginent des événements.

Bien sûr les plateformes globales nous proposeront la magie de leurs algorithmes, la puissance de leur moteur de recherche, la vitesse de leur affichage, la recommandation fonction de l’observation attentive de notre comportement en ligne. Elles nous diront sans trop se tromper ce que nous avons toutes les chances d’apprécier. Mais sauront-elles nous propulser, lecteurs,  hors de nos zones de confort, là où l’aventure commence ? Sauront-elles propulser les auteurs qui font bouger les lignes ?

Le pari de bien des éditeurs européens, qui se sont efforcés de développer des infrastructures locales pour la distribution numérique, c’est de rendre possible à tous les libraires qui le souhaitent l’accès à la vente de livres numériques. Permettre à d’autres acteurs que les plus gros de développer leur activité en ligne. Combiner la dimension globale qui autorise l’ubiquité et l’immédiateté, avec la présence  locale qui permet l’ancrage, dans les territoires, les villes, partout où vivent des lecteurs.

Bien sûr, je ne dirai sûrement pas ça à Editech. Je ne dis jamais exactement ce que j’ai prévu dans une conférence. Mais vous, au moins, vous saurez.

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Longue vie à Red Lemonade

Richard Nash, ancien dirigeant de Soft Skull Press, vient de lancer Red Lemonade.  Qu’est-ce que Red Limonade ? En quoi ce site se différencie-t-il de tant d’autres sites dédiés aux livres ? Est-ce que Richard Nash a véritablement inventé quelque chose ? Il me semble que oui, et je vais essayer d’expliquer pourquoi.

On trouve des livres sur Red Lemonade, les trois premiers livres publiés aux éditions Red Lemonade. L’un, Zazen de Vanessa Veselka sera également publié en France en septembre aux éditions Zanzibar. Ces trois premiers livres donnent le ton à la communauté, car Red Lemonade est avant tout un outil communautaire. D’autres livres suivront, puisés parmi les manuscrits qu’il est possible de consulter sur la plateforme, mais aussi de commenter, d’annoter et de critiquer. Chacun peut charger son manuscrit, ou le charger chapitre par chapitre.

On peut uploader un manuscrit complet, ou des chapitres d’un manuscrit (cette partie est encore en version beta privée). Chacun des membres de la communauté peut ajouter des commentaires, répondre à un commentaire déjà posté. L’idée de Richard Nash est de faire en sorte que le dispositif ainsi créé permette une nouvelle forme d’édition, confiante dans l’intelligence collective, et qui permette de reproduire en ligne ce qui existe bien souvent dans la vie des auteurs : des influences, des conseils, des rencontres intellectuelles, des références partagées, une dynamique créative. On trouve également sur le site des textes issus de revues littéraires qui ont accepté de collaborer au site, des billets qui guident les commentateurs, expliquant comment écrire des contributions constructives. Il est possible de suivre les membres de la communauté que l’on choisit, on accède ainsi à la liste de leurs écrits, qu’il s’agisse de leurs manuscrits ou des textes qu’ils ont commentés.

Pratiquement tous les ingrédients de ce site existent déjà ailleurs, ce sont ceux de ce que l’on décrit lorsque l’on évoque la « lecture sociale » : annotations et commentaires partagés, liens vers les réseaux sociaux. Ce sont ceux que le web 2.0 (comme ça sonne ancien, déjà, cette expression…) a banalisés, avec la possibilité d’uploader un fichier, d’éditer son profil, de modifier un contenu facilement. Ce que je n’avais jamais vu ailleurs, c’est l’agencement de tous ces éléments ensemble et cette notion d’édition contributive, cette confiance faite à l’intelligence et au talent, et la possibilité que ce travail collectif autour du travail initial d’auteurs bien identifiés, auquel chaque texte est rattaché, débouche sur le publication de livres. Qui décide qu’un manuscrit parmi tous les autres sera publié ? L’éditeur qui héberge et anime la plateforme. Pour Red Lemonade, c’est Richard Nash. Comme l’explique un membre de la communauté dans les FAQ, à tout moment Richard Nash peut « taper sur l’épaule » de l’un des auteurs qui a chargé son texte sur RL, et lui proposer de le publier. Mais l’auteur ne cède aucun droit en chargeant simplement son manuscrit sur la plateforme, et peut parfaitement, s’il en a l’opportunité, signer avec un autre éditeur.

À celui qui lui demande pourquoi les gens iraient acheter un livre qu’ils peuvent lire gratuitement en ligne, Richard Nash répond ceci :

Nous croyons que si un lecteur est si touché par ce que vous écrivez qu’il a passé quinze heures sur le site à le lire, il y a de bonnes chances qu’il souhaitera l’acheter lorsqu’il sortira en version imprimée. En fait, je dirais même qu’il ne se contentera pas de l’acheter, il dira à ses amis de l’acheter, mourra d’envie de vous rencontrer, et fera toutes sortes de choses qui valent bien plus que le prix d’un livre de poche. Souvenez-vous que la principale chose dont vous avez besoin, en tant qu’auteur, ce n’est pas de l’argent du lecteur, mais de son temps, et pas du temps au rabais, mais du sérieux, de la solitude, de l’attention, qu’il laisse votre voix envahir  son esprit pendant quinze heures ou plus (…) Tout ce qu’il y a à dire, c’est que nous pensons que de donner accès au texte complet de votre œuvre sur ce site augmentera votre audience, améliorera vos chances de publication dans d’autres formats, et augmentera le nombre de livres que vous vendrez dans ces formats.

Avant d’ouvrir Red Lemonade, Richard Nash parlait de son projet qu’il nommait Cursor, et je n’arrivais pas bien à faire le lien entre Cursor et Red Lemonade. La lecture du blog de Richard Nash ne me permettant pas d’éclaircir cette question, je lui ai demandé par mail de m’expliquer. En réalité, Cursor est le nom de la plateforme qui a été créée, et Red Lemonade est le premier éditeur à utiliser cette plateforme. L’idée de Richard Nash est de proposer cette plateforme nommée Cursor, pour permettre à des éditeurs ou à des personnes qui désirent monter une maison d’édition, ou à des gens qui animent déjà des communautés en ligne et qui désirent publier des livres, de se doter d’une plateforme semblable, d’en modifier l’aspect, et de se lancer dans un projet utilisant les mêmes fonctionnalités, mais avec leur propre sensibilité, qui attirera à chaque fois des auteurs différents, et des lecteurs / commentateurs / éditeurs différents. Il est donc possible d’obtenir une licence d’utilisation, et d’ouvrir sa propre plateforme, en utilisant la même technologie que Red Lemonade.

Cette initiative est à suivre de près. Elle est beaucoup plus radicale que celle qui consiste pour un éditeur à publier ses livres en version numérique, ou même à publier des livres directement et exclusivement en numérique. Elle inaugure une nouvelle forme d’exercice de la fonction d’éditeur, qui s’appuie sur ce que le numérique change dans la relation entre auteur et lecteur, qui associe l’expertise des lecteurs contributeurs au processus de sélection des œuvres, un changement qui me semble bien plus fondamental que le changement de support de lecture qui occupe tant les esprits aujourd’hui.

En complément à ce billet, j’ai traduit un texte dans lequel Richard Nash explique les idées qui ont inspiré son projet.

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Richard Nash : lancement de Red Lemonade

Voici le texte que Richard Nash a publié au moment du lancement du site Red Lemonade

Version originale en anglais.

Vingt sept mois après mon départ de Soft Skull, mon petit dernier vient de venir au monde : Red Lemonade a poussé son premier cri lundi matin.
C’est le premier des 50 000 maisons d’édition que Cursor va équiper dans les années qui viennent.
Voyez-vous, lorsque j’ai quitté Soft Skull les gens me disaient : « Est-ce que tu vas lancer un nouveau Soft Skull? ». Et je répondais : « Non, le monde a déjà Soft Skull, il n’a pas besoin d’en avoir un second. En fait, le monde n’a pas besoin d’une maison d’édition indépendante de plus. Il a besoin de 50 000 maisons d’édition supplémentaires. »
Alors, maintenant que Red Lemonade est ouvert à tous les utilisateurs, ce qui est essentiel c’est que les éditeurs indépendants, ou bien ceux qui veulent lancer une nouvelle maison, ou ceux qui animent une communauté sur le web et aimeraient que cette communauté puisse publier des livres, s’adressent à moi, parce que Cursor est fait pour vous.
Mais Red Lemonade est une communauté, dont je suis membre moi-même, et j’ai bien sûr un faible pour elle. Alors voici mes premiers vœux à la communauté de Red Lemonade.

Le monde de l’édition est confronté à la triste réputation qui lui a été faite d’être réactionnaire et luddite, et ses habitants connus surtout pour être réticents envers la technologie et ses innovations. C’est vraiment injuste, car l’édition est en réalité au centre de deux révolutions sociales majeures qui ont considérablement modifié son statu quo ante.

La première, l’imprimerie, nous le savons et le comprenons tous dans une certaine mesure,  mais permettez-moi de rappeler à toutes les parties concernées, en saluant  Clay Shirky, que l’invention de l’imprimerie a bouleversé l’ordre établi, religieux  et politique d’une manière que ni la radio, ni la télévision n’ont jamais pu reproduire, ces médias ayant été rapidement cooptés  à des fins de propagande par les les pouvoirs économique et politique, ceux d’hier et d’aujourd’hui.

La seconde,  on en parle rarement, c’est celle du commerce : les libraires ont été les premiers commerçants à faire passer les produits qu’ils vendaient de l’autre côté du comptoir, à les présenter sur des étagères accessibles aux clients, afin que ceux-ci aient la possibilité de les voir, de les toucher, d’en prendre connaissance. L’approche « centrée sur le consommateur » s’est inventée dans les librairies.

Ainsi, l’apparent radicalisme du projet Cursor, qui s’incarne ici dans Red Lemonade, ne s’oppose pas à l’esprit historique du monde de l’édition, mais entre en résonance avec.  S’opposer à la technologie est aux antipodes du commerce des livres, parce que qu’est-ce qu’un livre sinon de la technologie, une technologie qui a été lissée ert comme poncée par son contact répété avec la société humaine et est ainsi la technologie la plus confortable que nous possédions, aussi évidente que les vêtements créés par les métiers à tisser.
Si j’évoque les métiers à tisser c’est pour une raison bien précise, c’est parce que c’est la Révolution Industrielle qui a produit la grande rupture qui afflige aujourd’hui le monde de l’édition, l’abandon d’un mode de production / consommation artisanal, au profit d’un mode industriel, qui a rendu l’acte hautement social de la lecture / écriture accessible à presque tous, en tout cas à ceux qui étaient alphabétisés (une exception significative, bien sûr), puis l’a déchiré et séparé. Auteurs séparés des lecteurs, auteurs séparés des autres auteurs, lecteurs séparés des autres lecteurs. Atomisés. Et cela a créé un système d’autant plus profitable, en raison de l’implacable logique des économies d’échelle, que les auteurs existaient en moins grand nombre, d’autant plus profitable que les différentes phases de production et de distribution pouvaient être réparties entre des entités et des individus spécialisés, aucun ne comprenant ce que faisaient les autres,  un modèle de production Fordiste combiné avec un modèle de gestion Sloaniste.

Nous avons tendance à parler du modèle de l’édition de ces cent dernières années comme s’il était un modèle parfait, mais regardez les maisons d’éditions indépendantes qui se sont montées ces vingt dernières années, publiant des gagnants du National Book Award, des gagnants du Pulitzer, des prix Nobel. Que serait-il arrivé à ces livres auparavant ? Ils n’auraient jamais été publiés ! Ils. N’étaient. Pas. Publiés. Bien sûr certains l’étaient, mais beaucoup ?  Nous ne saurons jamais combien de magnifiques œuvres de culture n’auront jamais été publiées par ces hommes en costume de tweed qui ont tenu les rênes de l’édition au siècle passé, et ce n’est pas parce qu’ils ont publié certains bons livres qu’ils n’ en ont pas ignoré beaucoup plus d’excellents.

Ainsi nous allons restaurer, pensons nous, l’équilibre naturel de choses, l’écosystème de l’écriture et de la lecture. Les auteurs lisent. Les lecteurs écrivent. Les pages « à propos de » et FAQ décrivent et élaborent comment nous allons faire cela – les livres parlent d’eux-mêmes, comme ils ont toujours fait. Vous aurez des questions auxquels ces pages ne répondront pas, alors contactez-nous. Nous ne prétendons pas posséder toutes les réponses mais nous allons organiser et faire face à d’importantes questions ; Comment allons nous nous servir de notre intelligence collective pour prendre de meilleures décisions d’éditeur ? Comment pouvons-nous assurer l’encadrement et des conseils tout en évitant le copinage? Comment pouvons-nous exploiter la puissance de l’éditeur de talent? Comment peut-on débloquer plus de la haute valeur que les livres créent dans notre société, de sorte que nous puissions tous lire et écrire mieux?

C’est vous qui avez les réponses, pas moi. Le site possède quantité de mécanismes de feedback, vous pouvez les utiliser pour commenter, vous pouvez commenter cet article, commenter un manuscrit, vous pouvez initier une conversation, répondre aux commentaires, vous pouvez voir à quoi nous ressemblons, écouter comment nous sonnons, vous pouvez trouver nos noms et nos adresses email, nous écouterons, nous répondrons, qu’il s’agisse de questions techniques, administratives ou culturelles et ensemble nous allons replacer les livres au point le plus haut, et à nouveau transformer les relations sociales, et à nouveau lancer des révolutions.

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L’heure du crime

L’éditeur Macmillan vient de mettre en ligne un nouveau site, intitulé « criminalelement.com« , destiné aux amateurs de romans policiers. Le site publie des extraits de livres, des nouvelles originales, des critiques écrites pas une équipe de blogueurs, organise des concours. Le but, attirer des lecteurs, proposer un lieu qui sache fédérer une communauté de lecteurs, permettre de trouver de nouveaux auteurs, augmente la visibilité des titres qui paraissent, enrichir la base de contacts.

Macmillan avait déjà ouvert deux autres sites destinés à des « niches » : Tor.com et HeroesandHeartbreakers.com, respectivement dédiés aux amateurs  d’heroïc fantasye et de  livres sentimentaux (« romance »).

Sur ces sites,  on ne parle pas seulement des livres publiés chez Macmillan. Pour accéder à la lecture complète des nouvelles, il est nécessaire de s’inscrire  – c’est gratuit –  en fournissant quelques données personnelles (zipcode, tranche d’âge, et un choix de cases à cocher précisant ses genres préférés).

Le site criminalelement.com est bien fait, truffé de boutons permettant de publier facilement les liens vers les contenus sur toutes sortes de réseaux sociaux. Voilà un exemple d’éditeur qui se donne réellement les moyens de mettre en pratique tout ce qui se dit et se répète dans les conférences : « le lecteur est au centre », « animez des communautés de lecteurs », « on ne peut pas utiliser les réseaux sociaux sans contribuer, donner du contenu, offrir des services ». Un compte Twitter, une page Facebook ne suffisent pas.

Bien sûr, Macmillan va promouvoir aussi des livres publiés par ses concurrents. Mais ce que ses concurrents n’auront pas, ce sont les précieuses adresses mail d’un public ciblé, passionné, qu’il pourra informer en priorité des livres (et cette fois seulement des siens) susceptibles de l’intéresser. Ce que ses concurrents n’auront pas, c’est ce contact direct avec les lecteurs. Et aujourd’hui, on sait que la question n’est plus  pour les lecteurs de trouver des livres, mais bien celle de trouver des lecteurs pour les livres.

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Accord Amazon/OverDrive pour le prêt de livres numériques en bibliothèque

OverDrive n’a pas attendu Amazon pour proposer à des bibliothèques une offre de prêt de livres numériques. Cet e-distributeur américain, créé en 1986, a suivi pas à pas toutes les innovations liées au numérique, commençant par la distribution physique, avec les disquettes et les CD-Roms, pour passer dès 2000 à la distribution 100% numérique.

Alors, qu’apporte cet accord avec Amazon ? Il va permettre aux clients d’Amazon, possesseurs de Kindle ou utilisateurs d’applications Kindle sur différents terminaux, qui fréquentent des bibliothèques, d’emprunter des livres numériques compatibles avec leur terminal de lecture. Amazon et OverDrive indiquent également que les annotations, qui sont proscrites sur les exemplaires imprimés empruntés en bibliothèque, seront autorisées sur les livres numériques en version Kindle, ces annotations n’étant pas visibles pour l’emprunteur suivant, mais demeurant sauvegardées pour leur auteur, qui les retrouvera s’il réemprunte le même titre ou s’il décide de l’acheter. D’autres fonctionnalités autorisées par la technologie Whispernet, comme la mémorisation de la dernière page lue, qui permet de continuer facilement sa lecture en changeant de terminal, ou le surlignage de passages seront également disponibles pour ceux qui emprunteront ces livres numériques.

Selon les informations fournies par OverDrive, la conséquence de l’accord est que les livres numériques achetés par les bibliothèques seront disponibles dans le format AZW (format propriétaire utilisé par Amazon), sans que la bibliothèque soit obligée de payer à nouveau pour disposer de ce nouveau format. Aucune précision n’est apportée : est-ce que les fichiers seront convertis à la volée ? Il semble que ce soit le cas avec Overdrive pour les audiobooks, disponibles en WMA et convertis à la volée en AAC pour les emprunteurs équipés d’iPod. En ce cas, le point le plus important de l’accord est la possibilité d’accès pour Overdrive  à la technologie Whispernet.

Certains éditeurs comme Simon & Schuster et Macmillan refusent encore d’intégrer leurs catalogues dans des offres destinées aux bibliothèques : interrogé au moment du Digital Book World, Brian Napack, Président de Macmillan, avait justifié son refus de mettre ses titres en circulation en bibliothèque par le fait qu’il n’avait pas encore trouvé le « bon business model » pour ce faire. La décision récente d’Harper Collins de limiter à 26 le nombre de prêts d’un même titre a suscité un tollé dans le monde des bibliothèques, et si Harper Collins est revenu un peu sur son annonce en indiquant que ce nombre de 26 n’était pas gravé dans le marbre, on voit qu’il existe de nombreuses interrogations du côté des éditeurs sur le prêt numérique en bibliothèque. On sait aussi que le modèle proposé par OverDrive, qui transpose le plus fidèlement possible le monde physique (achat d’un certain nombre d’exemplaires virtuels d’un titre, c’est à dire d’un nombre de prêts simultanés possible, et obligation d’attendre qu’un utilisateur ait « rendu » son livre numérique pour le prêter à nouveau), est critiqué par de nombreux bibliothécaires.

Répondant aux premières questions qui lui sont immédiatement parvenues de la part des bibliothécaires suite à l’annonce de l’accord, OverDrive a publié les informations suivantes sur son blog :

Votre actuelle collection de livres numériques téléchargeables sera disponible pour les clients Kindle. A chaque fois que vous ajouterez un nouveau livre à cette collection, celui ci sera disponible au format Kindle et pour les applications de lecture Kindle. Votre bibliothèque n’aura pas à acquérir de nouveaux exemplaires pour bénéficier de la compatibilité Kindle.  (…)

Un utilisateur sera en mesure de rechercher des titres sur n’importe quel ordinateur ou terminal mobile, muni de n’importe quel OS, de réserver un titre avec sa carte de bibliothèque, et de sélectionner ensuite le Kindle comme terminal de destination. Le titre emprunté pourra ensuite être lu sur n’importe quel terminal Kindle et avec toutes les applications de lecture Kindle.

Les livres numériques Kindle empruntés en bibliothèque seront soumis aux mêmes règles que tous les autres livres numériques.

Le programme de prêt Kindle en bibliothèque se conformera aux modèles de prêts des éditeurs.

Les informations de vos utilisateurs seront protégées.

– Quelques unes des  questions que cet accord suscite chez les bibliothécaires :
Questions we should be asking about Kindle Library Lending
Kindle Library Lending (Jason Griffey)
Amazon to Launch Library Lending for Kindle Books (Stephen Abram)

– Un point de vue d’éditeur (Joseph Esposito) sur la question du prêt de livres numériques en bibliothèque :
The Vexed Problem of Libraries, Publishers, and E-books

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« Les meilleurs esprits de ma génération… »

Dernière innovation Chez Amazon (US),  la : possibilité de connecter son compte Amazon et son compte Facebook. A noter, le livre n’est pas explicitement mentionné dans l’annonce  qui dit « Discover Amazon recommendations for movies, music, and more based on your Facebook profile. »
Pour avoir une idée des coulisses de ces incroyables « marketing machines », la lecture de cet article de Bloomberg Businessweek est édifiante. Extrait :

En tant que  génie des maths de 23 ans, un an après sa sortie d’Harvard, Jeff Hammerbacher est arrivé chez Facebook lorsque la société en était encore à ses tout débuts. C’était en avril 2006, et Mark Zuckerberg donna à Hammerbacher, qui faisait partie des 100 premiers salariés de Facebook, le titre ronflant de chercheur, et lui demanda de travailler sur l’analyse de la manière dont les gens utilisaient le service de réseau social. Spécifiquement, il avait pour tâche de découvrir pourquoi Facebook prenait rapidement dans certaines universités et échouait à décoller dans d’autres. La société voulait également tracer les différences de comportement entre les jeunes du secondaire et ceux du premier cycle universitaire. « J’étais là pour répondre à ces questions de haute volée, et ils n’avaient vraiment aucun outil pour le faire », dit-il.

Durant les trois années qui suivirent, Hammerbacher composa une équipe pour construire un nouveau genre de technologie analytique. Cette équipe rassembla d’énormes volumes de données, les étudia de très près, et apprit beaucoup au sujet des relations entre les gens, des tendances, des désirs. Facebook, depuis, a utilisé ce travail pour développer la publicité ciblée, qui constitue la base de son modèle d’affaires. Cela permet aux sociétés d’avoir accès à des groupes captifs de personnes qui se sont effectivement portées volontaires pour que leurs agissements en ligne soient monitorés, comme s’ils étaient des rats de laboratoire. L’espoir – qui s’est concrétisé avec une valeur de 65 milliards de dollars accordée à Facebook – est que les données en très grand nombre se transforment en publicité, qui se transforment en meilleures ventes.

Après quelques années chez Facebook, Hammerbacher commença à s’inquiéter. Il réalisa que l’essentiel de ce qui était révolutionnaire en termes de développement informatique avait été fait. Quelque chose d’autre le rongeait. Hammerbacher regarda autour de lui, dans la Silicon Valley, vers des sociétés comme la sienne, vers Google et vers Twitter, et il vit ses pairs perdre leur temps et leur talent. « Les meilleurs esprits de ma génération passent leur temps à réfléchir à la manière de faire en sorte que les gens cliquent sur des publicités », dit-il. « Ça craint ! »

Je pensais que les codeurs étaient les rois de la Silicon Valley. Cet article laisse entendre que ce sont les mathématiciens qui, en réalité, y sont les plus recherchés. Les meilleurs d’entre eux.

Merci à Hubert Guillaud qui a signalé l’info sur twitter, et détaille le fonctionnement de « Connect Amazon with  Facebook » dans un billet qui vient de paraître sur La Feuille.

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Qu’avez-vous laissé faire ?

Ce qu’annonçait Jeremy Rifkin dans son livre « l’âge de l’accès » est en train de se réaliser, bien plus vite que je ne l’imaginais lorsque je l’ai lu il y a cinq ans. De plus en plus, le souhait d’être en mesure d’accéder à l’usage des biens culturels est en train de se substituer à celui de posséder les supports et même les fichiers qui les contiennent. Un responsable d’EMI France me le confirmait récemment en ce qui concerne la musique : l’accès est ce qui compte désormais, et la tendance à entreposer sur son disque dur des milliers de titres fait place à la volonté d’être en mesure d’accéder immédiatement, en tout lieu, à une offre illimitée, sans nécessité de stocker, de posséder des albums ou des morceaux. Des services comme Spotify (qui vient de modifier ses règles de fonctionnement)  ou Deezer ( qui a signé l’été dernier un accord avec Orange)  rencontrent un succès très important. L’annonce par Amazon d’un service d’écoute de musique en ligne, Amazon Cloud Drive,  confirme la tendance, et fâche les maisons de disques , qui considèrent que les accords conclus avec Amazon pour la vente en ligne de titres et d’albums en téléchargement n’autorisent pas la firme à offir l’accès en streaming à ces titres.

Le livre n’échappe pas à cette tendance : à partir du moment où il est numérique, que nous importe qu’il réside sur notre disque dur, ou bien sur un serveur distant, du moment que nous  sommes en mesure d’y accéder à chaque fois que nous le souhaitons ? Mieux, s’il est stocké en ligne, il peut nous suivre dans nos usages, nous le retrouvons à la page où nous l’avions abandonné, pour en lire quelques pages sur téléphone portable, et nous en reprendrons plus tard la lecture, sur tablette ou sur liseuse.

Des offres en accès existent déjà pour le livre, mais aucune offre de ce type n’agrège aujourd’hui la totalité des catalogues numériques français. Utilisé depuis des années par les éditeurs scientifiques en direction des bibliothèques universitaires, ce modèle n’est pas encore très développé en direction du public, à l’exception des tentatives de Cyberlibris, de l’offre de publie.net, ou de  celle d‘Izneo pour la bande dessinée. C’est le principe adopté et défendu par Google pour son offre Google Ebooks qui a ouvert aux USA début décembre 2010, mais pas encore en France. Une société espagnole annonce pour juin prochain l’ouverture du site 24symbols.com, qui se présente comme le « Spotify du livre » et propose un modèle freemium similaire, mais nul ne sait quel succès ce projet va rencontrer auprès des éditeurs. Les modèles économiques pour ces offres varient : paiement à l’acte pour Izneo et pour Google Ebooks, paiement d’un abonnement annuel chez publie.net permettant un accès illimité au catalogue, accès gratuit accueillant de la publicité ou payant sur abonnement pour le projet 24symbols. Certains libraires espèrent que  la mise en place de la vente de livres numériques en téléchargement se double bientôt d’un accès en streaming aux ouvrages achetés, sachant que cette offre ne peut être organisée par les libraires eux-mêmes, car ils ne disposent pas des fichiers.

La lecture en accès sera considérée par certains comme une insupportable dépossession, mais d’autres la vivront comme un allègement, et comme l’occasion d’accéder à de nouvelles fonctionnalités,  avec des possibilités d’échange et de partage, qu’il s’agisse de commentaires ou de citations.  Téléchargement et streaming coexisteront un long moment.

On peut imaginer que le pendant de cet accès global rendu possible aux livres, aux films, aux morceaux de musique, n’ira pas sans un développement parallèle de pratiques locales; que cet accès formera probablement d’ici quelques années un substrat considéré comme minimum – accès facilité à l’ensemble des biens culturels sous forme numérisée –  mais qu’il conduira au développement complémentaire et indispensable de pratiques locales, impliquant de « réelles présences »,  dans les salles de concert et de cinéma, les librairies et les bibliothèques ; que le livre imprimé ne disparaîtra pas plus que les lieux où on peut l’acheter, l’emprunter ou le consulter, mais qu’il aura acquis une valeur nouvelle,  qu’il s’agira d’un objet plus précieux et plus durable. Il est probable aussi que se multiplieront les échanges entre global et local, l’accès au réseau se banalisant dans des objets toujours plus intégrés dans la vie quotidienne, et les possibilités de re-matérialisation comme l’impression à la demande reliant les lieux réels et les entrepôts virtuels.

L’infrastructure nécessitée par le développement de notre vie en ligne, qu’il s’agisse de nos échanges privés ou semi-privés, de nos partages de textes et d’images fixes et animées, de notre désir d’accéder à l’information, aux savoirs, au cinéma, à la musique, à la littérature depuis n’importe quel terminal relié au web est gigantesque. Le Cloud, malgré son nom qui évoque le lointain, l’impalpable, le vaporeux, n’a rien d’immatériel. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ces photos, prises la semaine dernière lors d’une visite organisée par Facebook dans son tout nouveau  datacenter à Prineville dans l’Oregon. Les datacenters sont d’énormes consommateurs d’électricité. Un rapport de Greenpeace fait le point sur cette question, Greenpeace qui a vivement dénoncé le choix par Facebook comme fournisseur d’une compagnie qui produit l’électricité via des centrales à charbon, notamment en publiant cette vidéo trouvée sur le blog Presse-Citron :

Facebook : Greenpeace vous invite à abandonner… par gpfrance

Le mouvement de numérisation nous fascine aujourd’hui par sa nouveauté et les possibilités qu’il offre. Mais  lorsque tout ce qui est possible de l’être aura été numérisé et que la plupart des biens culturels susceptibles de l’être seront produits directement en numérique et accessibles sur le web, ce même mouvement tendra probablement à rendre plus précieux tout ce qui lui résiste, tout ce qui ne peut en aucun cas se numériser, tout ce qui s’acharne à demeurer analogique, se refuse à la duplication, à la reproduction parfaite. Les mêmes qui exigent l’accès illimité à toute la musique demandent déjà à leurs parents de rebrancher leurs vieilles platines pour écouter les disques qu’ils achètent en vinyle. Peut-être que nos petits-enfants  supplieront les leurs d’installer dans leur chambre les vieilles étagères Billy entreposées dans la cave, pour épater leurs copains avec des livres imprimés… qui sait ?

Qu’avez-vous gardé ? Qu’avez-vous perdu ? A quoi avez-vous été vigilant ? Qu’avez-vous laissé faire ? Ce sont quelques unes des questions que chaque génération pose à la précédente. Il est à craindre que la question de notre  vigilance concernant les dépenses énergétiques, évoquées plus haut, sera de très loin la plus dérangeante.

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